Agglutinés devant le portait de la Joconde, les touristes du Louvre manquent (trop souvent) une œuvre digne d’intérêt placée… sur le mur d’en face ! Il est pourtant difficile de la manquer au vue de ses dimensions exceptionnelles ! Les noces de Cana, toile réalisée par Paul Véronèse, mort le 19 avril 1588, est en effet aussi impressionnante par sa taille que par sa composition.
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Comme Titien, Tintoret ou Tiepolo, Véronèse est l’un des “princes” de Venise. Originaire de Vérone, il montre, très tôt, de fortes dispositions pour la peinture. À l’âge de 20 ans, il a déjà acquis une bonne réputation et peint pour les plus grandes familles d’Italie. Après un passage à Rome, il s’installe à Venise en 1552 et assoit sa célébrité. Admirable décorateur, il excelle dans la réalisation de toiles immenses, domaine dans lequel il peut laisser libre court à son génie : composition rigoureuse, couleurs vives, presque acides, intensité lumineuse, souci du détail, ornements somptueux, architectures théâtrales… Véronèse exalte tout ce qu’il conçoit par une virtuosité innée.
Une commande bénédictine
Un de ses grands chefs-d’œuvre vénitien, Les noces de Cana, est conservé en France depuis 1797, époque durant laquelle Napoléon — arrivé triomphant à Venise durant sa campagne d’Italie — demande à la Sérénissime de payer un lourd tribu en œuvres d’art pour honorer le traité de paix de Compio-Formo. L’immense toile est alors roulée et transportée en bateau au cours d’un long périple avant d’arriver au Louvre.
Cette toile était à l’origine conservée dans le couvent bénédictin de San Giorgio Maggiore à Venise. Commandée en 1562 par les moines, elle était destinée à orner leur nouveau réfectoire. Les commanditaires avaient exigé que l’œuvre soit monumentale afin d’occuper tout le mur du fond. Répondant à leur demande, Véronèse avait fourni une toile colossale, mesurant quasiment 7 x 10 mètres.
Entre iconographie profane et sacrée
La toile surprend par son choix iconographique. Un banquet fastueux placé au dessus de la tête des moines, qui, on imagine, étaient en train de manger un repas plutôt maigre. Idée étonnante. Les noces de Cana, épisode biblique relaté par saint Jean (Jn 2, 1-11), évoque le premier miracle accomplit par le Christ. Alors qu’il est invité à un repas de mariage dans la ville de Cana, le vin vient à manquer à la fin du banquet. Il ordonne alors aux serviteurs de remplir d’eau les grandes jarres de pierre puis de servir le maître de maison. Soudain, ce dernier constate que l’eau s’est changée en vin.
Cet épisode sacré est transposé habilement, avec une grande liberté iconographique, dans le cadre d’une fastueuse noce vénitienne. Dans cette scène de mariage, le Christ est, étonnamment, placé au centre, entouré de la Vierge et les disciples, reléguant — comme si ce n’était qu’anecdotique — les mariés en bout de table. Cette composition, renforcée par la position de la table, n’est pas sans rappeler l’épisode de la Cène et la fameuse fresque de Léonard de Vinci conservée à Milan. D’ailleurs, la figure prédominante du Christ est renforcée, à la fois par les rayons lumineux qui émanent de sa tête mais surtout par son regard fixe. Il est l’unique personnage à regarder en direction du spectateur.
La faste vénitien mis à l’honneur
Tandis que le Christ et ses disciples sont vêtus de simples tuniques à l’antique, les autres personnages, clercs, princes, aristocrates vénitiens, serviteurs, sont parés et coiffés somptueusement. Le mobilier, les coupes et vases de cristal, tout rappelle les fêtes vénitiennes. Mais à y regarder de plus près, Véronèse y a inséré de subtils détails faisant référence à la future Passion du Christ. C’est une double lecture à laquelle nous invite l’artiste : dans la partie supérieure, espace céleste symbolisé par le ciel, un serviteur coupe la viande, symbole du corps du Christ prochainement sacrifié. La partie basse, espace terrestre où s’agglutinent les invités, est réservée au Hommes.
Disposant avec aisance les 130 personnages qui composent la scène, Véronèse arrive à combiner, avec une étonnante audace, les noces de Cana — préfiguration de l’Eucharistie — et le faste des grandes fêtes vénitiennes comme on en rencontrait souvent à son époque. Dans cette œuvre subtile, Véronèse orchestre ainsi une ingénieuse mise en scène et réussit à mêler deux époques éloignées de plus de 1500 ans.