« Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples », nous dit l’Évangile de Matthieu. Depuis ses origines, l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia propose de vous montrer différents visages de missionnaires. Découvrez aujourd’hui sœur Monique Lorrain, de la communauté des xavières, qui rend visite aux prisonniers de la prison de Korhogo, en Côte d’Ivoire.
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Korhogo, ville grouillante et bigarrée. Korhogo, lieu vivant de la tradition culturelle sénoufo. Korhogo, capitale du nord de la Côte d’Ivoire. Située à plus de 600 kilomètres d’Abidjan, la cité ivoirienne de 250.000 habitants s’est relevée après la rébellion armée des années 2002 à 2011. Chaque semaine, sœur Monique, 70 ans, se rend à la prison de la ville. Le jeudi, elle rend visite aux hommes. Le vendredi, aux femmes et aux mineurs. Les murs de la prison peuvent en principe accueillir 150 prisonniers. En ce moment, ils sont 450 à être incarcérés.
Un miracle permanent
« Quand nous arrivons, raconte-t-elle, on nous enferme dans la cellule avec les prisonniers. Nous dégageons un espace, puis nous installons des nattes sur le sol pour ceux qui veulent se joindre à la prière. Nous chantons avec les tam-tams, nous prions, puis vient le temps de la catéchèse. Certaines figures de la Bible parlent de façon très forte aux détenus, comme Joseph, saint Paul ou saint Jean-Baptiste, qui ont eux aussi fait l’expérience de la prison. Nous essayons d’éveiller une parole personnelle afin qu’ils puissent s’habiter eux-mêmes sous le regard de Dieu, malgré cette promiscuité. Pour moi, c’est une belle communauté évangélique… Quelques-uns parmi eux se préparent même au baptême. Cette prison est un miracle permanent ».
La sœur au grand cœur insiste. « Ces hommes sont vraiment missionnaires entre eux. Ils ont un sens de l’accueil tellement fort que d’autres détenus se mettent à prier à leur contact ». Elle se souvient avec gratitude de ce jeudi qui a suivi Pâques. « Alors que nous étions assis, l’un des hommes s’est levé et m’a donné une enveloppe. Elle contenait 20.000 francs CFA, ce qui représente environ 30 euros. C’était l’offrande de Carême des hommes du groupe. Ils avaient économisé et s’étaient privés. J’en ai eu les larmes aux yeux. Avec cet argent, j’ai pu acheter de l’huile et du riz pour les femmes de l’hôpital. Le Royaume est là, au cœur de tout ça. Ici, je suis témoin de l’œuvre de Dieu. Rien ne peut nous séparer de son amour, pas même la prison », confie-t-elle, non sans émotion.
Jusqu’à 500 prisonniers
Sœur Monique effectue ses visites hebdomadaires en compagnie de Joséphine, une femme ivoirienne. « Nous nous complétons très bien », explique-t-elle. En effet, les détenus parlent des langues variées qu’elle-même ne maîtrise pas. Là-bas, on s’exprime essentiellement en dioula (la langue utilisée sur les marchés et par les musulmans) ou en senoufo (le dialecte des Senoufos, une grande ethnie du nord de la Côte d’Ivoire et du sud du Mali). Les prisonniers sont là pour des motifs variés, du vol d’un téléphone à l’abus de confiance financier en passant par le viol ou le meurtre. La majorité d’entre eux sont en situation de pauvreté ou de grande pauvreté. Parmi eux, une grande majorité de musulmans, mais aussi des animistes et un petit noyau de chrétiens originaires de différentes Églises.
Dans chacune des grandes cellules, 160 hommes. Femmes et mineurs sont quant à eux enfermés dans des cellules séparées. Selon sœur Monique, le nombre de détenus augmente chaque semaine. Il est monté jusqu’à 500. Chaque cellule dispose d’une cour attenante et de ses propres latrines. En haut, des petites fenêtres protégées par des barreaux. Les détenus y accrochent de grands sacs en plastique qui contiennent leurs effets personnels. La nuit, on déplie des nattes. Un univers tout de béton, sans un arbre à l’horizon. L’inactivité est très forte : la plupart des prisonniers restent assis dans la cour du matin au soir. Parfois, en raison des coupures d’eau, ils ne peuvent plus laver leur linge ni faire leur toilette. Un lieu, donc, où règne une certaine précarité.
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Khalifa est le plus ancien détenu de la prison. Ce père de famille de six enfants est incarcéré depuis 6 ans pour une sombre histoire de meurtre familial. Son innocence vient d’être confirmée, mais il attend toujours son jugement, qui vient d’être reporté à l’année prochaine. En effet, à Korhogo, les assises n’ont lieu qu’une fois par an. Et pourtant, cet homme confiant remet tout dans la main de Dieu. Il guide la communauté chrétienne de la prison. Beaucoup ont découvert la foi grâce à lui. Pour sœur Monique, il fait partie des « saints d’aujourd’hui ». « Quelle injustice ! », s’exclame-t-elle. Avant d’ajouter : « Et en même temps, Dieu se sert de tout ». La mission est exigeante et elle traîne parfois les pieds au moment de partir en visite. Mais quand à son retour, ses sœurs lui lancent qu’elle a “une de ces pêches” quand elle revient de la prison, elle est confirmée dans son apostolat.
“Le Royaume est là, au cœur de tout ça”
La prison de Korhogo est un établissement pénitentiaire à visage humain. La religieuse poursuit : « Quand j’ai été à la prison de Yaoundé, au Cameroun, qui accueille 5.000 détenus, j’ai été témoin d’une énorme violence. Ici, le régisseur et le personnel font tout pour améliorer le sort des détenus. Le personnel est bien formé et chacun est traité avec respect. L’établissement accueille également entre dix et vingt mineurs, qui ont de 15 à 18 ans. Comme nous sommes les seules femmes qu’ils voient, nous exerçons un rôle un peu maternel auprès d’eux. Une grande confiance s’est installée entre nous. La plupart n’ont pas été éduqués. Ils me touchent beaucoup car ils sont avides d’avoir des repères. Ils me demandent de leur parler des commandements de Dieu. La prison est un lieu de violence, mais on y trouve aussi de la douceur ».
Le personnel est très coopératif. La sœur évoque une messe de Noël. “À cette occasion, le régisseur avait commandé des chaises et des bâches car il avait à cœur que les prisonniers soient bien installés. La messe avait été célébrée dans un petit jardin auquel les détenus n’ont en général pas accès, et non dans une cellule”. Cerise sur le gâteau, grâce au procureur, une chorale extérieure avait animé la messe avec des balafons (instruments de percussion d’Afrique occidentale). Après la célébration, les prisonniers avaient dansé pendant une demi-heure.
“Père, pardonne-leur…”
Là-bas, on compte une vingtaine de femmes. Beaucoup sont là pour des homicides, parfois pour du proxénétisme ou du détournement de fonds. « Elles viennent d’horizons très variés”, explique la religieuse. “Avec elles, nous jonglons entre cinq et six langues. C’est une véritable Pentecôte ! Certaines n’ont jamais de visites ou n’ont pas de famille. Les autres femmes leur fournissent ce dont elles ont besoin. Ici, il y a une vraie culture du partage ». « Notre passage est un moment très important », souligne-telle. « C’est très dur car nous sommes témoins d’une souffrance morale très éprouvante, et en même temps, cette grande solidarité est source d’une grande joie. Je crois que Dieu leur fait don de cette joie intérieure ».
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Depuis cinq mois, sœur Monique va régulièrement visiter à l’hôpital une femme de 29 ans qui a assassiné ses trois enfants avant d’essayer de se suicider. Elle n’est pas morte, mais a été défigurée. Pour le moment, elle est soignée à l’hôpital en attendant le jugement. « J’ai senti qu’il fallait que j’aille la voir », témoigne la missionnaire. « Cela m’éprouve beaucoup. Et pourtant, cette femme est aimée de Dieu et sauvée par lui. Ça me rabote au plus profond ». « Quel poids de souffrance et de détresse peuvent faire perdre la tête à ce point ? », s’interroge-t-elle. “C’est compliqué d’assumer la responsabilité de ce que l’on a fait”, explique-t-elle. “Quand les actes sont graves, on cherche des excuses. C’est très difficile de se dire à soi-même “j’ai tué”. Certains n’ont n’ont pas conscience de la gravité du mal qu’ils ont fait. Quand je les vois, je pense à cette phrase : “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font”. Ceux qui font les plus beaux parcours sont ceux qui réussissent à assumer la gravité des actes qu’ils ont posé”.
Le “virus” de l’Afrique
Sœur Monique vit à Korhogo avec deux autres sœurs. Elles attendent l’arrivée d’une quatrième religieuse. À 70 ans, elle vient de fêter ses 50 ans de vie religieuses chez les xavières. Alors qu’elle n’avait pas 18 ans, la jeune tourangelle, aventurière dans l’âme, est partie passer un an en Côte d’Ivoire comme missionnaire laïque (l’équivalent d’un volontaire associatif d’aujourd’hui). « L’Afrique m’a conquise. C’est là que j’ai pris le virus », lance-t-elle. Elle est alors touchée par cette culture où les relations sont prépondérantes et où “le visage du Christ se reflète de différentes façons selon les cultures ».
« Depuis toute petite, aussi loin que remontent mes souvenirs, je savais que ma vie serait donnée à Dieu. Pour moi, c’est le mystère de l’appel gratuit de Dieu ». La jeune femme porte alors en elle ce souci très fort de tous ceux qui ne connaissent pas l’Église. Elle est frappée par une phrase de Claire Monestès, fondatrice de cette communauté missionnaire : « Ayons la hantise de ceux qui […] sont loin de l’Église ». Alors qu’elle ne vient pas d’une famille particulièrement religieuse, elle entre chez les xavières à l’âge de vingt ans. Elle est envoyée successivement au Tchad, puis au Cameroun, au Burkina Faso, et enfin en Côte d’Ivoire, où elle réside depuis l’année 2009. Et cet ange gardien des prisonniers affirme avec douceur en guise de conclusion : “La prison est un lieu de passions. Mais même là où il y a le plus de passions, ensuite, vient la Résurrection”.