L’Église est plutôt chahutée ces temps-ci et les croyants n’y sont pas indifférents. Mais cela justifie-t-il de s’alarmer au point de craindre un naufrage ? Un peu de recul aide à résister aux complaisances masochistes.
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La sérénité, la confiance et l’espérance du croyant ne reposent pas sur un aveuglement. Les deux sous de foi que l’on peut avoir n’inspirent ni pessimisme ni optimisme, mais une lucidité qui exclut autant le défaitisme culpabilisé sous le coup des dernières mauvaises nouvelles que l’illusoire sécurité de l’autruche qui se fourre la tête dans le sable pour ne pas voir le danger. Le chrétien n’a pas peur de n’être pas aimé, et seulement d’aimer mal ou pas assez.
Toujours en crise
Première raison de ne pas s’affoler : l’Église a toujours été en crise et le restera jusqu’à la fin des temps. Elle est constamment menacée du dehors parce qu’elle gêne en dénonçant les utopies aussi bien que le cynisme, tandis que les paradoxes de sa foi suscitent l’incrédulité. Et elle se fait du tort à elle-même lorsqu’elle dénature ce qu’elle reçoit d’en-haut, que ce soit en se l’appropriant ou en l’imposant de force. Rien ne permet d’affirmer que le danger est pire que jamais aujourd’hui. Il n’y a pas eu et il n’y aura pas d’âge d’or dans l’histoire du christianisme.
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En effet, la liberté qu’apporte la foi est sans cesse mise à l’épreuve : comment endure-t-elle l’adversité, et reste-t-elle assez disponible pour ne pas verser dans une autonomie aussi précaire que ruineuse ? C’est en ce sens que la vie des fidèles du Christ est une suite de moments critiques — autrement dit en crise permanente. Ce qui n’a rien d’affolant, car « les dons de Dieu sont sans repentir » (Rm 11, 29). Ils amènent à faire des choix parfois difficiles, mais ils sont toujours offerts et même renouvelés sans qu’aucun refus les fasse retirer.
L’Église résiste mieux que d’autres
Une deuxième raison de ne pas paniquer est que les statistiques ne fournissent que des images trop partielles pour être vraiment significatives. La baisse du nombre des pratiquants assidus et de l’influence de l’Église ne doit pas s’apprécier par comparaison uniquement avec le passé, mais aussi avec ce qui arrive en même temps à des institutions de « surface » analogue : que reste-t-il des partis politiques présumés constitutifs du paysage il n’y pas si longtemps ? Et d’une bonne partie des grands quotidiens qui faisaient l’opinion ? Et du 20 heures à la télévision, rendez-vous national chaque soir qui occupait les esprits jusqu’à celui du lendemain ? Et des grandes entreprises étatisées et monopolistiques qui ont été scindées, partiellement ou totalement privatisées et soumises à concurrence ?
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Dans ce contexte où la société tend à se décomposer sans vraiment se recomposer, l’Église qui y est insérée a remarquablement résisté. Dire qu’il n’y a plus en France que deux ou trois pour cent de la population dans les églises chaque dimanche n’est qu’une façon de regarder la réalité. Car cela représente entre un million et demi et deux millions de personnes, et aucune autre organisation ou institution ne rassemble autant de monde aussi régulièrement.
L’horizon débouché par l’écologie ?
C’est que les mutations dans les structures sociales s’observent également dans les modes de vie des personnes. Le développement de la sécurité, du confort et des communications, aux niveaux non seulement des déplacements physiques mais encore des transmissions de messages et d’images en tout genre, fait que chacun, s’il n’est plus absorbé dans le combat pour subvenir à ses besoins immédiats, voit la liberté sans précédent dont il jouit compromise par la surabondance des sollicitations. Tout en se demandant s’il n’est pas manipulé, il est frustré de ne pouvoir jouir de tout ce qui l’intéresse. Et si ce n’est pas par manque de moyens, c’est faute de temps. Quand le champ des possibles et des informations disponibles ne peut même pas être entièrement exploré parce que les journées sont trop courtes, comment trouver une heure pour aller à la messe pendant le weekend ? Surtout quand on n’a pas eu pendant la semaine le loisir de prendre le moindre recul méditatif qui permettrait de (re)découvrir une motivation.
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Il apparaît alors que la désaffection religieuse a des causes bien plus empiriques que théoriques. Ce n’est pas tellement sur l’athéisme dogmatique et militant ni sur une indifférence agnostique intellectuellement fondée que bute la (ré)évangélisation. Ces objections sont plutôt des justifications a posteriori, chez quelques-uns seulement, de difficultés pratiques pour percevoir, au milieu de divertissements (au sens pascalien du terme) qui emplissent tout l’espace, à quel point la gratuité de l’engagement de foi peut être féconde pour éclairer et rendre responsables les choix quotidiens. Mais la prise de conscience actuelle du devoir de vivre plus sobrement, plus sainement, moins égoïstement offre une troisième raison de ne pas désespérer, car le souci de « sauver la planète » soulève des questions salutaires : pourquoi l’homme est-il appelé à ne pas disparaître ? Peut-on se passer d’une anthropologie, voire d’une eschatologie ?
La foi renouvelée et approfondie
Il existe encore une quatrième raison de ne pas se résigner : c’est qu’au cours du siècle écoulé, la foi s’est approfondie. Les catholiques ont redécouvert le Premier Testament. À partir de là, ils ont retrouvé leur enracinement dans le judaïsme toujours vivant et reconstruit leur théologie sur la Révélation, et non plus principalement sur le concept philosophique de Dieu. Ils ont encore révisé leur liturgie en se référant à ses sources et à son histoire. Ils ont enfin intériorisé et personnalisé la démarche religieuse de chacun en développant la notion de spiritualité, autrefois réservée à de rares élus sous le nom de mystique, alors que le tout-venant devait se contenter d’exercices de piété formelle — ce que l’on appelait l’ascèse.
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Toutes ces avancées ne pouvaient pas être largement assimilées d’un seul coup. Elles sont certes jusqu’à un certain point en symbiose avec les mutations dans la culture, notamment la valorisation du « moi » favorisée par la sécurité matérielle. Mais les croyants plus timides ont été déconcertés, superficiellement par le renouvellement des rites, supposés à tort immuables, et surtout sans doute par la radicalisation jusqu’au plus intime de l’engagement exigé. C’est pourquoi la foi paraît désormais marginale et tend involontairement à devenir élitiste : affaire non plus de conformisme sociologique mais d’acceptation individuelle. Les adhésions se font donc une à une. Les techniques empruntées au marketing de masse sont alors d’une efficacité limitée dans l’apostolat, même si elles ne sont pas à mépriser. Et il en va de même pour l’apologétique classique, si les blocages sont bien d’ordre pratique plutôt qu’intellectuel.
Une vocation partageable
Les chrétiens ont alors à témoigner que leur foi n’est pas une obsession où ils s’isoleraient, mais les libère. Évidemment pas en s’enfermant chez soi ni entre soi, ni même seulement pour annoncer la Bonne Nouvelle. Mais en montrant deux choses, rien qu’en ne se cachant pas et en participant à la vie publique : d’une part que la conscience de leur vocation les rend aussi responsables et solidaires que critiques ; et d’autre part que la conversion qui donne d’assumer ces exigences sans désespérer ni de soi ni des autres n’est pas un acquis sécurisant, mais à (re)faire chaque jour, sans qu’il soit jamais trop tard pour personne jusqu’au dernier souffle.