La personne âgée a mauvaise presse en Occident. Pourtant, chacun pressent qu’elle est porteuse d’une sagesse dont il serait grave de se priver.
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En France, les personnes de 65 ans et plus représentent 20% de la population (Insee 2018), chiffre en constante progression. Et dans le monde, ce sont 700 millions de personnes qui ont 60 ans — elles seront 2 milliards en 2050. Dans ces conditions, l’ONU veut chaque 1er octobre par une Journée internationale de la personne âgée encourager les actions permettant l’inclusion de cette génération dans la société. « La lutte contre la discrimination fondée sur l’âge et la promotion de la dignité des personnes âgées sont essentielles pour que ces personnes jouissent du respect qu’elles méritent. » Car la « culture du rejet », selon les mots du pape François, nous guette à tout instant : Cette culture du rejet dit : “Tu es vieux, dehors ! (…) Tu es vieux, oui, mais tu as tant de choses à nous dire, à nous raconter, sur l’histoire, la culture, la vie, les valeurs…”
Marie de Hennezel, auteur de Et si vieillir libérait la tendresse et membre active de l’association « OLD’UP, plus si jeunes mais pas si vieux », souligne auprès de Aleteia comment ceux qui avancent en âge, contribue à enrichir la société.
Aleteia : Aujourd’hui, en France, associer personne âgée et trésor n’est pas si simple ! Qu’en pensez-vous ?
Marie de Hennezel : Le constat est clair : nos Aînés ne sont pas du tout des trésors ! En Occident, nous avons une très mauvaise image de la vieillesse : les personnes âgées se sentent exclues, au bord du chemin, elles ont honte ! Mais ce n’est pas partout comme ça. Lors d’un voyage sur l’île d’Okinawa, au Japon, j’ai découvert que les très nombreux centenaires étaient considérés comme des trésors et des porte bonheur par leur entourage ! Nous avons encore du chemin à faire pour en arriver là… Pourtant, nous avons nos centenaires et nous les avons nous aussi nos trésors, dans nos familles ! Mais nous ne mettons pas le projecteur dessus.
Comment se fait-il que la personne âgée ne soit pas perçue comme un trésor ?
Nous avons une si mauvaise image de la vieillesse ! Vous savez, c’est très difficile d’avancer en âge dans notre société. Les crèmes « anti-âge » en sont une expression très révélatrice : l’âge est un ennemi ! Interdit de vieillir ! Car la vieillesse est vue seulement comme une diminution, une perte… Et pourtant, quand j’anime mes séminaires sur le « bien vieillir », je demande aux participants d’apporter la photo d’une personne âgée qu’ils connaissent et qui leur donne envie de vieillir ! Et chacun a toujours un modèle de personne très âgée considérée comme trésor !
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Vieillir, c’est difficile disent souvent les personnes concernées, et vous qu’en dites-vous ?
Le paradoxe de vieillir est parfaitement illustré par Victor Hugo qui dit ceci : « Je ne vieillis pas, au contraire ! Mon corps décline, mais ma pensée croît ». L’homme extérieur est appelé à décliner — c’est le temps corrupteur — mais il y a des aspects de la personne qui ne sont pas appelés à être corrompus. Il y a une éclosion, une ouverture du cœur, une curiosité d’esprit, un désir d’aimer et d’être aimée, une énergie vitale qui renvoient à une réalité qui n’est pas appelée à être corrompue. J’aime aussi ces mots d’Albert Jacquard : « À 86 ans, bien sûr je cours moins vite je saute moins haut mais tant que je peux fabriquer en moi des émotions nouvelles, m’enrichir au contact des autres et enrichir les autres, je suis vieux au sens africain du mot : quelqu’un vers qui on va comme vers une source ». Voilà comment je perçois la vieillesse aujourd’hui : un mouvement naturel de l’âge vers cette éclosion de l’être, ce qui demande évidemment un lâcher-prise par rapport au déclin du corps.
Si la personne âgée est une source, elle est un trésor ! Quel est donc son rôle irremplaçable ?
Chaque âge a sa caractéristique, son objectif, sa fonction. Selon Jung, la première de la vie est là pour construire sa vie (travail, famille, amitié…) et l’on y met toute son énergie. Puis, dans la seconde partie, on déplace cette énergie du moi vers le Soi (son intériorité). Avec l’avancée en âge, il y a donc un mouvement qui va de l’extérieur vers l’intérieur… Si on a la chance de vieillir et de vivre ce troisième, quatrième, cinquième âge — moi qui ai longtemps travaillé en Soins Palliatifs, je dis bien « chance » — ce n’est pas pour rien, c’est pour quelque chose ! Je suis convaincue que le grand âge est donné pour pouvoir voyager vers son intériorité, chercher au fond de soi les trésors inexplorés dans sa jeunesse. Oui, le grand âge est fait pour l’intériorité ! Ce voyage intérieur ne veut pas dire repli sur soi mais à aller puiser dans sa profondeur, revisiter sa vie, en découvrir le fil rouge...
En somme vous nous dites que la personne âgée est une grande contemplative !
Spinoza a dit : « nous expérimentons que nous sommes éternels ». La personne âgée qui vit dans le présent fait l’expérience que ce qui a été est. Le rapport au temps change quand on est vieux. Le jeune est dans un temps constructeur, la personne âgée dans un temps corrupteur, qui entraîne la diminution physique, mais permet l’éclosion de l’être. Cette dimension n’a rien à voir avec l’argent ou la culture ! J’ai rencontré des personnes très simples qui savent cela : des vieilles femmes, veuves de pêcheurs, qui demandent à aller vers des endroits qu’elles ont connus pour regarder le coucher du soleil. Elles sont devenues contemplatives. Elles ont une joie intérieure, et elles rayonnent cette joie autour d’elles.
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Justement, la Journée internationale des Personnes Âgées est là pour aider à leur inclusion, leur rayonnement !
Oui, c’est une bonne chose de sensibiliser à cette question. Il est vrai que la société doit changer son regard sur nos Aînés. Attendre d’eux qu’ils agissent comme des jeunes est une erreur ! Ils apportent autre chose, et c’est cet « autre chose » que la société est invitée à découvrir. Le film Sous le figuier — avec Gisele Casadeus, âgée de 96 ans — en est l’illustration. Celui-ci met le projecteur sur cette très vieille dame assise sous un figuier : elle est juste présente et tous les jeunes viennent vers elle car elle leur fait du bien. Elle les écoute. Les jeunes ont besoin de venir près d’elle, c’est elle qui les aide à vivre alors qu’ils venaient pour l’aider à mourir ! Elle est là tranquille, c’est très précieux. On rejoint là cette dimension contemplative…
Nos Aînés sont aussi des trésors car ils ont beaucoup à transmettre aussi ?
Dans les « Résidences Senior » où j’anime des groupes de paroles L’aventure de vieillir, les personnes âgées s’expriment librement. Elles disent ce qu’elles vivent d’heureux, d’intéressant, de fécond. Elles continuent à vivre, à désirer, vouloir apprendre, expérimenter qu’il y a du nouveau à vivre, et sont heureuses ! C’est extraordinaire ! Elles ont également une vie intérieure très riche et sont d’une grande sagesse. Et je constate que le lien inter-générationnel est bien là mais il s’est déplacé. La transmission se fait toujours d’une génération à l’autre mais pas forcément au sein des familles. Le personnel proche des Aînés me le dit : « nous apprenons tant auprès des personnes âgées » ! En ça elles sont des trésors.
Mais comment faire concrètement pour vivre cette réalité ? Surtout que certains Aînés sont parfois acariâtres…
Les gens de ma génération — les « boomers » — réfléchissent à cette question car nous avons envie de faire de la vieillesse une expérience heureuse, féconde, intéressante. Surtout, nous avons envie d’être des trésors pour la société, et sûrement pas des Aînés acariâtres ! Si la personne vieillissante comprend que, pour attirer les autres, elle doit travailler sur sa tranquillité intérieure, sa disponibilité, sa bienveillance, l’acceptation de ce qui est, elle ne va pas faire le vide autour d’elle, au contraire ! Elle va créer son inclusion, elle va en être l’actrice, et permettre ainsi aux uns et aux autres d’accéder à sa richesse. La génération d’au-dessus a vieilli sur des modèles anciens où l’on était encore dans sa famille mais ce n’est plus comme ça. Un de mes enfants vit à l’étranger, je sais qu’il ne sera pas près de moi dans ma grande vieillesse ! Mais avec les moyens de communication actuels (mails, sms…) la personne âgée peut rayonner, transmettre ses valeurs même si ses proches ne sont pas là physiquement ! Par un petit mot, elle peut beaucoup apporter, rayonner, transmettre ses valeurs. Si par exemple, au lieu de se plaindre, elle dit à son petit-fils : « je suis fière de toi ! » ça change tout !
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En famille, que conseillez-vous de faire pour que nos Aînés soient traités comme des trésors ?
À mon avis, on met trop l’accent sur le fait de s’occuper des personnes âgées ! Les jeunes et les adultes sont accaparés par leur quotidien, c’est normal, et ils ne vont pas changer dans un claquement de doigt. Dire à ses enfants ou petits-enfants : « il faut aller les voir, il faut ne pas les laisser seuls », c’est important bien sûr — tout comme les fêtes de famille, les rituels, les rendez-vous fixes — d’ailleurs, les personnes qui vieillissent peuvent elles-mêmes être à l’initiative d’un déjeuner, d’une invitation, d’une visite au musée. Mais pour moi, il y a une autre voie, celle d’un changement qui doit venir de la part de la personne âgée.
Vous renversez les choses alors ….
Oui, si l’on veut ! Pour moi, c’est à la personne qui vieillit de changer elle-même son regard sur ce qu’elle vit, et se percevoir comme un trésor ! Quand j’interviens auprès de personnes autonomes — qui le veulent et font tout pour le rester — celles-ci savent que si elles retrouvent l’estime d’elles mêmes, elles ont beaucoup plus de chances de rester autonomes. Car la perte de l’estime de soi est corrélée à la perte d’autonomie : on a honte d’être vieux, on baisse les bras, on ne sert à rien… et on chute. C’est la spirale négative. Mais si la personne âgée pense : « ce que je vis est différent et intéressant, j’ai une richesse à apporter aux autres », alors elle se redresse. Elle est dans une spirale positive. Je parle d’autonomie physique bien sûr mais aussi d’autonomie intérieure : qu’elle puisse encore faire ses choix, dire ce qu’elle souhaite, ne pas laisser les autres décider à sa place… La personne vieillissante ne demande pas à ce qu’on s’occupe d’elle, elle veut juste qu’on s’intéresse à elle par des questions simples : « Dis-moi comment tu vois les choses ? Que désires-tu ? » La meilleure façon d’accompagner nos Aînés, c’est de leur dire : « Tu peux toi-même changer les choses » !
Et si vieillir libérait la tendresse, par Marie de Hennezel et Philippe Gutton, éditions In Press, 14,90 euros.