Les amitiés adolescentes comptent beaucoup dans le développement affectif de l’enfant. Comment trouver le bon équilibre entre intrusion et laisser-faire?
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Thérèse écarquille les yeux : son fils Paul, 16 ans, entre dans l’appartement familial accompagné d’un énergumène au visage pâle arborant divers piercings. La semaine dernière déjà, elle l’avait trouvé affalé sur le canapé devant la console avec une bande d’ados à boire de la bière. « Ils ne sont peut-être pas méchants mais leur look ne prêche pas en leur faveur, soupire-t-elle, je ne sais pas comment réagir. » L’adolescence est bien l’âge du groupe et des amitiés, une étape essentielle à respecter : « Ces amitiés permettent de construire sa personnalité, de forger son identité, son estime personnelle, en s’appuyant sur d’autres » remarque le père Arthur de Leffe. S’identifier à un groupe, parler le même langage, partager les mêmes valeurs, ces choses capitales ont un impact fort sur la confiance en soi. Mais de quel type d’amis s’agit-il ?
Il existe des degrés dans l’amitié, du simple copain à l’ami intime. Pour favoriser ce discernement, aux parents de donner, avant l’adolescence, les critères d’une bonne amitié, du respect de l’autre à l’admiration réciproque en passant par la recherche du bien. « Attention, l’amitié peut être un lieu de construction de soi, mais aussi parfois de destruction ! prévient le père Arthur de Leffe. Je le dis aux ados : quand au lendemain d’une soirée entre amis vous n’êtes pas fier de vous, vous savez que cette amitié n’est pas bonne. Aux parents de mettre très tôt les jeunes dans des lieux où ils vont développer de belles amitiés qui vont les libérer des relations malsaines. »
Trouver l’équilibre entre intrusion et laisser-faire
Pour jouer ce rôle structurant nécessaire à l’adolescent, les parents n’ont pas d’autre solution que de s’investir et rester vigilants, en veillant à trouver l’équilibre entre intrusion et laisser-faire, car on ne surveille pas un adolescent comme un enfant de 7 ou 10 ans. Pour autant, l’adolescent n’a pas tous les droits, et les règles énoncées dans l’enfance – tels le respect des autres, la participation aux tâches domestiques, la politesse – demeurent. « C’est un art de créer pour cet âge des limites souples, élastiques, qui tiennent compte de l’individualité de chacun », constate la psychothérapeute Virginie Tesson. « Ma fille Madeleine, 14 ans, avait rencontré une amie plus jeune qu’elle dans un club d’équitation, raconte Camille. En fait, la petite se confiait à Madeleine et racontait des anecdotes intimes sur la vie plutôt agitée de sa mère. J’ai bien discuté avec elle et, parce que j’ai observé sa propre fragilité, son malaise, je lui ai demandé de couper court à cette relation nocive. Depuis leur enfance, j’ai pris cette habitude de revenir sur les événements avec mes filles. » Si les bonnes habitudes de confiance, de dialogue, de vie de prière, sont installées dès l’enfance, les parents rencontreront moins de difficultés à l’adolescence. Un enfant heureux en famille sera moins tenté par les conduites à risques. « Le lien se construit avant l’adolescence » constate Virginie Aubry, conseillère familiale et conjugale.
Avec l’irruption du groupe dans la vie de l’adolescent, se pose très vite la délicate question des autorisations de sorties. Anne appelle systématiquement les parents des amis qui invitent sa fille, Clémence, 14 ans, même quand elle ne les connaît pas. « Je veux savoir s’ils seront là pendant l’activité, sinon elle n’y va pas. » Pour Pierre, 16 ans, la ritournelle du vendredi est : « Au fait, avec les potes, on va chez un copain ce soir », marmonne-t-il dans un flou artistique que les ados affectionnent tout spécialement. Qui est le copain, qui sont « les potes » ? Le dialogue permet de savoir qui fait partie du groupe, et chez qui se passe la soirée. L’intervention du père est bienvenue pour définir ensemble un cadre et se mettre d’accord sur l’heure de retour à la maison.
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Très souvent, les ados qui ont des soirées réclament de dormir sur place. Pour Camille, c’est hors de question : « Tant pis, je me relève à 3 h s’il le faut, mais je fais la conduite. C’est important si ma fille se sent mal à l’aise qu’elle puisse compter sur nous. Il faut prendre ses responsabilités. » Isabelle, qui a quatre filles adolescentes, répète souvent : « Il ne faut pas se croire plus fort qu’on n’est. Ce n’est pas le moment de les livrer à elles-mêmes ». Ces situations sont souvent l’occasion d’un échange en profondeur sur la vie affective et sexuelle et les relations entre garçons et filles.
Élément important : s’intéresser à leurs sorties. « Pas sous forme d’interrogatoire, continue Isabelle, mais pour les faire réfléchir sur les conditions d’une bonne soirée : comment t’es-tu senti pendant cette soirée ? Qu’as-tu pensé de l’ambiance, de l’attitude de tes amis ? Cela lui permet d’affiner son discernement. » De même, si un adolescent est invité dans une famille recomposée, il sera bon de réfléchir avec lui à la complexité de la situation, de lui rappeler qu’il n’a pas à juger, mais qu’il ne doit pas considérer ces situations comme des modèles de vie. « L’objectif, explique Virginie Tesson, est surtout de savoir si les conditions sont réunies pour que ce soit un bon week-end et que l’enfant soit à l’aise. Qui y aura-t-il ? Comment cela sera-t-il organisé ? » Quant à l’interdiction, elle est à utiliser avec modération. « Pour moi, l’interdit est semblable aux rails de sécurité de l’autoroute, continue Virginie Tesson. Ce n’est pas un mode d’éducation, c’est un dernier recours quand on sent son enfant en danger. Si l’interdit est systématique, on risque de le mettre à l’écart du groupe, de le voir se révolter, ou encore, qu’il se cache pour agir à sa guise. »
Accorder sa confiance jusque dans la différence
Poser un cadre est indispensable, mais ne peut pas suffire. Une attitude accueillante et bienveillante de la part des parents est nécessaire pour garder le lien et la confiance. C’est le choix qu’a fait Anne, mère de trois enfants, adepte de la maison ouverte. « Ces liens amicaux qui se créent avec nous permettent de surveiller les fréquentations mieux qu’une parole catégorique ou une méfiance visible. Ils voient qu’on ne méprise pas leurs amis. » Pour certains adolescents plus contestataires, inviter des amis différents est parfois un moyen de tester les parents et de voir s’ils peuvent les déstabiliser avec par exemple un copain « geek » hermétique. « Il y a un message à décrypter. Le jeune demande implicitement à ses parents s’ils peuvent lui accorder leur confiance jusque dans sa différence », suggère Virginie Aubry.
Une fois les parents seuls avec leur progéniture, la critique systématique est à éviter à tout prix. Elle ne fera que renforcer les liens de bande, si l’on en croit Maryse Vaillant, spécialiste des adolescents. En revanche, on peut poser des questions sur ce qu’il partage avec ses « amis », évoquer, pour le faire réfléchir. « Le secret, confie Camille, c’est de ne pas négliger un petit passage dans leur chambre après le dîner, de s’intéresser à eux, à leur vie. Souvent, c’est le moment où ils vont confier par un petit mot des craintes, une anecdote. J’en profite également pour dire ce que je pense, délicatement, de l’un ou l’autre de leurs amis, qu’ils connaissent notre point de vue. »
Savoir les écouter et garder le lien quoi qu’il arrive est tout un art. « Que les parents soignent de tout leur être la relation avec leur enfant, conseille Virginie Tesson, qu’ils ne le voient pas uniquement comme un faire-valoir, avec ses bonnes notes et sa bonne tenue, mais comme une personne qui a des peines et des joies. S’il a une bonne estime de lui, il ne sera pas tenté par les amitiés dangereuses, c’est cela qu’il faut développer par une relation d’amour, fondée sur la confiance et le respect mutuel. » La relation se construit en amont, insiste Virginie Aubry : « Quand la connivence a été installée dès l’enfance, il est rare qu’elle se perde à l’adolescence ». C’est aux parents de faire comprendre à leur enfant qu’ils veulent collaborer, non pas contre lui mais avec lui, à son bonheur.
Florence Brière-Loth
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