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Nous approchons déjà du premier quart du XXIe siècle. Il est donc bien engagé et l’on peut se demander ce qui le différencie des précédentes périodes d’une centaine d’années, avec à chaque fois un décalage d’une quinzaine par rapport au chiffre rond sur le calendrier. Ainsi, le XVIIIe siècle, ère des "Lumières" qui conduit à la Révolution française, commence en 1715 (mort de Louis XIV). Le XIXe siècle, temps de l’industrialisation et des amorces de démocratisation, démarre en 1815 (fin de l’épisode napoléonien). Le XXe siècle s’ouvre en 1914 avec deux conflits généralisés, prolongés par une guerre "froide" jusqu’à l’implosion (1989-1990) de la dernière (soviétique) des idéologies totalitaires (impérialisme colonisateur, fascisme, nazisme, communisme) qui les avaient largement motivés. Mais que s’est-il passé depuis, a priori autour de 2015 en théorie, qui signalerait l’ouverture d’une nouvelle phase ?
L’universalisme en échec
La mondialisation prédite à la fin du XXe siècle ne s’est pas produite. Ce n’aurait été qu’une universalisation du modèle dit libéral ou occidental. Or l’islam, la Russie, la Chine et maintenant l’Inde affirment des identités à la fois imperméables et expansionnistes, mais sans ambition d’hégémonie planétaire et en tout cas rebelles à une uniformisation dans le moule américano-européen. Que Vladimir Poutine et Xi Jinping se montrent en costume-cravate comme Joe Biden ou Emmanuel Macron ne doit pas faire illusion. Le progrès des communications fait seulement que les concurrences et rivalités, qui étaient autrefois régionales, ont des retentissements économiques (et plus seulement politiques) dans le monde entier.
Une troisième guerre mondiale n’a pas (pas encore ?) eu lieu. Mais il y a toujours, comme en permanence dans le passé, de sanglantes luttes armées localisées çà et là. Alors la parenthèse du XXe siècle, avec ses mobilisations générales au service de systèmes socio-philosophiques antagonistes, est-elle refermée ? Est-on revenu aux immémoriales foires d’empoigne entre puissances dont aucune n’est immortelle, avec seulement des technologies bien plus efficaces, qui permettent l’hostilité même si l’on n’est pas voisins ? Il y a tout de même de l’inédit, et l’on peut en pointer deux aspects (parmi d’autres, sans doute).
Le tournant de 1989
Un des acquis du XXe siècle qui semble perdu au XXIe est que la volonté populaire, telle qu’elle s’exprime dans des manifestations de masse, est irrésistible. Quand "le peuple est dans la rue", le gouvernement en place n’a plus qu’à capituler. C’est — ou plutôt c’était — une espèce de dogme établi à partir des événements de 1789 à Paris et à Versailles, et confirmé depuis un peu partout dans le monde. Mai 1968 le vérifie encore : la contestation étudiante et les émeutes au Quartier latin ne suscitent pas d’alternance politique et, à la fin du mois, un demi-million de personnes défilent sur les Champs Élysées pour réclamer le rétablissement de l’ordre. La "société de consommation" a survécu, et tout s’est joué dans la rue.
C’est encore ce qui marche en 1989 : les ouvriers de Solidarność obtiennent en juin des élections libres en Pologne ; même chose en Hongrie en septembre ; en novembre, le Mur de Berlin tombe, puis c’est la "Révolution de Velours" à Prague ; en décembre le régime Ceausescu s’effondre en Roumanie. Mais la chute du "rideau de fer" qui divisait l’Europe ne doit pas occulter un autre événement, radicalement symétrique, qui se produit simultanément et même un peu avant, dès le printemps, à l’autre bout du monde : les chars de l’Armée rouge chinoise écrasent à Pékin sur la place Tien’anmen (et, à vues humaines, irréversiblement dans le pays) les dénonciations de corruption et espoirs de démocratisation.
Le pouvoir n’est plus dans la rue
On peut donc dire qu’en 1989, non seulement le XXe siècle, mais encore l’ère ouverte par la Révolution française (dont c’était le bicentenaire !) s’achève et une autre commence, car après cela, tyrannies nationalistes et dictatures kleptocratiques s’avèrent résister assez bien aux frustrations et révoltes de leur "base". Il y a certes des exceptions, comme la "Révolution de Maïdan" à Kiev en 2014 (aujourd’hui remise en cause par l’agression russe). Mais le "Printemps arabe" de 2011 n’a abouti qu’à pas grand-chose. Et force est de constater qu’en général, les despotes savent se maintenir contre la volonté souvent explicite des peuples : Iran, Birmanie, Syrie, Biélorussie, Afghanistan, Nicaragua, Thaïlande, quantité de pays africains… À Cuba et au Venezuela, une bonne partie de la population a préféré l’exil. En Chine et en Russie, les gens n’ont simplement pas les ressources culturelles de la dissidence.
En plus de la répression policière, voire militaire, dont les techniques se perfectionnent, le truquage des élections est bien rodé. Mais il suffit déjà de censurer toute opposition ou de trouver un prétexte judiciaire pour rendre inéligibles ses représentants. Et même là où la démocratie subsiste, de grandes manifestations ne changent rien. Les foules rassemblées préservent encore la liberté scolaire en 1984. Près de trente ans plus tard, en 2013, on les ignore pour imposer le "mariage pour tous". Même chose l’an dernier à l’occasion de la énième réforme des retraites, malgré une série de grèves et défilés. On peut mentionner aussi de spectaculaires "mouvements sociaux" sans lendemain, parce que sans objectif bien identifiable : "Je suis Charlie" en janvier 2015, les "Gilets jaunes" en 2018-2019…
Fixations éphémères
Dans les sociétés encore au moins formellement démocratiques, l’impuissance de "la rue" abandonne le pouvoir non pas tant à des intérêts particuliers (trop nombreux et divers pour qu’aucun règne, et obligés de composer entre eux) qu’aux "faiseurs d’opinion". Entendons : celles et ceux qui lancent ou relaient et donc valident (sans pour autant afficher de vastes projets) des messages (courts) ou des images indéfiniment retransmis et commentés pour la raison suffisante qu’ils choquent, séduisent ou confortent des idées reçues, voire en fabriquent quand la réalité de la diffusion est si massive qu’elle disqualifie toute distanciation critique.
Les réformes "sociétales" sont déclarées des priorités, comme si, sans qu’on ose le théoriser, c’était un devoir moral et l’avenir de l’humanité en dépendait.
Le flot permanent de l’actualité produit de la sorte une succession de fixations éphémères qui paralyse tout recul et vision de l’Histoire en même temps que de la vocation de l’homme. C’est ainsi que les réformes "sociétales" sont déclarées des priorités, comme si, sans qu’on ose le théoriser, c’était un devoir moral et l’avenir de l’humanité en dépendait. Mais c’est ainsi aussi que, contradictoirement, la menace d’un dérèglement climatique n’affecte guère la volonté de préserver les conforts et autres acquis du "niveau de vie" atteint au XXe siècle.
L’égoïsme pessimiste
Ces inconséquences débouchent sur une attitude inédite et pour le moins paradoxale, qui est peut-être la seconde caractéristique originale du XXIe siècle. On peut appeler cela un égoïsme pessimiste. Il consiste (d’une part) à juger que l’espèce humaine est sans doute la plus nuisible sur terre et mérite de disparaître, mais (d’autre part) à "profiter" soi-même autant et aussi longtemps que possible, puisqu’on est là sans l’avoir choisi (donc non punissable), avant d’être proprement et sans peine ni angoisse dissous dans le néant. Cette posture dissuade bien entendu de s’encombrer d’enfants et, de fait, la démographie est en baisse, surtout dans les pays les plus favorisés, mais également en Chine. Reste à se rappeler d’abord que le chemin vers l’achèvement de l’Histoire n’est ni rectiligne ni uniformément ascensionnel, et ensuite que le XXIe siècle est heureusement loin d’être fini.