Par Jésus-Christ, l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont réunis en un seul mouvement. En lui, la vertu de charité couronne le don de la foi et le don de l’espérance.
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Les allégories catholiques de la Charité peuvent surprendre car elles représentent souvent un vieillard chenu tétant goulûment comme un nourrisson le sein d’une femme plantureuse. Il s’agit de la charité romaine qui nourrit ceux qui sont décrépis et affamés, ceci sans se lasser. En France, le XVIIe siècle s’est plu à camper une mère de famille prenant soin de ses enfants et les allaitant.
La grenade, un sang qui vivifie
Le tableau de Philippe de Champaigne, utilisé comme illustration de ce propos, est particulièrement profond. On y reconnaît l’origine flamande du peintre car la femme majestueuse et souriante qui occupe la place principale possède des traits rubéniens. Elle est harcelée par trois enfants dodus, l’un occupé à sucer son lait, le second, un peu en arrière, plongeant son regard dans celui de sa mère, et le troisième, se haussant sur la pointe des pieds, essayant d’atteindre la grenade écorcée que tient délicatement la Charité sur la tête de laquelle plane le feu du Saint-Esprit. La grenade est le symbole du Corps du Christ : les grains serrés et rouges sont comme son sang qui vivifie ceux qui le boivent. Ces grains sont inépuisables. La légende rapporte qu’ils sont au nombre de 613, le nombre de lois du Pentateuque, donc la perfection de la Torah donnée à Moïse. Le Christ étant la véritable et unique Loi, il est cette grenade qui est partagée entre tous sans jamais être épuisée.
L’union de l’amour de Dieu et du prochain
Qu’est-ce que la charité ? La réponse est simple : elle est l’amour de Dieu pour lui-même et l’amour du prochain. C’est un double mouvement qui n’en fait qu’un. Il est souvent soutenu que ce commandement d’amour prêché par le Christ n’apporte rien de nouveau par rapport à l’Ancien Testament. Ceci n’est pas vrai. L’ancienne Alliance parle en effet de l’amour de Dieu, et aussi de l’amour du prochain, mais Notre Seigneur est celui qui unit les deux en un seul, ce qui est bien normal puisqu’il est lui-même le couronnement et la perfection de la Loi. Ainsi, le Deutéronome 6, 5, où Moïse rapporte ce que Dieu veut : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme, et de toutes vos forces », et le Lévitique 19, 18, où il répète aussi ce que Dieu attend de son peuple : « Vous aimerez votre ami comme vous-même. »
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Les deux injonctions sont séparées l’un de l’autre, perdues dans la multitude des règles et des commandements. Le Christ va opérer une révolution en associant les deux lorsqu’il répond au piège tendu par les pharisiens : « Maître, quel est le grand commandement de la loi ? » (Mt 22, 36). Jésus livre alors le cœur de la Loi : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C’est là le premier et le plus grand commandement. Et voici le second qui est semblable à celui-là : vous aimerez votre prochain comme vous-même. » Une hiérarchie subsiste cependant dans cette union puisque l’amour de Dieu doit précéder l’amour du prochain sinon ce dernier serait stérile.
Un feu qui doit se répandre partout
De plus, le Christ va élargir l’idée d’ami, de prochain. Lorsqu’un scribe, lui aussi tentant de prendre Jésus en faute, lui demande : « Qui est mon prochain ? » (Lc 10, 29), le Maître va raconter la parabole du bon samaritain, ne réduisant plus le prochain à la catégorie de ceux qui appartiennent au peuple élu : tout homme est le prochain, y compris un hérétique et un schismatique. La charité ne connaît plus de frontière. Elle n’est plus une règle à mettre en pratique au sein d’une communauté limitée, elle est un feu qui doit se répandre partout. Elle est une grenade éclatée et ouverte et chacun doit pouvoir en grignoter un grain. Elle est donc la reine des vertus, celle qui ne passera jamais, comme le chante saint Paul dans son hymne de la Première épître aux Corinthiens 13, 8 : « La charité ne finira jamais. Les prophéties n’auront plus de lieu, les langues cesseront, et la science sera abolie. » S’adressant aux Colossiens dans une autre épître, l’apôtre des Gentils précisera : « Mais surtout revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection ».
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La plus grande des vertus
Voilà pourquoi saint Thomas d’Aquin consacrera un traité très long et riche à expliquer ce qu’est la charité, vertu théologale (Somme théologique II-IIae, q.23-46). Il commentera notamment les mots de saint Paul dans la Première épître aux Corinthiens 13, 13 : « De ces trois vertus (foi, espérance et charité), la plus grande est la charité. » La charité atteint Dieu « tel qu’il subsiste en lui-même, et non pas en tant que de lui quelque chose nous survient » écrit le Docteur angélique.
Chronologiquement — si l’on peut employer ici cette expression, la charité est la troisième des vertus théologales. Il faut d’abord que notre conscience s’éveille à Dieu, parce qu’elle est « capable » de Dieu, ceci par la foi qui est notre assentiment aux vérités révélées qui ne peuvent être saisies par l’exercice de notre simple raison. Ensuite, la foi a besoin d’être tenue en haleine en quelque sorte car, sinon, notre volonté flanche et nous retombons dans l’indifférence ou l’incrédulité. D’où l’espérance qui nous laisse entrevoir la béatitude qui nous comblera vraiment. La charité entre alors en jeu, comme un couronnement, une « transfiguration de la conscience surnaturelle » pour reprendre l’expression du père Gardeil.
La hiérarchie dans la charité
Nous ne réalisons pas suffisamment que le péché mortel nous prive de la charité puisqu’il nous fait perdre la grâce sanctifiante, tandis que nous conservons cependant la foi et l’espérance, ce qui nous permet de nous ressaisir, de nous relever, de nous repentir. Notre expérience du péché nous fait bien toucher du doigt à quel point la charité est précieuse, principe vital et mobile souverain. Le sujet de la charité est bien notre volonté, et son objet est ceux que doit viser sa dilection, à savoir Dieu, nous-mêmes et le prochain. Ainsi existe-t-il un ordre formel, une hiérarchie dans la charité.
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Cependant cette logique n’est pas rigide car l’aspect subjectif de la charité, selon les circonstances, nuancera cet ordre préexistant. Saint Thomas d’Aquin développe avec beaucoup de détail et de finesse cet ordre de la charité. Il n’en reste pas moins que le premier qui doit être servi est bien entendu Dieu, origine de toute charité : « C’est […] Dieu qui par la charité doit être aimé principalement et par-dessus tout : il est aimé, en effet, comme la cause de la béatitude, tandis que le prochain est aimé comme participant en même temps que nous à la béatitude » (q.26, art.2, conclusion). La charité envers Dieu n’est pas d’une autre essence que celle envers le prochain. Il s’agit d’une différence de degré et de priorité, mais il n’existe pas de charité « première qualité » et une autre de second choix, contrairement à la nourriture industrielle qui s’étale dans nos magasins. L’inégalité ne réside que dans la première place à donner. Ceci vaut aussi pour l’amour du prochain. Notre Docteur a raison de souligner le point suivant : « […] Même sous le rapport de l’affection, il convient qu’il y ait des inégalités dans notre amour du prochain. Et en voici la raison : Dieu et celui qui aime étant les principes de l’amour, il est nécessaire qu’il y ait un plus grand sentiment de dilection, selon que celui qui en est l’objet est plus rapproché de l’un de ces deux principes » (q.26, art.6, conclusion). Ce qui signifie que celui qui prétend aimer passionnément ceux qu’il ne voit que sur son écran de télévision et qui délaisse sa vieille mère dans un taudis, ne vit aucune charité qui, là encore, doit être bien ordonnée. Commençons par aimer les membres de notre famille, les membres de notre communauté, les membres de notre pays, avant de loucher ailleurs en étalant de grands sentiments qui ne reposent pas sur la charité de Dieu.
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« Son cœur fondait »
Pour refermer cette trop brève réflexion, contemplons Celle qui a vécu de la charité parfaite puisqu’elle l’a portée en son sein, la Très Sainte Vierge Marie. Charles Péguy, dans justement Le Mystère de la Charité, la campe alors qu’elle suit son Fils vers le Calvaire :
« Elle pleurait. Elle fondait. Son cœur fondait.
Son corps se fondait.
Elle fondait de bonté.
De charité. »
La charité, vraiment vécue comme vertu théologale, fait fondre l’être et le remodèle à son image. Voilà pourquoi les grands saints nous étonnent tellement et provoquent notre admiration. Ils ont fondu et une autre matière a pris la place de leur chair périssable : la charité qui ne meurt jamais et qui trônera dans l’éternité.