VISAGES DE MISSIONNAIRES (3/5) « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples », nous dit l’Évangile de Matthieu. Depuis 2.000 ans, l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia vous propose de découvrir différents visages de missionnaires, issus de communautés variées. Découvrez aujourd’hui sœur Judith et sœur Marie-Jeanne, en mission dans le Kansas.Kansas City, Midwest, cœur de l’Amérique. Cette ville de 500.000 habitants se situe au confluent des rivières Missouri et Kansas, à la frontière entre les deux États du même nom. Délaissé depuis les années 1950, le centre-ville a été abandonné aux pauvres tandis que des quartiers résidentiels se sont construits plus loin. Dans ce lieu où se croisent laissés-pour-compte, drogués et sans-abri, vivent en majeure partie des Mexicains ou des Mexicanos-Américains (ils représentent de 80 à 90% de la population), mais aussi des réfugiés népalais ou birmans et des familles américaines de type occidental très précaires. Pour tout décor, un poste de police, une prison, une mairie, la soupe populaire et quelques échoppes mexicaines. Un no man’s land où sévissent de nombreux gangs de quartiers et dans lequel coups de feu et mugissements des sirènes de police font partie du ronron quotidien. Ce pays connu pour ses plaines est également une région de tornades. Elles peuvent dévaster une maison en un clin d’œil, emportant tout du jour au lendemain. C’est dans cette région, au cœur de cette ville-fantôme digne d’un album de Lucky Luke, que vivent sœur Judith, 43 ans, et sœur Marie-Jeanne, 34 ans. Elles appartiennent aux Petites sœurs de l’Agneau. Cette communauté, créée en France en 1983, a ensuite essaimé en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis. Elle appartient à la famille dominicaine.
“Il y a des ponts qui se font”
“Nous nous sentons démunies et nous puisons la force dans la prière. Il y a comme une violence justifiée, à un certain niveau. Un prisonnier sur cinq dans le monde est incarcéré aux États-Unis. Ici, les services sociaux ne sont pas développés comme en Europe. L’argent coule à flots et en même temps il y a un peuple immense de pauvres”, regrette sœur Marie-Jeanne.
“C’est un pays plein de contradictions avec d’importants contrastes au niveau social et économique. Et en même temps, on voit de forts élans de générosité”, renchérit sœur Judith. “Il y a des ponts qui se font grâce à ce peuple américain qui a une générosité et des qualités spirituelles très grandes. C’est un peuple très engagé qui a un cœur ouvert, un cœur d’enfant”, poursuit-elle. Pour sœur Marie-Jeanne, “Dieu fait partie de la vie des gens. Même s’il y a des cloisonnements et des endurcissements comme partout, les gens nous accueillent à leur table parce que nous sommes missionnaires. Nous chantons les psaumes ensemble. Ici, c’est comme l’Évangile tout neuf, l’Évangile vivant”.
Le quartier s’est senti très honoré par la venue des religieuses. Arrivées sur place il y a onze ans, elles ont construit leur petit monastère grâce au soutien des habitants, de tous milieux confondus, qui les ont aidées très concrètement, de la peinture à la pose de l’enduit jusqu’à l’application de la lasure. Aujourd’hui, elles sont neuf à y vivre et nombreux sont ceux qui viennent prier dans leur petite chapelle en bois de 100 mètres carrés et participer au relais d’adoration ouvert à tous. Le petit monastère rayonne tel un phare de lumière au milieu d’un ghetto. Sœur Marie-Jeanne résume la situation à sa façon : “Notre quartier, c’est le quart-monde. Derrière chaque porte, il y a une histoire dramatique. Mais les gens sont debout. La foi n’a pas été mise dehors, ça c’est magnifique”.
“De cette contemplation nous sortons en mission”
Chaque jour, les sœurs se lèvent à 5h50 et commencent à prier à 6h30. Elles essaient d’apprendre par cœur l’Évangile du jour pour qu’il imprègne leurs cœurs et pratiquent la “manducation” de la Parole de Dieu, c’est-à-dire qu’elles la mastiquent tout au long de la journée, un peu comme on le ferait avec une gomme à mâcher. Une activité tout à fait appropriée dans ce pays considéré comme le berceau du chewing-gum. “De cette contemplation nous sortons en mission”, explique sœur Judith. Après l’office du milieu du jour, telles de (gentils) Dalton du Christ, elles partent à deux ou trois mendier du pain, ou se joignent à la soupe populaire pour déjeuner au milieu des plus pauvres. Elles frappent à la porte des gens “en signe de ce Dieu qui se fait mendiant et qui s’abaisse”. Pour elles, c’est faire l’expérience de l’abandon dans les mains de Dieu. “Toutes les réponses sont possibles mais nous ne manquons jamais de rien. Nous ne sommes jamais étonnées que les gens nous disent non. D’une certaine manière, c’est normal”, confie sœur Judith.
Ces sœurs mendiantes qui arpentent quotidiennement les rues de la ville en égrenant leurs chapelets pour diffuser la lumière de l’Évangile font office de phénomène. D’autant plus que là-bas, la voiture est reine et les habitants se déplacent très peu à pied. “Do you want a ride, sister ?” (“Voulez-vous que je vous dépose quelque part, ma sœur ?”), leur demandent gentiment les passants quand ils les voient. Cette singularité leur vaut le joli surnom de « sœurs qui marchent ». L’après-midi, elles visitent les familles puis se retrouvent chaque soir pour la messe quotidienne dans leur petite chapelle. Le samedi midi, elles ouvrent leur table à tous leurs amis pour que tous soient assis ensemble. La tablée est composite : “Il y a aussi bien des “Blancs américains” plus aisés que des Mexicains et ils se demandent des nouvelles les uns aux autres », expliquent-elles. Pour que chacun se sente accueilli, les échanges se font en anglais et en espagnol. “C’est vraiment le monastère qui permet ces rencontres, comme un lieu source”, ajoutent-elles.
Les sœurs sont témoins de beaux liens d’amitié entre Mexicanos-Américains et Euro-américains. Elles évoquent Ann, une mère de famille de cinq enfants, qui voulait que ses enfants apprennent à ouvrir leurs cœurs à travers le partage. Accompagnés de quelques sœurs, les membres de la famille sont allés frapper à la porte d’une maison pour offrir des jouets aux enfants. Là-bas vivait un couple sans papiers d’origine mexicaine et ses huit enfants. S’il a fallu briser la glace, les deux familles ont vécu une vraie rencontre. Les sœurs citent également l’exemple de Mario et Rosalia, Mexicains, qui ont demandé à Mike et son épouse, un couple d’Euro-Américains, d’être parrain et marraine de leur petite fille Saraï. “Ils ne font pas trempette les uns avec les autres, ils sont comme des frères. L’amitié est possible, les murs tombent”, lance sœur Marie-Jeanne avec conviction. Les deux missionnaires donnent aussi l’exemple de Luis, père de famille de deux enfants, qui passait tous les jours prier à la chapelle en suppliant Dieu de venir à son aide. Sa femme avait été arrêtée puis emprisonnée car elle avait voulu passer la frontière illégalement. Pour les sœurs, la situation semblait insoluble. Un jour, pourtant, elle est revenue et a même reçu un permis de travail. “C’était matériellement impossible”, s’exclame sœur Marie-Jeanne. “C’était comme le miracle de la foi des petits”. Elle ajoute : “Nous aussi nous sommes évangélisées par ces missions. Il y a la nuit du péché et de la pauvreté mais cette lumière d’espérance est plus forte”.
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