Parce que dans la vie de couple tout ne se déroule pas comme les conjoints le souhaitent, parce qu’avec le temps on s’aperçoit que les imperfections de l’autre peuvent émailler sérieusement le quotidien, il est important de connaître une règle d’or. Celle des petits pardons afin que les frustrations ne se transforment en bombes à retardement…
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Dans mes rencontres avec les jeunes couples en préparation au mariage, j’évoque parfois le mot “ponctualité“. Et neuf fois sur dix, c’est l’occasion pour l’homme de regarder la femme avec un certain air de triomphe… suivi de commentaires qui se ressemblent presque tous : « C’est elle qui est rarement ponctuelle… ce matin encore… mais ce n’est pas grave… ». En revanche, cela a un tout autre effet quand j’emploie le mot “radin“. Dans ce cas-là, le plus souvent, c’est la femme qui regarde l’homme en levant les sourcils. Nous ne sommes pas égaux devant ces quelques travers, pas du tout. Nous sommes peut-être complémentaires, car il est rare, dans un couple, que les époux aient les mêmes caractéristiques. Et c’est plutôt souhaitable…
«Le monde se divise en deux catégories de personnes. Celles qui voient les miettes et celles qui ne les voient pas.»
Pensons à ces petites fragilités, celles de l’un et de l’autre. Elles émaillent le quotidien des couples. Celles qui, pour l’un, sont normales, elles peuvent souvent devenir une source d’énervement pour l’autre. Que faire avec un conjoint qui renifle tout le temps ? Avec un autre qui rit bruyamment ? Une épouse qui lève un peu trop les yeux ? Ou celle qui fait beaucoup trop de gestes quand elle parle ? Il y a aussi ceux qui exagèrent toujours quand ils racontent des histoires, sans parler de ceux qui semblent incapables de mettre leurs vêtements sales dans le panier à linge prévu à cet effet… Comment supporter le style de conduite de l’un ? Comment réagir quand l’autre ne voit jamais les miettes qu’il laisse sur la table… ?
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À propos des miettes justement. Je fais partie de ceux qui en voient partout. Dans ma communauté de prêtres — ils sont tous des hommes comme les autres — je suis le seul qui les voit. Au début, je croyais qu’ils ne faisaient tout simplement pas l’effort de les enlever après avoir coupé du pain. Sur la table donc, il y avait toujours pas mal de miettes. Ce qui était, à mes yeux, évident pour tout le monde. C’est pourquoi je leur ai gentiment fait la remarque que chacun devait les ramasser… Ils m’ont assuré très gentiment qu’ils y feraient attention. Mais rien n’a changé. Avec les années, j’ai fini par comprendre que le monde se divise en deux catégories de personnes. Celles qui voient les miettes et celles qui ne les voient pas. J’ai compris aussi que pour ne pas me fâcher inutilement, je n’avais qu’à enlever les miettes, les miennes et celles des autres. Tout en pardonnant ceux qui appartiennent à l’autre moitié de l’humanité, celle qui ne voit pas les miettes.
“Saint Paul nous dit que l’humilité, la patience et le pardon font intégralement partie du package standard de l’amour chrétien.”
Saint Paul nous ouvre un chemin de réalisme et de lumière : « Puisque vous avez été choisis par Dieu (…) revêtez-vous (…) de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire » (Col 3, 12). Par ces lignes, saint Paul nous dit que l’humilité, la patience et le pardon font intégralement partie du package standard de l’amour chrétien. Ils sont indispensables pour toute relation normale entre deux personnes qui s’aiment. Le mot revêtez-vous suggère d’ailleurs que ces attitudes à adopter par ceux que Dieu a choisi ne sont pas tout à fait naturelles. Elles doivent être choisies consciemment. J’aime beaucoup ce réalisme modéré du christianisme. Il n’est ni un idéalisme naïf d’un amour trop facile, ni un pessimisme ou un déterminisme raides. Se supporter les uns les autres, apprendre la patience et le pardon, cela appartient à la vie normale et quotidienne d’un bon couple chrétien.
Une règle de petits pardons
C’est pourquoi j’aimerais m’arrêter un peu sur cette forme très spécifique du pardon que j’appelle le petit pardon. Il s’agit précisément du “pardon” pour tous les petits tracas, les ennuis les plus ordinaires, ces choses qui dérangent un peu chez l’autre mais que l’on ne peut probablement pas changer. Tout d’abord, il est bien de se rappeler que le jour du mariage, nous avons fait une promesse. Celle de vouloir aimer l’autre dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, tous les jours de la vie. Le fait que l’autre soit parfois un peu plus difficile à supporter, ce n’est aucunement un obstacle sur le chemin de réalisation personnelle ou conjugale. Au contraire. Il permet notre croissance.
“Il est évident que je ne vais pas me mettre à aimer le manque de ponctualité de l’autre, mais je peux apprendre à l’aimer malgré ou même avec cette petite imperfection.”
À mon tour, j’avoue que les petites choses qui m’énervent dans ma relation avec mes confrères, elles m’offrent la possibilité de travailler mon attitude vis-à-vis d’eux, et de vérifier mon degré de charité envers eux. Il convient bien-sûr de distinguer ce qui est la personne de ses propres faiblesses. Le pape Francois dit que « l’autre est plus que sa faiblesse ». Il est évident que je ne vais pas me mettre à aimer le manque de ponctualité de l’autre, mais je peux apprendre à l’aimer malgré ou même avec cette petite imperfection. Mon rôle, en premier lieu, n’est pas de lui dire en quoi il devrait changer, mas plutôt de l’accueillir comme il est. Et c’est ça qui me fera grandir, tous les jours.
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Je pense à cet ami, un peu obsédé par l’ordre dans la maison. Au point qu’il voulait presque divorcer après sept ans de mariage. Il m’a appelé, me demandant si nous pourrions en parler ensemble tous les trois, jusqu’à ce que nous trouvions un chemin de paix. Nous avons prié et réfléchit ensemble. Il s’est alors rappelé qu’il ne s’était pas marié parce que cette femme qu’il aimait était ordonnée. Il l’aimait pour son charme, pour sa créativité et sa chaleur. Il a ainsi choisi de lui “pardonner” d’être un peu moins ordonnée que lui… Il s’est rendu compte que c’était mieux comme ça, pour les enfants, d’avoir un papa très ordonné et une maman très chaleureuse. Ils viennent de célébrer leurs 15 ans de mariage et ils vont bien. J’adore… !
Un règle de trois réalités : pardonner soi-même, l’autre, et la vie
N’oublions pas que ce “petit pardon” ne concerne pas que le conjoint. Il faut aussi se pardonner soi-même, s’accepter avec ses propres défauts, avec ses fragilités, avec ses fautes commises et irréversibles. Et il faut aussi, d’une certaine manière, savoir pardonner la vie ou même pardonner Dieu. Parce que tout, dans notre vie, ne se déroule pas comme nous le voulons. Pour ces trois réalités — soi-même, le conjoint et la vie — je voudrais partager avec vous une règle qui me semble utile. Elle évitera que ces petites frustrations s’accumulent avec le temps, avant qu’elles se transforment en bombes à retardement.
«”Le but est que nous cultivions le désir sincère de vouloir apprendre à mieux aimer l’autre, de vouloir continuer à devenir un bon couple.”»
Quand notre chemin à deux commence, nous avons une certaine idée de nous-mêmes, de notre conjoint et de notre vie future. Forcément, au fil des années, il y a des changements qui touchent ces trois réalités. Il y a des chutes, des déceptions. Si l’une d’entre elles se présente, nous avons deux options :
- Ou bien nous la supportons avec résignation, en nous disant que ce n’est pas grave. Nous la mettons de coté et nous continuons notre chemin. Mais nous n’avons ni intégré ni résolu le problème. Quand cela arrive plusieurs fois et qu’un jour survient un problème majeur, tous ces petits problèmes non intégrés risquent d’exploser en laissant de graves blessures.
- Ou bien nous affrontons le problème. Seul ou à deux, nous réfléchissons pour savoir si nous pouvons le résoudre. Si oui, nous recherchons par quels moyens y parvenir. Si non — et voila une clé importante — nous acceptons ce problème et nous assumons que cet élément, à partir de maintenant, fera partie de notre paysage. Et nous renonçons à nous en plaindre. Nous renouvelons plutôt notre confiance en la grâce du sacrement du mariage. Celle-ci sera toujours disponible en abondance, largement au-delà de nos besoins.
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Tout cela fait partie du bel apprentissage de l’art d’aimer. Le but de la vie de couple n’est pas que nous soyons déjà un couple parfait et admirable. Il est que nous cultivions le désir sincère de vouloir apprendre à mieux aimer l’autre, de vouloir continuer à devenir un bon couple. Alors, nous serons une lumière qui brille dans le brouillard d’un monde parfois quand-même un peu égoïste.