Au Nigeria, des centaines de personnes ont été tuées ces dernières semaines dans des attaques de bergers nomades Peuls contre les paysans, chrétiens en majorité. L’Église craint une véritable épuration ethnique.
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Dans une déclaration publiée le 29 juin dernier, jour de la fête des saints apôtres Pierre et Paul, les évêques catholiques du Nigeria ont une fois de plus demandé au président Muhammadu Buhari de démissionner s’il ne pouvait pas garantir la paix et la stabilité dans son pays. Avec plus de 190 millions d’habitants, le Nigéria est le pays plus peuplé de toute l’Afrique.
Dans le texte signé par le président de la Conférence des évêques catholiques du Nigéria (CBCN) et le secrétaire de l’épiscopat, Mgr Augustin Akubeze, archevêque de Benin City, et Mgr Camillus Umoh, évêque d’Ikot Ekpene, l’Église demande au président Buhari “d’épargner au pays de nouvelles souffrances en lui évitant le chaos, l’anarchie et la ruine”. Les évêques déplorent que leur dernier appel, “comme tous les appels précédents”, ait été “totalement ignoré” par ceux qui ont la “responsabilité première” de protéger la vie et les biens des Nigérians. Le 26 avril dernier, la CBN avait en effet publié une première déclaration au titre évocateur, “Quand cette barbarie prendra-t-elle fin ?”, demandant au président Buhari sa démission s’il n’arrivait pas à contrôler la situation. “Si le président ne parvient pas à garantir la sécurité du pays, il a perdu la confiance des citoyens”, estiment les évêques.
Les bergers Peuls
Et si l’épiscopat nigérian remet en question la plus haute autorité du pays — Muhammadu Buhari cherche à se faire réélire aux élections présidentielles de 2019 – c’est en raison de son inaction face aux violences commises contre la communauté chrétienne du Nigeria par les bergers Peul (appelés aussi Foulani ou encore Fellata), une ethnie de bergers nomades musulmans qui s’occupe essentiellement d’élevage de brebis. Ces dernières années, les chrétiens et/ou des populations sédentaires ont été la cible de nombreuses attaques des peuls. Surtout depuis que les autorités de l’État de Benue, dans l’est du Nigeria, ont introduit, en novembre dernier, une loi contre les pâturages libres — Anti-Open Grazing Law — pour mettre un terme aux destructions des champs et des cultures au passage de leurs troupeaux. Pour ces nomades, la loi est une atteinte à leur mode de vie traditionnel et à leur principal moyen de subsistance.
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L’État de Benue, également surnommé Food Basket ou « Panier à provisions » de la nation, est situé dans le “Middle Belt” (ceinture du milieu) qui sépare le nord, à prédominance musulmane, du sud à majorité chrétienne. Selon le quotidien nigérian The Guardian, le conflit entre les Peuls et la population sédentaire « est désormais plus meurtrier que l’insurrection jihadiste de Boko Haram qui a ravagé le nord-est du Nigeria ». Cette question, ajoute le quotidien, sera un “thème clé” de la campagne électorale en vue des élections présidentielles de 2019.
Une longue liste d’attaques
La liste des attaques contre les communautés chrétiennes est longue. Selon la Stefanos Foundation, organisme chargé d’aider les chrétiens persécutés au Nigeria et dans le reste du monde, la série d’agressions lancées les samedi 23 et dimanche 24 juin derniers, a fait au moins 233 morts et plus de 11 000 personnes déplacées dans l’État central du Plateau. Un secteur connu pour avoir été le théâtre d’affrontements interethniques et interreligieux sanglants pendant des années. Une quarantaine de villages de ladite “zone de gouvernement local” (Local Government ou LGA) de Barkin Ladi et Riyom ont été complètement abandonnés à la suite des attaques, rapporte le site de Firstafricanews.
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L’attaque provoquée le mardi 24 avril contre une église catholique dans le village de Mbalom, dans l’État de Benue, a secoué l’opinion publique. 18 personnes, dont deux prêtres, Joseph Gor et Felix Tyolaha, y ont perdu la vie. Et la trentaine d’attaquants ont également rasé une soixantaine de maisons. “En tant qu’êtres humains, nous sommes profondément attristés et nombre d’entre nous ne se reprendront pas du choc avant longtemps”, a déclaré le cardinal John Olorunfemi Onaiyekan, archevêque d’Abuja, au cours des obsèques des victimes, le 22 mai, à Ayati (Benue), selon des propos rapportés par Fides. “Tuer des personnes dans les églises ou dans les mosquées représente un affront fait à Dieu”, a-t-il ajouté, et exige que “les autorités interviennent afin de garantir la sécurité de tous”. Le cardinal a exhorté ses compatriotes à s’unir contre l’anarchie et à ne pas politiser ce qui s’est passé, rapporte de son côté le site Today.ng.
Selon Amnesty International, les violences ont fait au moins 1 823 morts au Nigeria entre le 1er janvier et le 27 juin 2018, soit deux fois plus qu’en 2017 (894 victimes). Le directeur d’Amnesty au Nigéria, Osai Ojigho, s’est déclaré “profondément inquiet” devant la “vague croissante d’assassinats” qui se répand dans tout le pays, en particulier dans dix-sept États, où sévissent les affrontements entre agriculteurs et éleveurs de brebis et les attaques de bandits.
Une purification ethnico-religieuse
Selon une étude publiée par l’agence missionnaire chrétienne Open Doors, les attaques dans le sud de l’État de Kaduna, situé dans le nord-ouest du Nigeria, cachent un « plan musulman » destiné à pousser les communautés chrétiennes à quitter le territoire, pour permettre aux musulmans Hausa-Foulani d’occuper la région et de dominer « toutes les questions religieuses, politiques et socio-économiques ».
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L’organisation dénonce aussi “une impunité diffuse”. Jusqu’à présent dans le sud de Kaduna, aucun berger Hausa-Peul n’a jamais été arrêté, poursuivi, ou puni, ni aucune victime indemnisée correctement, affirme l’Ong. Et le gouvernement n’a pas réussi à soutenir l’engagement et le dialogue intercommunautaires comme processus nécessaire pour parvenir à la paix et à la stabilité au Nigeria. “Si le gouvernement reste partisan, le conflit risque de se poursuivre et les chrétiens seront obligés de quitter la région pour aller s’installer ailleurs”, estiment Portes Ouvertes. Il s’agira alors d’un “nettoyage religieux”, c’est-à-dire “une purification ethnique fondée sur l’appartenance religieuse”, explique l’Ong.
Bien que n’excluant d’autres raisons, y compris la dégradation de l’environnement et le changement climatique, pensons seulement à l’agonie du lac Tchad, dont la superficie s’est considérablement réduite, Open Doors, dans une étude précédente, avait déjà évoqué la thèse d’une persécution planifiée des chrétiens dans l’État de Benue.
Une situation comparable au Rwanda ?
Le fait que derrière ces violences se cache une stratégie ou un plan, pousse certaines personnes à utiliser le terme de “génocide” pour qualifier ce qui se passe dans l’État du Plateau et dans d’autres États nigérians, souligne le Christian Post, en citant les propos d’une déclaration publiée le 29 juin par des chefs de différentes confessions et l’Association des chrétiens du Nigeria (CAN) dans l’État du Plateau.
“Nous refusons cette histoire que les attaques contre les communautés chrétiennes dans tout le pays relèvent d’un affrontement entre agriculteurs et éleveurs”, souligne la déclaration. Dire cela relève de la “fausse propagande”, c’est “tromper” les gens, estime la CAN en pointant du doigt le gouvernement. Pour l’association chrétienne, “il ne fait aucun doute que ces attaques ont pour objectif de réaliser une purification ethnique, de s’approprier des terres et expulser de force les chrétiens de leurs terres et de leur héritage ancestral”. Tout cela dans “la plus totale impunité” à l’encontre des bergers Peuls, déplore à son tour l’association.
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En effet, alors qu’un tribunal de l’État d’Adamawa a récemment condamné à mort cinq jeunes chrétiens pour avoir attaqué trois éleveurs — dont un a été tué — les bergers, parfois armés de Kalachnikov, ne sont pas poursuivis. Dans un message Twitter, l’ancien ministre de l’aviation Femi Fani-Kayode s’est dit incrédule face à cette sentence. “C’est à se demander s’il existe une apartheid au Nigéria pour mettre ainsi “les éleveurs au-dessus des lois””. Aucun terroriste Peul n’a été arrêté ou emprisonné pour avoir tué plus de 5 300 chrétiens en cette seule année 2018, relève l’ancien ministre.
Le président Muhammadu Buhari et son adjoint, Yemi Osinbajo, se sont rendus dans l’État du Plateau depuis les dernières attaques. Mais la question est de savoir maintenant si le président, membre de l’ethnie Peul, est prêt à aller au-delà de cette politique que la CAN et les leaders confessionnels appellent une “politique de façade”, qui masque la réalité. Indubitablement, le Nigeria est à un tournant. “Ne faites pas la même erreur que pour le génocide au Rwanda. Il a eu lieu au vu et au su de tous, mais personne ne l’a arrêté. Et nous savons comment ça s’est terminé”, a exhorté Mgr William Amove Avenya, évêque de Gboko, dans l’État de Benue, avant de conclure au micro de l’AED : “Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un acte de purification ethnique contre les chrétiens”.