Emmanuel Godo, en un petit livre bref et concis, invite son lecteur à redécouvrir la pensée de l’écrivain Paul Claudel, l’un des auteurs majeurs du XXe siècle. Il y a urgence pour Emmanuel Godo, en ces temps incertains, à retrouver cette pensée puissante résistant aux tempêtes de l’Histoire. Un ouvrage précieux en cette période de confinement et de questionnements…L’écrivain et poète Emmanuel Godo ne cache pas son admiration pour Paul Claudel. Il vient de relire pour nous l’ensemble de son œuvre afin de puiser à cette source fertile et d’en dégager ses grandes lignes. Il est vrai que Paul Claudel, né dans une famille catholique bourgeoise en 1868 à Villeneuve-sur-Fère et mort en 1955 à Paris, ne fut pas un homme comme tout le monde, lui qui fut à la fois poète, dramaturge, essayiste, diplomate français et membre de l’Académie française. Sa sœur, Camille, a laissé également son nom au panthéon des arts en étant l’une des sculptrices les plus talentueuses de son temps avant de sombrer dans la démence.
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Les grands convertis de la littérature : Paul Claudel
Paul découvre très jeune la poésie de Rimbaud et s’en trouve profondément bouleversé, mais c’est un 25 décembre 1886, à Notre Dame de Paris, qu’il se “convertira” véritablement au catholicisme. Il sera alors tiraillé entre les ordres et la diplomatie qu’il rejoindra en 1883 ; ce sera New York, Shanghai. En 1900, il deviendra oblat à l’abbaye de saint Martin du Ligugé, mais retournera en Chine, puis Prague, l’Allemagne, Rio de Janeiro, Copenhague, Tokyo, Washington, et enfin Bruxelles où il terminera sa carrière diplomatique en 1936. Parallèlement, Claudel n’aura de cesse d’écrire, théâtre, poésie et surtout une exégèse biblique très claudélienne ; une œuvre littéraire qui lui valut la renommée et consécration que l’on sait. Enterré au château de Brangues, sa sépulture, sobre, porte cette épitaphe : “Ici reposent les restes et la semence de Paul Claudel“.
Des âmes fortes tirant parti de l’adversité
Emmanuel Godo dans son essai insiste sur la puissance de cette pensée afin de résister à ces temps incertains et souvent futiles :
Nous qui vivons en des temps de frilosité, en des temps où notre langue est martyrisée, nous qui avons peur de tout, nous qui ne savons plus assurer à nos morts le repos éternel et aux vivants une vie d’humaine dignité, qui laissons profaner notre mémoire, qui osons appeler écrivains des bulles de savon solubles dans l’éphémère, nous avons besoin de toute urgence de nous faire étriller par la puissante pensée d’un Claudel.
Le ton est donné et il ne faudra pas chercher dans l’œuvre de l’écrivain une méthode de développement personnel ou une “zen attitude” de plus. C’est une pensée combative qui anime l’auteur de la célèbre pièce de théâtre Le Soulier de satin qui sut souligner combien : “Les âmes fortes ne méprisent pas : elles tirent parti de tout“. Être chrétien pour Claudel, c’est avoir confiance, mais aussi être en lutte, tout d’abord avec soi-même. “Je veux être un vainqueur“, affirmait avec force Claudel, non pas par orgueil, mais, à l’image de saint Paul, pour que ce combat soit celui de la foi. Et ce sera directement à la source des Écritures à laquelle cet homme épris d’absolu puisera sa vie durant, avec pour inspiration première la Bible qu’il ne cessera de lire, relire et méditer. Si, avec Claudel, la nature nous apprend l’impermanence des choses, la fragilité et la brièveté de la vie, une certitude pointe, s’avance et s’affirme dans son œuvre, cette conscience que malgré tout “l’impérissable existe”, l’essentiel. Cet essentiel que nous devons retrouver sous le regard du Créateur.
La joie de Claudel
Emmanuel Godo ne fait pas pour autant de Claudel un “père Fouettard” qui terroriserait pour autant ses lecteurs ! La joie de Claudel rayonne également de son œuvre, surtout lorsqu’il se tourne vers le Créateur, une joie communicative qui se transmet à son lecteur. Cette espérance sur le cheminement de la foi, avec ses passions et péchés, peut conduire à la véritable naissance de l’être spirituel chez toute personne, même les plus désespérées, ce que confirme l’un des personnages du Soulier de satin : “Et c’est vrai que je suis attaché à la croix, mais la croix où je suis n’est plus attachée à rien. Elle flotte sur la mer. La mer libre…”; Et toujours dans la même œuvre : “C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouvez pas amusant qui est le plus drôle.”
Ainsi que le souligne Emmanuel Godo, vivre ne consiste pas pour Claudel à glisser progressivement vers le néant, mais au contraire de prendre place dans l’amour créateur, la mort n’étant dès lors pas une fin, mais le commencement de tout. C’est cette joie que transmet l’œuvre de Paul Claudel, même lorsque des pleurs la parsèment.
La source de l’Écriture
Afin d’échapper aux vents contraires et aux ornières de la vie, Claudel, ce lecteur insatiable de la Bible, s’accroche au roc de la Parole éternelle. Pour lui, il faut ouvrir cette source pour « prendre Dieu au mot ». L’écrivain passera les vingt-cinq dernières années de sa vie à commenter la Bible, rappelle Emmanuel Godo, car la vie ne saurait être qu’une forme de prière, et selon Claudel : « Même pour le simple envol d’un papillon le ciel tout entier est nécessaire ». Le grand homme estimait que la Bible n’avait qu’un auteur, l’Esprit Saint, beau jugement ! Avec la Parole, « le monde cesse d’être un vocable éparpillé, il est devenu un poème, il a un sens, il a un ordre, il vient de quelque chose et il va quelque part […]. Nous tenons là-dedans notre place et notre rôle. Nous sommes associés à une liturgie ».
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“La Vierge à Midi”, un poème d’une incroyable actualité
Ne convient-il pas, dès lors, en ces temps difficiles où le sens de notre vie – et celles de nos proches – se trouve questionné, de retrouver ce “grand poème de l’homme soustrait au hasard” ? Une redécouverte suggérée et guidée par le bel essai d’Emmanuel Godo en un message d’espoir salutaire.
Une saison avec Claudel, Emmanuel Godo, éditions Salvator, novembre 2019, 9 euros.