La simplicité n’est ni l’austérité ni la frustration. Au fond, il s’agit de distinguer ses vrais besoins des à-côtés, devenus subtilement routines de luxe. Exercer ce discernement est une authentique tâche spirituelle.
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Depuis une vingtaine d’années, une prise de conscience émerge peu à peu, mue par la sauvegarde de la planète ou par un vrai souci de vie intérieure : la consommation ne fait pas le bonheur, redécouvrons la simplicité. Aux États-Unis, au Canada comme en Europe fleurissent des mouvements qui prônent frugalité et sobriété, en opposition au « toujours plus » de la société de consommation. Les initiatives « Year without » affichent depuis quelques années leur envie de simplicité en proposant des « années sans » écrans, sans shopping, sans voiture… Déjà, en 1993, Alain Souchon chantait : « On nous fait croire que le bonheur, c’est d’avoir de l’avoir plein nos armoires. On nous inflige des désirs qui nous affligent… »
La simplicité n’est ni l’austérité ni la frustration
Armelle, la petite trentaine, trois enfants, a été sensibilisée à la sobriété par le scoutisme. Elle et son mari ont choisi de vivre à la campagne pour avoir des contacts simples et élever leurs enfants dans la nature. Elle achète d’occasion les vêtements de la famille. « Entre voisins, on partage les légumes et les fruits du jardin. Nous n’avons pas de télévision, et cela nous permet de vivre de vraies soirées familiales ou culturelles. Nous réparons nos appareils pour qu’ils durent plus longtemps, et nos vacances se passent toujours en montagne, près de chez nous. C’est un choix. » Sa lutte antigaspillage va tous azimuts : grouper ses conduites, prévoir ses courses à l’avance pour éviter l’achat compulsif. Avec ses amies, Armelle a institué les « journées-dons » : elle met dans le jardin tous ses objets inutiles et chacun peut venir se servir gratuitement. « Je retire de ce désencombrement une libération pour me tourner vers l’essentiel : l’amour et le service. Sans compter une grande joie. »
“Renoncer et se contenter, voilà les deux pendants de la simplicité”
La simplicité n’est ni l’austérité ni la frustration, mais « le choix d’une ascèse, un état d’esprit qui consiste à goûter davantage l’être que l’avoir », affirme Isabelle, médecin et adepte de la simplicité. Il ne s’agit pas de cultiver la pauvreté pour la pauvreté, mais plutôt une forme de distance vis-à-vis des biens matériels dont Dieu nous a faits gestionnaires. « Plus concrètement, vivre dans la simplicité, c’est s’imposer des restrictions, précise Cyrille Court, pasteur protestant. Il s’agit de renoncer aux choses superflues et d’apprendre à se contenter de l’important, de l’essentiel. » Les mots sont dits : renoncer et se contenter, voilà les deux pendants de la simplicité. La vivre ne va pas sans douleur mais étrangement aussi pas sans bonheur, à en croire ceux qui la pratiquent.
Mais d’où vient cet appel ? Les réponses sont diverses. Certains ont choisi de protéger la planète et s’interdisent toute trace superflue de CO2. D’autres se rapprochent des sages antiques pour trouver la paix, une qualité d’être, loin des sirènes du monde. La perspective chrétienne va plus loin ; la simplicité est avant tout recherchée pour faire place à l’amour : amour de Dieu, des autres et de soi-même. Tous les chrétiens sont appelés au dépouillement, si l’on en croit saint Luc (14, 25) : pour l’un, ce sera tout vendre pour suivre le Christ ; pour l’autre, partager ses biens, donner de son temps ou de ses talents. Mais concrètement, comment faire pour aller à l’essentiel ?
Entrer dans une démarche de simplicité
Première étape de la simplification : prendre conscience que le bien-être accapare nos pensées et finit par nous éloigner de Dieu. Dans notre société d’abondance, parvenir à se dégager des incitations constantes à la consommation est une véritable entrée en résistance. « Notre société fonctionne sur la frustration programmée », remarque Pierre. S’en extraire signifie s’arrêter un moment pour réfléchir à la façon dont nous gérons nos biens et pour mettre un frein à la fièvre acheteuse. Entrer dans cette démarche de simplicité oblige à se poser quelques questions essentielles. Quelle est la valeur des choses ? « Qui peut s’offrir cela ? Est-ce vraiment utile ? », se demande Pierre avant d’acheter un objet.
Cet ingénieur, père de famille, se dit hanté par ces mots de saint Jean Chrysostome : « Le pain que vous enfermez est à celui qui a faim ; l’habit que vous tenez dans vos coffres est à celui qui est nu ». Une réflexion que tous peuvent mener, notamment dans la façon de recevoir pour un dîner, un mariage, une fête quelconque : éviter la surenchère, l’étalage indécent d’un luxe superflu qui satisfont la vanité mais peuvent scandaliser et blesser certains. Il est parfaitement possible de bien recevoir, simplement. Pendant un parcours Zachée, Anne s’est interrogée sur ses « biens fertiles et ses biens futiles » : « Mon appartement, par exemple, pouvait être plus ouvert aux autres. J’ai dû libérer de la place en faisant un énorme tri et j’ai réalisé à quel point, par peur de manquer, j’amassais ».
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Se libérer des diktats de la société
Deuxième étape : se libérer de la pression de la société avec ses diktats professionnels et sociaux. Travailler plus pour gagner plus, multiplier les loisirs, être en vue, focaliser sur son épanouissement personnel, toutes choses que nous pratiquons souvent au détriment de notre entourage et de notre paix intérieure. Sommes-nous libres par rapport au modèle social, au regard des autres ?
Peu à peu, cette réflexion sur la simplicité amène à réviser ses priorités. Pierre a décidé de travailler à 85 % de temps par solidarité avec les chômeurs. Il peut ainsi aider des associations, et faire de la randonnée en montagne. Quant à Sophie, à 45 ans, elle a démissionné de son travail de chercheur pour être « aumônier » en hôpital et faire de l’accueil dans une maison de chercheurs d’emploi. Isabelle a mis son cabinet entre parenthèses pendant dix ans pour élever plus tranquillement ses enfants et participer à la vie associative de son village. Stéphane et Marie refusent « les sorties trop mondaines dont on repart avec le sentiment d’avoir perdu sa soirée » et privilégient les dîners amicaux… Ce temps dégagé présente également l’avantage d’être plus disponible à sa famille, à ses engagements altruistes, à de vraies amitiés.
Faire un peu de vide en soi pour laisser plus de place à Dieu
L’étape ultime consiste à se libérer de soi-même. Plus grand sera l’espace en nous, plus Dieu pourra y prendre de place, si nous acceptons de renoncer à nous-mêmes. Notre cœur est complexe. N’avons-nous pas parfois le sentiment d’être schizophrènes, ballottés entre nos aspirations profondes et les dérives de notre amour-propre ? « Tiraillée dans plusieurs directions, notre vie se complique et perd de sa transparence. Le cœur et les lèvres deviennent doubles. Le regard se trouble, les masques se multiplient » écrivait le Frère Philippe, carme, dans la revue du Carmel sur la simplicité, Vives Flammes n° 257.
“Plus grand sera l’espace en nous, plus Dieu pourra y prendre de place”
Avec l’image des lis des champs, le Seigneur nous invite à lâcher prise et à nous préoccuper seulement de son royaume. Il est nécessaire de faire tomber les personnages que nous nous sommes fabriqués. « C’est accepter de perdre pied, constate le père Molinié, événement redoutable mais qui sera d’autant mieux supporté qu’on sera plus souple. » Voilà la voie de l’enfance spirituelle que nous indique Jésus : « Vivre comme un enfant, inconscient de lui-même, débordant de confiance, » résume le Frère Henri, carme. L’enfant ne craint pas mais s’émerveille : « Quand on est dans l’opulence, dans la course, on est aveuglé, on ne voit plus les cadeaux que Dieu nous donne en permanence, remarque Isabelle. C’est un enchantement de voir se lever le jour ; à la campagne, je retrouve la louange, et le cœur s’apaise ».
Plus on est simple, plus on s’approche de Dieu, c’est une vérité. Mais la réciproque l’est également : « Plus on s’approche de Dieu, plus on se simplifie », comme disait Mère Fébronie, la sous-prieure du carmel, à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Plus on se trouve aussi soi-même, car l’âme se dégage des plis du péché et apparaît dans sa vérité. La simplicité est un terme, le but du chemin : « Elle est devant nous, dans les bras du Père qui nous attend, conclut le Frère Henri. C’est un don de Dieu qui nous transforme. La simplicité est au-delà de nos complications, car elle en est la guérison ».
Florence Brière-Loth
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