Prendre une année sabbatique… un projet qui fait rêver de nombreux salariés même si seule une petite partie d’entre eux le réaliseront un jour. Dans les pays anglo-saxons et scandinaves, le congé sabbatique fait partie depuis longtemps du paysage socioprofessionnel.
En France, le droit au congé sabbatique a été institué par la loi n° 84-4 du 3 janvier 1984. Les conditions pour en bénéficier sont encadrées, et un salarié qui souhaite demander un congé sabbatique à son employeur doit notamment justifier d’au moins six années d’activité professionnelle dont trois ans d’ancienneté dans l’entreprise. Ce terme d’année sabbatique nous vient tout droit de la Bible et a pour origine le sabbat, jour de repos ordonné par Dieu au peuple d’Israël :
« Pendant six jours, on travaillera, mais, le septième jour, c’est un sabbat, un sabbat solennel consacré au Seigneur. Quiconque travaillera le jour du sabbat sera mis à mort ». (Ex 31, 15)
Le sabbat, précise-t-il à Moïse, est « un signe entre moi et vous, de génération en génération, pour qu’on reconnaisse que je suis le Seigneur, celui qui vous sanctifie ». C’est « une alliance éternelle ». Le sabbat est donc un jour consacré à Dieu, un jour de sanctification. C’est encore, rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC 2170), un mémorial de la libération d’Israël de la servitude d’Egypte :
« Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu. C’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a ordonné de célébrer le jour du sabbat » (Dt 5,15).
C’est aussi un jour de « vrai » repos, pour permettre à tous de récupérer :
« Pendant six jours, tu feras ce que tu as à faire, mais, le septième jour, tu chômeras, afin que ton bœuf et ton âne se reposent, et que le fils de ta servante et l’immigré reprennent souffle ». (Ex 23, 12)
Le rythme du Dieu Créateur
En suivant ce rythme de six jours de travail suivi d’un jour de repos, l’homme suit le rythme du Dieu Créateur :
« Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite ». (Gn 2, 2)
On retrouve ce même rythme 6/1, cette fois, non pas en jours mais en années (d’où notre fameuse année sabbatique), dans le livre du Lévitique (Lv 25, 1 à 6). Dieu va encore plus loin en demandant à son peuple de se reposer toute une année ! Il s’agit en fait de travailler la terre pendant six ans, en l’ensemençant, en taillant la vigne, en effectuant les récoltes, puis la septième année, de la laisser se reposer (« ce sera une année sabbatique pour la terre») et que chacun (« toi, ton serviteur, ta servante, et le salarié ou l’hôte qui résident chez toi ») vienne prendre ce qui a poussé naturellement pour se nourrir.
À une époque où la majorité de la population vit de l’agriculture, demander de laisser les champs en jachère pendant toute une année équivaut à mettre le pays entre parenthèses et a de quoi susciter l’inquiétude… Une inquiétude que Dieu a anticipée :
« Vous direz peut-être : “Que mangerons-nous en cette septième année si nous ne faisons pas de semailles et ne récoltons pas nos produits ? » (Lv 25, 20)
Et à laquelle il est prêt à répondre :
« La sixième année, j’ordonnerai à ma bénédiction d’être sur vous, et elle produira une récolte suffisante pour trois ans » (Lv 25, 21).
C’est donc une loi difficile à suivre, une loi qui remet en question tout un mode de vie et surtout une loi qui implique un abandon total à Dieu, une confiance absolue en Lui.
Se reposer en Dieu
On imagine mal la mise en application d’une telle loi aujourd’hui. Avec l’évolution de notre société, tournée vers les loisirs et la consommation, même le repos dominical est de plus en plus souvent mis à mal. Dans une lettre apostolique, le pape Jean Paul II regrettait que parfois le dimanche « perde son sens originel » et se transforme de jour du Seigneur en « fin de semaine », comprise essentiellement comme un temps de simple repos ou d'évasion, quand ce n’est pas de consommation effrénée.
Ne jamais faire de pause, c’est éviter de se retrouver face à soi-même dans le silence.
Pour le penseur Blaise Pascal (1623-1662), la recherche frénétique du divertissement est un refuge pour l’homme sans Dieu car il lui permet d’échapper à sa condition de mortel et de fuir sans la guérir sa misère profonde. Ne jamais faire de pause, c’est éviter de se retrouver face à soi-même dans le silence. Il peut être alors tentant de céder aux multiples sollicitations dont nous faisons l’objet. Car, développe le pape François, « les nouveautés constantes des moyens technologiques, l’attraction des voyages, les innombrables offres de consommation, ne laissent pas parfois d’espaces libres où la voix de Dieu puisse résonner. Tout se remplit de paroles, de jouissances épidermiques et de bruit à une vitesse toujours croissante.
Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette course fébrile pour retrouver un espace personnel où s’établit le dialogue sincère avec Dieu ?
Il n’y règne pas la joie mais plutôt l’insatisfaction de celui qui ne sait pas pourquoi il vit. Comment donc ne pas reconnaître que nous avons besoin d’arrêter cette course fébrile pour retrouver un espace personnel, parfois douloureux mais toujours fécond, où s’établit le dialogue sincère avec Dieu ? À un certain moment, nous devrons regarder en face notre propre vérité, pour la laisser envahir par le Seigneur ».
Sans aller jusqu’à prendre une année sabbatique, accepter de s’arrêter, c’est prendre conscience de ses limites et revoir ses priorités. S’arrêter, plus que simplement se reposer, c’est se reposer en Dieu. Voilà peut-être quelque chose à méditer en cette période de confinement…