Un certain discours dans l’Église affirme que l’Esprit saint ne peut être donné qu’aux personnes baptisées. Or j’ai été plusieurs fois touché par la sagesse, l’intelligence spirituelle et l’amour de personnes non baptisées, qui, même ne connaissant pas Dieu, étaient mues par une présence les entraînant vers le meilleur, l’essentiel et le don de soi, au point de percevoir la présence de l’Esprit saint agissant en elles. Parfois même, certaines, qu’elles soient anonymes ou connues comme Gandhi, m’ont enseigné Dieu par leur manière d’être, d’agir et d’aimer.
L’amour de Dieu se donne gratuitement
Cette question me paraît essentielle pour comprendre comment Dieu agit, comment il se donne aux hommes et par quels chemins. N’est-il pas écrit dans l’Évangile : "Ne t’étonne pas, si je t’ai dit : “Il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit.” Nicodème répondit à Jésus : “Comment cela va-t-il se faire”" (Jn 3, 8-9) ? Jésus semble bien dire que l’Esprit saint souffle et se donne à tous ceux qui désirent une vie nouvelle, et ce, avant même ou indépendamment de l’acte de baptême. De même, le jour de la Pentecôte, le récit des Actes des Apôtres (2, 1-17) explique qu’après l’expérience lors de laquelle les apôtres furent remplis de l’Esprit saint, Pierre s’adressa aux habitants de Jérusalem qui doutaient, dans ces termes, citant le prophète Joël : "Il se fera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute chair…"
Dès la Genèse, l’Esprit est donné à l’homme lorsque le souffle de Dieu lui donne la vie.
Dès la Genèse, l’Esprit est donné à l’homme lorsque le souffle de Dieu lui donne la vie. Dès le commencement, il y a une manifestation de l’Esprit. Celui-ci est présent à tout être humain et à toute l’histoire de l’humanité. L’amour de Dieu est premier et se donne gratuitement au monde, à chaque personne prête à l’accueillir. Le père jésuite Michel Rondet, auteur du livre Laisser vous guider par l’Esprit (Bayard, 2008) rappelle que "l'Esprit est à l’œuvre dès les origines de la création. “L'Esprit de Dieu planait sur les eaux”, nous dit le livre de la Genèse (Gn 1,2). Il est présent en tout homme par sa raison et sa liberté, ce qui fait de nous cette image de Dieu que les événements et le péché peuvent ternir mais jamais effacer. Cette présence en nous du Souffle divin (l'Esprit) est ce qui nous constitue dans notre nature d'homme, aucun être humain n'en est donc exclu."
Le don de l’Esprit engage notre liberté
Le don de l’Esprit est bien donné à tous, mais tous ne vont pas l’accueillir. L’un des larrons accueille la gratuité de l’amour de Jésus sur la croix, l’autre non. Quelles que soient nos blessures, limites, failles, nous avons toujours la possibilité de mettre notre confiance en Dieu. Croire en l’amour infini et inconditionnel de Dieu est fondamentalement un choix qui ne s’impose pas, mais engage notre liberté. Quand Pierre proclame la bonne nouvelle de Jésus, il explique comment tous pouvaient recevoir le don de l’Esprit : "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit" (Ac 2,38). Cette déclaration établit un lien entre le sacrement du baptême et l’effusion dans l’Esprit saint. Mais ce "mode opératoire" n’est cependant pas unique. Pour s’en convaincre, relisons l’histoire de Corneille, centurion de l’armée romaine, décrite dans les Actes des Apôtres. Corneille vient à la rencontre de Pierre et se prosterne devant lui (Ac 10, 25-26.34-35.44-48) :
Pierre le releva en disant : “Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi.” Alors Pierre prit la parole et dit : “En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes.” Pierre parlait encore quand l’Esprit saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors : “Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit saint comme nous tous ?” Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ.
La liberté de Dieu
L’histoire de Corneille nous invite à l’ouverture du cœur et de l’intelligence pour reconnaître en tout homme la marque de l’action de Dieu. Ne considérons pas trop vite que seuls les chrétiens sont porteurs de l’Esprit saint. Et soyons vigilants à ne pas cultiver un entre-soi des "bons" catholiques qui seraient dans la vérité, en opposition à ceux qui seraient en dehors de la grâce. Car l’exemple de Corneille nous rappelle que Dieu est libre de déverser son Esprit au moment et sous la forme qu’il souhaite.
L’enjeu de cette prise de conscience pour l’Église — constituée de nous tous — consiste à ce qu’elle devienne véritablement missionnaire et continue d’être en mouvement, pour se laisser transformer et sanctifier par l’action de l’Esprit saint dans le monde : nous sommes invités à annoncer la Bonne Nouvelle, mais aussi à la recevoir de manière nouvelle par l’intermédiaire de ceux que nous ne soupçonnons pas — dans le milieu de nos entreprises par exemple — et qui peuvent être pour nous des relais de Dieu venant nous rencontrer et nous rejoindre !