"La piété populaire est un précieux trésor de l’Église", si elle est vécue en son sein, elle est "une manière légitime de vivre la foi", répète inlassablement le pape François dès qu’il s’agit de mettre en rapport la liturgie et la piété populaire. La force de cette forme de piété ? Elle engage les sens, les sentiments, les symboles des différentes cultures, aidant ainsi à transmettre la foi au monde, et spécialement aux personnes simples, répond-t-il.
On le voit aux foules en procession à Lourdes, aux pèlerins du Sacré-Cœur de Montmartre, aux célébrations de rue à Ouro Preto (Brésil), et aux impressionnants déplacements que suscite le Nazaréen noir aux Philippines, chaque année. Oui, les formes populaires de la dévotion, naguère discréditées, et il n’y a pas si longtemps encore jugées "désuètes", sont une réalité. Mais sont-elles un moyen pour amener à la foi véritable ?
Selon le Directoire sur la piété populaire et la liturgie de l’Église catholique, ces deux expressions du culte chrétien ne sont ni opposables ni interchangeables. Elles doivent s’harmoniser entre elles. Le père Gilles Drouin, directeur de l’Institut supérieur de liturgie à l’Institut catholique de Paris, s’est penché sur la question. Dans son ouvrage Liturgie de pèlerinage et dévotion populaire (éditions Salvator). Au-delà des seules expériences concrètes, il y explore les enjeux historique, anthropologique et théologique de ce lien entre liturgie de pèlerinage et dévotion populaire. Plus largement, il s’interroge sur le sens possible du pèlerinage dans la société post-moderne qui est la nôtre.
Aleteia : Comment est-on arrivé à passer d'une pratique religieuse, jugée peu chrétienne, à une pratique à prendre au sérieux ?
Gilles Drouin : Il y eu de fait une évolution. Pendant longtemps, et cela remonte d'ailleurs au Concile de Trente, il y a eu de sérieuses réserves face au risque de superstition associée à certaines manifestations de la dévotion populaire, notamment dans une chrétienté sacrale et agraire.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, une approche "cérébrale" de la foi chrétienne a pu, en Occident, conduire à un certain mépris des pratiques de piété populaire. Et puis on s'est rendu compte que non seulement elles résistaient mais qu'elles sont souvent beaucoup plus qu'une propédeutique à une foi plus "mûre" et qu'elles conduisent, par les voies qui leur sont propres, au cœur de la foi chrétienne. L'arrivée dans nos communautés de chrétiens venus d'Afrique ou des Antilles a certainement contribué à réhabiliter la dévotion populaire... Le pape François, en pasteur latino américain, est témoin d'une foi qui s'est transmise et se manifeste très largement par ce type de pratiques extra ou para liturgiques, aussi exubérantes que vivantes en Amérique latine. Le livre le montre avec l'exemple impressionnant de la semaine sainte d'Ouro Preto au Brésil
Comment s'articulent aujourd’hui les relations entre la liturgie — qui a ses rites ses cérémonies bien codifiées — et la piété populaire ?
Rome a publié en 2001 un texte très important, le Directoire sur la piété populaire et la liturgie qui précise les liens entre piété populaire et liturgie. Ce texte est très équilibré, la liturgie a la première place, comme l'affirme Vatican II, mais la piété populaire est reconnue dans sa consistance et sa valeur propre. Un des enseignements du Colloque de l'ISL (Institut supérieur de liturgie) qui a donné lieu à la publication du livre que j'ai préfacé est qu'on ne peut plus considérer la piété comme une simple propédeutique à la liturgie. François et la post-modernité, notamment en ce qu'elle valorise le corps, sont passés par là !
Pensez-vous que la dévotion populaire peut effectivement mieux conduire les personnes au coeur de la foi… en France par exemple ?
Oui dans le livre, le père Horacio Brito montre par exemple comment les gestes de Lourdes, l'eau, la lumière, le rocher, conduisent au cœur baptismal, pascal, christique de la foi chrétienne. Il faut évidemment toujours évangéliser des pratiques, le risque de déconnexion d'avec l'Écriture, et donc de superstition, demeure mais l'ancrage anthropologique des pratiques leur assure une pertinence qui ne se dément pas !
Dans ce contexte que penser de cette foule de pèlerins qui va à Medjugorje ?
L'Église exerce sa vigilance, et c'est à la fois normal et bien. Regardez le modèle lourdais de constatation du caractère miraculeux des guérisons, avec le Bureau médical, né à une époque de scientisme conquérant, a pu être critiqué en raison de sa rigueur, bien des guérisons n'ont pas passé le filtre, et évidemment il y a infiniment plus de grâces surnaturelles à Lourdes que celles qui sont officiellement reconnues, mais la crédibilité de l'Église est en jeu et c'est le rôle des pasteurs d'exercer une fonction, souvent ingrate, de vigilance.