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Xavier reçoit chaque soir le même texto de sa femme : "Tu rentres à quelle heure ?" On est loin du romantisme et de la délicatesse de Louis Martin, écrivant à sa femme Zélie : "Je ne pourrai arriver à Alençon que lundi ; le temps me paraît long, il me tarde d’être près de toi." L’immédiateté et les écrans ont-ils tué la correspondance amoureuse ? Il faut se rendre à l’évidence, les échanges conjugaux passent désormais par WhatsApp.
Les époux du XXIe siècle se privent d’un langage unique, dont on s’étonne que le conseiller conjugal Gary Chapman l’ait oublié dans Les Cinq Langages de l’amour. Car une lettre est un langage précieux, dans la routine quotidienne, pour mettre à l’honneur son mariage. « Écrire me permet de survivre à la vie de tous les jours », résume Amicie, mariée depuis quinze ans.
Écrire, c’est prendre du temps pour l’autre
La plupart des époux sont touchés par l’attention gratuite que leur conjoint leur porte en écrivant. La lettre devient si rare qu’elle procure, côté expéditeur et destinataire, « un plaisir composé d’attente, de peur et de plaisir », résume Paul, marié depuis trente ans. « J’aime l’idée du temps que je prends pour ma femme, et qu’elle prend pour moi quand elle m’écrit. Je dois trouver le timbre, choisir la carte, prendre la plume, écrire l’adresse, c’est tout un processus physique d’écrire, qui signifie à l’autre que j’ai pris du temps pour lui. »
Ce commercial profite de ses déplacements professionnels pour envoyer systématiquement une carte à son épouse. Une façon si simple, mais ardente et profonde, de maintenir et de tisser des liens. C’est un moyen de communiquer accessible, même au conjoint qui craindrait de ne pas savoir écrire.
Car un détail inconnu de l’autre peut émouvoir davantage qu’une grande déclaration littéraire. Une lettre n’est jamais anodine, même si elle évoque le quotidien, « à condition qu’elle ne traite pas seulement de faits, mais aussi des sentiments personnels qui concernent ces faits », analyse Bénédicte de Dinechin, conseillère conjugale. Dans ce cas, elle renforce la relation. Jeanne reste marquée par une carte de sa sainte patronne sur laquelle son mari avait jeté : « Cette statue me rappelle combien j’ai besoin de ta force. » Une phrase qui l’a plus touchée que s’il avait écrit : « Jeanne d’Arc est forte comme toi ! »
Une lettre n’est jamais anodine
La fonction traditionnelle de la correspondance amoureuse reste de conjurer l’absence. Axelle, dont le mari militaire part régulièrement plusieurs mois consécutifs, partage son quotidien dans une lettre hebdomadaire pour rester en lien avec son époux et que le retour ne soit pas trop brutal. De son côté Gwénola, seule en vacances avec les enfants pendant un mois l’été, trouve le temps moins long lorsqu’elle reçoit une lettre de son mari. Elle aime le rituel : toucher l’enveloppe, la décacheter, ouvrir le pli, seule dans sa chambre, savourer ses mots.
« En le lisant, j’ai des bouffées de gratitude, les souvenirs des bons moments qui reviennent. C’est comme s’il abolissait la distance. » Elle-même cherche, quand elle répond à Éric, à lui faire également plaisir. Un cercle vertueux, estime Bénédicte de Dinechin : « Écrire une lettre qui met en valeur l’autre a un impact sur soi, car l’épistolier se met dans une disposition de don et d’accueil qui nourrit son couple. Celui qui écrit dilate son cœur et devient le premier bénéficiaire de sa propre générosité. »
Pauline et Louis aiment aussi inscrire leur relation dans le temps grâce à une lettre qu’ils s’envoient de leur lieu de retraite annuel, où ils se rendent à tour de rôle. Une longue lettre, érigée en rituel, écrite d’un lieu où ils sont face à eux-mêmes et peuvent s’écrire en vérité. Ils évoquent leur relation avec Dieu, leurs engagements, les projets en jachère, et proposent des pistes à améliorer.
La lettre aide aussi à éviter l’escalade verbale en cas de conflit. Dans les périodes harmonieuses, elle sert à se livrer de manière construite. Évelyne et Étienne s’écrivent au moins une fois par mois. Cette communication épistolaire a donné « un nouvel élan » à leur couple, au moment où leurs enfants ont quitté le nid familial.
Étienne s’en explique : « La lettre développe notre relation d’amour, mais pas au sens romantique où on l’entend. Elle enrichit le contenu de la communication conjugale, et nous osons aborder des choses que nos caractères peu portés au conflit auraient tendance à taire. » Cette méthode porte d’autant plus de fruits qu’elle est toujours suivie d’un échange verbal. Car la lettre ne remplace pas le dialogue, elle le prépare ou le relance.
Un prolongement de la fidélité promise le jour du mariage
Pour certains couples, la lettre permet de relire sa vie, s’encourager, s’alerter sur une blessure, s’offrir ses fragilités, se pardonner ou marquer le caractère unique de leur relation. Marié depuis 22 ans, Bruno donne deux fois par semaine une lettre à sa femme, quand il rentre du travail. Sur son temps quotidien de trajet en train, il lit son bréviaire, puis lui écrit sur une feuille A4. « C’est parfois court et banal, d’autres fois intense et profond, et d’avoir inscrit ce rendez-vous avec elle dans mon agenda prolonge la fidélité promise le jour de notre mariage », explique ce père de quatre enfants.
Même son de cloche auprès d’Amicie et Jean. Ils réservent une demi-heure tous les lundis au bistrot, face à face, pour s’écrire chacun une lettre. « À quoi ça sert d’écrire à Papa, comme tu le vois tous les jours ? », a demandé leur fille de 12 ans. Les époux le savent : ils se montrent concrètement que leur amour l’un pour l’autre est prioritaire. Ils accumulent aussi des gages d’amour sur lesquels s’appuyer lors de passes plus difficiles dans leur vie de couple.
La lettre développe notre relation d’amour, mais pas au sens romantique où on l’entend. Elle enrichit le contenu de la communication conjugale, et nous osons aborder des choses que nos caractères peu portés au conflit auraient tendance à taire.
Amicie s’autorise à devenir poétique, écrire des compliments ou émettre des critiques. Seule devant sa feuille, elle apprend à argumenter et développer sa pensée. Contrairement à l’envoi de SMS, elle écrit d’ailleurs toujours assise, pour poser sa pensée. Lettre de pardon, de reproche, de remerciement... cette ancienne dyslexique a ainsi appris à exprimer ses émotions.
L’écrit permet enfin de projeter son couple dans le futur. « La lettre d’amour, même si nous abordons un sujet difficile, inscrit notre relation entre passé et avenir, car elle commence toujours par un remerciement adressé à son conjoint et se termine par la promesse d’un “petit pas” qu’on s’engage à lui offrir prochainement », précise Évelyne. Cette empreinte d’éternité que porte la correspondance amoureuse inscrit la relation dans le temps. « Dans quarante ans, on ne pourra pas trouver au grenier une boîte de WhatsApp, de posts Facebook ou de SMS. Mais on pourra tomber sur nos lettres, s’enthousiasme Paul. Et alors, quel trouble, quel éblouissement ! »
Olivia de Fournas