À Paris, le café Joyeux, à deux pas de l’Opéra, a ouvert ses portes en mars dernier. Ici, les plats sont cuisinés et servis par des personnes ayant un handicap mental ou cognitif. À l’occasion de la Nuit du handicap, samedi 9 juin, Aleteia a rencontré Camille Lorthiois, manager gérante du lieu, qui nous parle de cet établissement pas comme les autres.
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Aleteia : Camille, qu’est-ce qui vous a conduit au café Joyeux ?
Camille Lorthiois : J’ai longtemps travaillé dans la collecte de fonds. Depuis longtemps, je pensais au métier d’institutrice. Je me suis donc donné l’autorisation de passer une année dans une classe de CM1. J’y ai trouvé de nombreux attributs importants à mes yeux, mais ce n’était pas encore ça. J’ai aimé ce qui concernait la coordination de projets, la création d’un climat favorable, l’accompagnement à la réussite. Mais j’avais également une fibre commerciale indéniable. Le côté “business” et le contact avec le foisonnement du monde me manquaient. Lorsque j’ai eu vent du projet Joyeux, j’ai réalisé qu’il regroupait un certain nombre d’éléments importants qui me permettraient de m’épanouir avec mes talents et de me sentir vivante dans ce poste. Avec cette dimension centrale de remettre la fragilité au cœur de la cité et essayer de faire changer le regard du monde dessus. Ici, la fragilité côtoie la performance. Grâce à sa situation géographique, le café est au milieu d’un quartier d’affaires. Ce qui nous permet de redonner leur juste place à ces personnes qui sont pleines de richesses, de capacités, d’humour. Pour moi, il est important de prendre part à ce combat.
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Comment ce café fonctionne-t-il ?
Comme une entreprise ordinaire. Derrière le café Joyeux, il y a une SARL qui a pour actionnaire unique une fondation. L’objectif, à terme, est de reverser tous les bénéfices de l’entreprise à des œuvres. Cette dimension d’entreprise ordinaire fait partie de l’intuition de départ. Nous croyons que nous pouvons travailler ensemble, avec nos différences, dans un cadre classique. Les handicaps des uns et des autres sont variés. Certaines personnes présentent des troubles cognitifs ou autistiques, d’autres ont une trisomie. L’entreprise étant toute jeune, nous continuons encore aujourd’hui à étudier nos besoins. Chez nous, deux choses sont essentielles. Premièrement, redonner du travail à ceux qui en sont dépourvus, car le taux de chômage est très fort chez les personnes en situation de handicap. Deuxièmement, donner une visibilité à ces personnes qui sont invisibles et permettre de les rencontrer.
En quoi est-il différent d’un autre café ?
C’est une vraie école de la patience car il faut se mettre au rythme de chacun et accepter que le handicap prenne du temps. Nous sommes trois managers pour dix-neuf équipiers. Nous avons treize personnes en salles et six en cuisine. Chez nous, tout est fait maison et préparé sur place. Chacun a sa mission : la découpe, l’épluchage, la préparation des commandes, la caisse… Le degré d’autonomie n’est pas le même pour chacun, mais le but ultime, c’est que chacun puisse être en situation de réussite. Guillaume est le pro de la mousse de lait pour les cappuccinos, Marie et Louis sont excellents pour réaliser des cheesecakes de bout en bout… Emmanuel, lui, est remarquable dans l’accueil : il a souvent la banane et il prend le temps d’accueillir les clients.
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Pourquoi vos salariés sont-ils heureux chez vous ?
Yann Bucaille (à l’origine de la fondation, ndlr.) voulait que les personnes handicapées soient visibles, et au cœur du monde. Ici, elles se sentent utiles, reconnues. Nous ne leur proposons pas un travail à la chaîne, comme c’est le cas dans certains ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail). De plus, elles sentent qu’on accueille leur rythme et elles sont heureuses de travailler en contact avec d’autres personnes fragiles. Elles sont recrutées principalement sur leur motivation, mais aussi sur le fait d’être à l’aise en groupe et d’avoir une certaine résistance au stress. Quant à nos clients, nous attirions au début des gens curieux de découvrir un projet singulier dont ils avaient entendu parler par le bouche-à-oreille. Nous avons maintenant une clientèle régulière avec des personnes qui travaillent dans le quartier et dont nous sommes la cantine en semaine. Ici, la rencontre est très simple, y compris entre les clients. On peut assister à des situations très drôles, comme quand Théophile fait des clins d’œil complices à un couple d’amoureux ou que Rose-Marie se dandine en rythme parce qu’une musique l’inspire. Au-delà de l’expérience du palais, le café Joyeux propose une expérience du cœur.