Breton, chrétien et philosophe, Philippe Abjean est l’homme qui se cache derrière le succès grandissant du Tro Breiz et de la Vallée des Saints. “Pour se tenir droit, dans sa foi et dans sa vie, il faut des racines, il faut des lieux de retour aux sources », confie-t-il à Aleteia à l’occasion de la sortie de son livre « Un rêve de pierre, du Tro Breiz à la Vallée des Saints”. Entretien.
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Attristé de voir les paroisses se vider, Philippe Abjean a choisi de rallumer la flamme en Bretagne, terre de spiritualité, et de démontrer que rien n’est inéluctable. En relançant tout d’abord le Tro Breiz en 1994, un pèlerinage de pas moins de 700 kilomètres qui emmène le marcheur au cœur de la Bretagne, à la suite des sept saints fondateurs de la région, et qui connait un succès grandissant. Puis avec ce projet encore plus fou, à Carnoët (Côtes-d’Armor), la Vallée des Saints où des sculptures monumentales de saints bretons du Ve et VIe siècles accueillent des milliers de visiteurs ébahis chaque année. À l’occasion de la sortie de son livre Un rêve de pierre, du Tro Breiz à la Vallée des Saints où il retrace son parcours et ses intuitions, l’homme qui fourmille encore d’idées pour la Bretagne, a répondu aux questions d’Aleteia.
Aleteia: Pourquoi tenez-vous tant à relancer la culture chrétienne en Bretagne ?
Philippe Abjean: Je souhaite apporter une réflexion sur notre besoin de racines. En effet, pour se tenir debout, comme nos statues de la Vallée des Saints, il faut des lieux de retour aux sources. Malgré le contexte de sécularisation, on constate chaque jour combien l’Homme a besoin de profondeur et d’élévation de l’âme. La sacralité, d’instinct, les gens s’y retrouvent et sentent si un lieu est habité ou pas. Et la Bretagne est un lieu particulièrement habité d’une âme chrétienne. Je viens d’écrire Un rêve de pierre, du Tro Breiz à la Vallée des Saints pour justement revenir à la genèse des projets lancés, mais également proposer d’autres pistes. Et puis j’arrive à un âge, 67 ans, où il est temps de “rendre sa copie”, comme disait Descartes.
Aujourd’hui qu’est-ce-que la Vallée des Saints ?
Nous avons 133 statues, sept de plus sont arrivées cet été. L’objectif est d’arriver à 1.000, soit un peu plus que l’île de Pâques ! L’année dernière, nous avons eu près de 400.000 visiteurs. Les saints font remonter notre histoire, c’est une vision de l’éternité, cette pierre du pays, ce granit puissant, ce sont des “croix de mission”. C’est aussi un succès car tout le monde participe : des entreprises, des familles, des communes qui veulent, elles aussi, leur saint ! C’est également une œuvre de longue haleine, un peu comme la Sagrada Familia, mais en plein air. Ce ne sera jamais fini, et c’est tant mieux !
Comment expliquer un tel succès, plutôt à contre-courant aujourd’hui ?
C’est bien vrai que nous sommes à contre-courant de tout ! Ici nous dressons des statues alors qu’elles tombent ailleurs… Nous sommes en plein paradoxe. Mais après tout, n’est-ce pas le propre de la philosophie, d’être à contre-courant de l’opinion ? Nous ne sommes pas non plus un parc d’attraction bruyant, mais proposons le silence et l’intériorité, ce qui est à mon avis un grand trésor à partager. L’Église devrait d’ailleurs mieux s’en inspirer car elle a, en elle, tous les remèdes pour toucher les cœurs. Nous avons par exemple toute une tradition de médiation chrétienne qui est mal connue. Pourquoi ne pas constituer des fraternités du silence qui viendraient prier en alternance dans l’église du village ?
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Pourtant la déchristianisation se constate tous les jours …
Je suis très optimiste et j’ai la conviction qu’il n’y a pas de fatalité. Rien n’est irréversible, il faut toujours allumer une petite flamme, qu’elle prenne ou pas. Il faut dépoussiérer l’Église et la rajeunir. Parfois elle a perdu le langage du cœur et ne parle que de raison. Mais le succès du Tro Breiz c’est ça ! La liberté de chacun de venir, de croire ou pas, de participer, d’être ensemble, de se laisser toucher au cœur, de vibrer avec les processions et les bannières. D’ailleurs, les jeunes ne s’y trompent pas, ils sont de plus en plus nombreux à y venir chaque année.
Quels sont vos projets à venir ?
Dans l’immédiat, relancer les cérémonies bretonnes de grand pardon, avec, dès l’été prochain, une journée du grand pardon à la Vallée des Saints, nous sommes en train de fixer la date avec l’évêché. Il y aura une grande procession de bannières, une messe, des indulgences, ce sera d’abord une démarche chrétienne mais elle sera également festive avec kermesse et banquet. J’aimerais qu’une fois par an, cela devienne le rendez-vous des Bretons. L’été prochain, nous lancerons aussi le Tro Breiz des enfants : 1.000 enfants portant les fanions de jeunes saints. Les enfants, c’est la relève, c’est par eux qu’on touchera les parents et les grands-parents. Enfin, nous sommes en train de baliser des itinéraires permanents en Bretagne, à l’instar des chemins de Compostelle, pour pouvoir réaliser à tout moment de l’année, un pèlerinage autour des sept saints bretons fondateurs.
Nous ne sommes plus des suiveurs, mais des créateurs, des inventeurs !”
Quel est votre message aux jeunes qui, comme vous, voudraient faire quelque chose ?
Engagez-vous ! Lancez-vous ! L’idée de mon livre c’est qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il ne faut jamais se résigner. Bien sûr, cela demande de la volonté, du temps et surtout beaucoup d’humilité. N’hésitez pas à poser des jalons, des pierres, que les autres reprendront ou pas… On dit de nous, les Bretons, que nous sommes têtus, je dirai plutôt que nous sommes persévérants. Rien n’est perdu d’avance, c’est d’ailleurs sur quoi l’Église repose. Après tout, cela a commencé par une “défaite”, la crucifixion, pendant trois jours, c’était perdu et pourtant… Nous sommes dans une époque passionnante, puisqu’il y a tout à faire. Nous ne sommes donc plus des suiveurs, mais des créateurs, des inventeurs !
Un rêve de pierre, du Tro Breiz à la Vallée des Saints, Philippe Abjean, Éditions Salvator, juin 2020, 16 euros.