Campagne de dons de Noël
Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu.
Et ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
La pratique chrétienne de la prière devant une image ou une statue est une nouveauté par rapport au judaïsme, qui semblait vouloir bannir toute image sculptée, avec notamment ce commandement du Décalogue :
Le commandement du Décalogue semble sans appel. Il concerne spécialement les statues, à cause du réalisme des trois dimensions.
Le sens de l’interdit biblique
Ce n’était cependant pas un commandement imposé en Israël de manière absolue. Il y avait ainsi des exceptions dans la Première Alliance, comme par exemple les deux chérubins sculptés au-dessus de l’Arche de l’Alliance (1 Rois 6,23-28) ou d’autres sculptures du Temple de Jérusalem : bœufs, lions, taureaux, chérubins, etc. (cf. 1 Rois 7, 25 et 7, 29) ou encore l’épisode du serpent d’airain que le Seigneur demande à Moïse de façonner (Nb 21, 8-9). On a retrouvé aussi des mosaïques figuratives dans des synagogues anciennes du Proche-Orient, les plus connues étant celles de Doura Europos, en Syrie, de Beit Alfa près de Beth She’an et du Parc national Hamat à Tibériade, en Israël.
L’interdiction des statues était surtout nécessaire pour marquer la différence avec les diverses religions environnantes. Un exemple en est donné dans les Actes de Apôtres : à Éphèse, la prédication de Paul se heurte au culte rendu à l’Artémis du lieu : "Grande est l’Artémis des Éphésiens", crie, pendant deux heures, la foule excitée par les orfèvres qui vendent les reproductions miniatures de la statue, dont "nul n’ignore qu’elle est tombée du ciel" (Ac 19, 15).
À Rome, dans la catacombe de Priscille, une image de la Vierge à l’Enfant remonterait au IIe siècle. Sur les tombeaux, des personnages mythologiques sont réinterprétés chrétiennement : Apollon devient le Christ, Soleil de Justice.
Les catacombes témoignent du premier art chrétien
La fragilité du christianisme naissant n'a pas favorisé l'éclosion immédiate d'un art spécifique. Mais, déjà, les murs des catacombes reçoivent des fresques illustrant des thèmes chrétiens, parfois empruntés à l'Ancien Testament, comme les trois enfants dans la fournaise. À Rome, dans la catacombe de Priscille, une image de la Vierge à l’Enfant remonterait au IIe siècle. Sur les tombeaux, des personnages mythologiques sont réinterprétés chrétiennement : Apollon devient le Christ, Soleil de Justice.
Quand le christianisme devient une religion officielle, des églises sortent de terre, offrant de grandes surfaces à l'évocation des thèmes chrétiens. À côté des symboles comme l'Agneau pascal, le Bon Pasteur ou la Croix glorieuse, les mosaïques orientales montrent le Christ lui-même, la Vierge, les anges et les saints. Plus tard, l'Occident développera surtout la peinture et la sculpture, dont les portails des cathédrales médiévales sont le plus bel exemple.
L’opposition de l’iconoclasme et du protestantisme
La légitimité des images a été remise en cause à deux reprises dans l’histoire du christianisme. En Orient, ce fut la crise iconoclaste (littéralement "briseuse d’images"), aux VIIe et VIIIe siècles, et, en Occident, la Réforme protestante. En Orient, la question posée était la possibilité ou l’impossibilité de représenter la divinité du Christ. Car si l’on ne prétend représenter que son humanité, est-ce véritablement le Christ ? Les protestants, quant à eux, se rappellent l’interdit biblique et redoutent que la vénération des statues ne tourne à l’idolâtrie. De toute façon, cet usage est pour eux très éloigné des principes de base : sola Scriptura, sola gratia - "l’Écriture seule, la grâce seule".
La réponse des conciles
Les deux crises — orientale et occidentale — ont donné lieu à deux conciles œcuméniques : le deuxième concile de Nicée (787) et le concile de Trente, dans sa session de 1553. Ce dernier s’appuie d’ailleurs sur l’autorité de son lointain concile précédent. Est-il légitime de représenter le Christ ? Dès le début de la crise iconoclaste, saint Jean de Damas ("Damascène"), aujourd’hui Docteur de l’Église, répond affirmativement : l’Incarnation rend possible ce qui aurait été blasphématoire dans l’Ancienne Alliance. Le Catéchisme de l’Église catholique (n. 1159) cite ce passage de saint Jean Damascène :
Autrefois Dieu qui n’a ni corps, ni figure, ne pouvait absolument pas être représenté par une image. Mais maintenant qu’il s’est fait voir dans la chair et qu’Il a vécu parmi les hommes, je peux faire une image de ce que j’ai vu de Dieu.
S’il est légitime de représenter le Christ, Fils de Dieu, il est encore plus naturel de représenter la Vierge Marie et les saints : ce sont des créatures. Le concile de Nicée II a clos le débat en affirmant que "l’honneur rendu à une image remonte au modèle original" (saint Basile). "Quiconque vénère une image, vénère en elle la réalité qui y est représentée." Le concile de Trente continua à préciser la doctrine et à combattre la tentation de l’idolâtrie, les abus et les superstitions.
L’attitude des fidèles
Une autre question se posait aussi : qu’il s’agisse du Christ, de la Vierge ou des saints, quelle doit être l’attitude des fidèles envers ces représentations ? Faut-il vénérer les images ? Le deuxième concile de Nicée répondait, en pensant particulièrement aux icônes peintes ou plutôt, comme l’on dit en Orient, « écrites » :
"Plus on regardera fréquemment ces représentations imagées, plus ceux qui les contempleront seront amenés à se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur témoigner, en les baisant, une vénération respectueuse, sans que ce soit une adoration véritable selon notre foi, qui ne convient qu’à Dieu seul. […] Mais comme on le fait pour l’image de la Croix précieuse et vivifiante, pour les saints évangiles et pour les autres objets et monuments sacrés, on offrira de l’encens et des lumières en leur honneur, selon la pieuse coutume des anciens. Car “l’honneur rendu à une image remonte au modèle original” (saint Basile). Quiconque vénère une image, vénère en elle la réalité qui y est représentée."
La tentation de l’idolâtrie
Qu’en est-il en pratique ? Les déviations sont toujours possibles, parce que demeure la tentation de l’idolâtrie. Le concile de Trente est bien conscient de ce risque, trop réel. Il énonce la bonne doctrine et ordonne des mesures concrètes : « On doit avoir et garder dans les églises les images du Christ, de la Vierge, Mère de Dieu, et celles des saints, en leur rendant l’honneur et la vénération qui leur sont dus. Non qu’on croie qu’il y a en elles du divin ou quelque vertu qui justifiaient leur culte, ou qu’on doive leur demander quelque chose, ou qu’on doive mettre fermement sa confiance dans les images, comme il arrivait autrefois aux païens qui mettaient leur espérance dans les idoles (Ps 135, 18), mais parce que l’honneur qu’on leur rend remonte aux modèles originaux qu’elles représentent. Ainsi, à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons, et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons. »
Suivent les conseils, "si des abus s’étaient glissés…" : vérifier que l’image n’exprime pas une fausse doctrine ; expliquer que "les images ne représentent pas la divinité" ; pourchasser la "superstition dans l’invocation des saints" ; éviter "toute recherche d’un gain malhonnête, toute indécence, toute beauté profane provocante". Le Code de Droit canonique promulgué en 1983 consacre un article (n° 1188) à la question : "La pratique qui consiste à proposer dans les églises des saintes images à la vénération des fidèles sera maintenue fermement [dit le latin] ; toutefois, ces images seront exposées en nombre modéré et dans un ordre convenable, pour ne pas susciter l’étonnement du peuple chrétien et ne pas donner lieu à une dévotion plus ou moins sûre."
Pour savoir quelle est "la dévotion sûre", il faut regarder comment l’Église recommande de bénir une "image destinée à la vénération publique". La bénédiction n’a pas lieu lors d’une messe, mais au cours des vêpres : la bénédiction n’est pas un sacrement. La présence de l’évêque n’est pas nécessaire, alors que seul l’évêque peut consacrer un autel. Le Rituel présente trois formulaires, selon qu’il s’agit d’une image du Christ, de la Vierge ou d’un saint. Dans la bénédiction d’une image du Christ, nous prions le Seigneur « pour qu’en vénérant cette image du Christ, tes fidèles aient en eux les sentiments mêmes du Christ Jésus ». Alors que le Christ est l’Image du Père et ne fait qu’un avec lui, la Vierge est l’image de l‘Église sainte et immaculée : « Dieu notre Père, dans la Vierge Marie, tu as donné à ton Église en marche sur la terre l’image de sa gloire à venir. Accorde à tes fidèles, rassemblés autour de cette image, de lever les yeux vers elle avec confiance, puisqu’elle est un modèle éclatant de sainteté pour tout le peuple des rachetés. » S’il s’agit de saints, la bénédiction insiste sur leur proximité. Étant « les amis du Christ », mais aussi « nos frères et nos bienfaiteurs », ils peuvent intercéder pour nous dans la communion des saints.
Les fruits spirituels
Le point commun de toutes ces prières, c’est de ne guère insister sur l’image comme telle et de passer immédiatement aux fruits spirituels que l’on peut attendre de leur vénération. Les prêtres ou les diacres peuvent aussi bénir les images de toute sorte que les chrétiens souhaiteraient placer dans leurs maisons ou porter sur eux-mêmes, s’il s’agit de médailles. Selon les cas, il est demandé au Père que les fidèles "reproduisent en eux-mêmes l’image de [son] Fils", ou qu’ils "accueillent la parole du Christ et la méditent dans leur cœur" comme la Vierge, ou encore qu’ils "vivent ici-bas de manière à avoir part un jour à l’héritage des saints, dans la lumière".
On pourrait conclure de ces recommandations que l’Église catholique est plutôt méfiante en ce qui concerne la vénération des images. C’est pourquoi il peut être bon d’interroger une spécialiste, sainte Bernadette. Qu’en pensait-elle ? Certes, aucune statue n’était capable de reproduire la beauté de la Dame qui lui était apparue. Pour la statue de la Grotte, le sculpteur Fabisch avait interrogé Bernadette. Sur une ébauche, il lui avait demandé ses premières impressions et il avait voulu faire pour le mieux. Devant le résultat, après une phrase de politesse, Bernadette finit par avouer : "Non, ce n’est pas cela." Aux artistes, elle lance une sorte de défi : "Qu’ils aillent se la faire voir", ils seront bien étonnés quand ils arriveront au Ciel. Seul, Cabuchet a droit à une parole indulgente : "C’est encore la moins mal !" "Bonne Mère, comme on vous défigure !"
Quand on demande à la petite Bernadette comment elle aurait peint la Vierge, elle répond : "Je n’en ai pas besoin", "Elle est gravée dans mon cœur". Et pourtant, elle n’a jamais protesté contre la décision de placer une statue à la Grotte. Elle signait des images reproduisant la photographie de la statue. À Nevers, elle allait faire son pèlerinage à Notre-Dame des Eaux, au fond du jardin. Elle dépoussiérait avec soin les innombrables statuettes de la Vierge qui peuplaient le couvent et elle encourageait les novices à faire de même. Bernadette ne manquant pas d’humour, elle pensait que les saints n’en manquaient pas non plus. "Un jour, Bernadette priait la sainte Vierge pour moi, mais elle se mit à genoux devant la statue de saint Joseph. Je le lui fis remarquer. Elle me répondit : “Au ciel, il n’y a pas de jaloux.”" La statue ne détient donc pas de pouvoir magique. Bernadette n’aurait jamais appelé « miraculeuse » l’eau de la source : "On prend l’eau comme un médicament. Il faut avoir la foi et prier. Cette eau n’aurait pas de vertus sans la foi." À plus forte raison pour une statue.
Bernadette avait reçu de la Vierge une prière spéciale, qu’elle devait garder pour elle seule. Et pourtant, elle continua — et avec quelle ferveur ! — à réciter son chapelet, la prière des braves gens. De même, elle aurait pu mépriser toutes les images de la Vierge : ce ne fut pas le cas. Nous serions bien présomptueux de prétendre être plus spirituels que sainte Bernadette !