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14 avril 1912. Sur les eaux glacées de l'Atlantique Nord glisse un mastodonte : 269 mètres de long, 28 mètres de large, 48.328 tonnes. Un monstre luxueux réputé "insubmersible", dont les entrailles compartimentent les petites gens, les honnêtes bourgeois et la haute-société. À son bord, un confort inégalé jusqu'ici. Même les plus pauvres ont le droit à des cabines, bien qu'évidemment plus modestes que celles de "la haute", mais toujours plus agréables que les dortoirs dans lesquels ils sont habituellement parqués. Parti quatre jours plus tôt du port de Southampton, le Titanic compte au total 2.201 passagers. À 23h40, au milieu d'une mer pourtant paisible, sans houle ni courants forts, un bruit sourd. Devant le Titanic se dresse une masse noire qui va signer le début d'une agonie de trois heures. À 1h15, l'océan s'engouffre dans l'orgueilleux insubmersible, devenu titan d'argile.
Sur le pont, un homme en soutane lit son bréviaire. Le père Thomas Byles, 42 ans, avait embarqué sur le Titanic en vue de rejoindre son frère pour célébrer son mariage. S'il ne peut maîtriser les éléments comme l'a fait le Christ au milieu de la tempête, il décide d'apaiser les hommes pris de panique devant la fin tragique, irrémédiable, qui les attend. Au milieu de la panique, il lève une main, et invite les passagers à se maîtriser : "Du calme, mes bonnes gens". Avec lui, au moins deux autres prêtres catholiques périront dans ces eaux sombres et glaciales, en ayant exercé leur ministère jusqu'au bout : le père Juozas Montvila, Lituanien de 27 ans, et le père Josef Benedikt Peruschitz, Allemand de 41 ans. Tous endosseront avec courage leur rôle de phares spirituels, véritables bouées de sauvetage des âmes destinées à périr au milieu des abysses.
Ces hommes tout à fait "ordinaires", vivaient leur sacerdoce de façon simple et sans avoir particulièrement été remarqués de leurs pairs et de leurs supérieurs. Le pape Pie X n'hésitera pourtant pas à qualifier le père Byles de "martyr de l'Église". Martyr, car le père Byles, comme ses confrères, refuse de quitter le navire. Pourtant, il lui est proposé une place à bord d'un canot de sauvetage à deux reprises. À chaque fois, le marin qui le presse de monter se voit opposer un "non" catégorique. Descendant d'abord auprès des passagers de troisième classe, le père Byles distribue les bénédictions et enchaîne les confessions. "Quelques personnes autour de nous étaient très excitées, puis le prêtre a de nouveau levé la main et, instantanément, le calme est revenu. Les passagers ont été immédiatement impressionnés par la maîtrise absolue du prêtre. Il a commencé la récitation du rosaire. Les prières de tous, toutes confessions confondues, se sont mêlées", raconte une survivante, Agnes McCoy, qui s’était confiée au New York Sun en 1912.

Catholiques, protestants, juifs : tous s'agenouillent et prient. "Poursuivant nos prières, il [le père Byles] nous a conduits là où les bateaux étaient descendus. Aidant les femmes et les enfants à monter, il leur murmura des paroles de réconfort et d'encouragement", ajoute Bertha Moran, passagère de troisième classe. Restant sur le pont, alors que le paquebot sombre dans une panique suffocante à la limite de la folie, le père Byles fait réciter aux passagers agenouillés avec lui un acte de contrition et donne l'absolution générale, puis entonne un chant : "Plus près de toi, mon Dieu, Mon Dieu, plus près de toi, plus près de toi ! C’est le cri de ma foi, plus près de toi ; Dans le jour où l’épreuve déborde comme un fleuve ; Garde-moi plus près de toi, plus près de toi !"
Témoins de l'espérance
Le père Peruschitz, lui aussi, préfère rester à bord. Ce bénédictin bavarois faisait partie des passagers de deuxième classe. Depuis le début de son embarquement, il a dit, comme ses confrères, la messe tous les jours. Selon plusieurs témoignages, il est vu en train de réciter le rosaire avec le père Byles, devant les passagers n'ayant pas trouvé de place dans les canots. "Alors que le dernier bateau était descendu, ceux qui étaient dessus ont pu voir clairement deux prêtres dirigeant le rosaire, et pouvaient entendre un grand nombre de passagers agenouillés leur répondre avec ferveur", raconte Ellen Mockler, passagère irlandaise. "Ensuite, toutes les lumières du Titanic se sont éteintes et tout était plongé dans la pénombre. Pourtant, aucun cri ni gémissement n'ont été entendus. Seules des voix jointes dans une prière paisible". Un étudiant du père Peruschitz, survivant du drame, se souvient aussi : "Il aurait pu avoir une place dans un de ces bateaux. Mais il a refusé de la prendre. À la place, crucifix à la main, il courait de cabine en cabine, consolant les passagers et récitant des prières pour les mourants."

Né dans ce qui correspond aujourd'hui à la Lituanie (à l'époque sous domination russe), le père Juozas Montvila est le plus jeune des membres du clergé à bord. Il avait été ordonné quatre ans plus tôt, le 22 mars 1908. Affecté dans une paroisse à Lipskas, il soutient les membres de l'Église grecque catholique ukrainienne proscrite par le Tsar et est contraint de fuir, espérant exercer son ministère auprès des communautés lituaniennes immigrées aux États-Unis. De son action sur le Titanic, peu de témoignages sont parvenus jusqu'à nous, si ce n'est qu'il a lui aussi refusé de partir. "Le jeune prêtre lituanien a servi sa vocation jusqu'au bout", indiquent les rapports.

2h20. Le paquebot coupé en deux disparaît par le fond, emportant avec lui les trois prêtres dans le néant des profondeurs marines. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés ou identifiés. Avec eux, 1.500 personnes ont péri, parmi lesquels environ 1.150 hommes, 110 femmes et 53 enfants majoritairement issus de la 3eme classe. Mais combien d'âmes ont été sauvées du naufrage par le sacrifice ultime de ces prêtres qui ont fait le don de leur vie ? Ces hommes, comme l'a dit saint Jean Eudes, étaient portés dans le cœur de Dieu avant la création du monde, incarnation vivante du mystère de l'amour du Christ à travers les âges et les épreuves.
