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Donc, une commission d’enquête parlementaire sur "les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité". Soit. On aura des auditions de victimes avérées et alléguées (comme on dit dans le monde anglo-saxon, fort méfiant face aux conséquences juridiques des mots employés), de responsables divers et variés, très vraisemblablement d’experts et de journalistes, et peut-être même de mis en cause (si cela n’interfère pas avec des procédures judiciaires en cours, ce qui exclut quelques noms). Le tout sera enregistré, transcrit puis mouliné par des rapporteurs (les administrateurs de l’Assemblée nationale, qui mettent un peu de raison dans la passion politique) et aboutira à un rapport et des préconisations législatives. Certains parlementaires prendront la lumière, d’autres feront des exploitations idéologiques et tous auront bonne conscience. Le tout en six mois, soit bien moins en temps de travail utile, si l’on défalque rédaction, relecture, discussion, négociation, amendements. Conclusion logique : il n’y aura aucune enquête historique. C’était déjà le travers de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, quelle que soit par ailleurs l’ampleur du travail réalisé.
Une question de travail
Peut-on faire une enquête historique sur ces questions dans ces milieux ? Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas possible. Tant qu’on n’a pas cherché, on n’a rien trouvé. J’ai du mal à penser qu’il n’y a aucune archive, ne serait-ce que celles du ministère de la Culture, sans compter les archives judiciaires et policières. Ces archives doivent être bien sûr articulées à d’autres sources, témoignages et enquêtes de presse prenant ici tout leur intérêt. Le tout est une question de travail et de conditions de travail : du temps et des ressources, qui peuvent produire des résultats significatifs même avec un investissement limité, puisque l’histoire est une discipline dans laquelle on peut faire beaucoup avec pas grand-chose. Ainsi, l’équipe de recherche socio-historique de l’EPHE qui a travaillé pendant deux ans pour la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a compté trois équivalents temps plein, visité plus de 40 centres d’archives, parcouru plus de 100 000 pages, réalisé une enquête par questionnaire, entendu une dizaine de clercs condamnés, pour produire un rapport de plus de 600 pages, le tout pour un budget de 250 000 euros en comptant salaires chargés, frais de déplacement et menues dépenses.
Veut-on d’une enquête historique ?
Mais veut-on d’une enquête historique ? La représentation nationale et derrière elle la société française veulent-elles vraiment connaître les violences sexuelles ? De ce que je vois actuellement, non. D’abord, se limiter au cinéma, à l’audiovisuel, au spectacle vivant, à la mode et à la publicité, c’est ignorer tous les autres espaces sociaux où se produisirent et se produisent encore des agressions sexuelles : enseignement (du primaire au supérieur), sport, milieux professionnels (notamment tous ceux marqués par une forme de clôture : hôpitaux, maisons de retraite, armée, prisons...), politique, religions autre que le catholicisme — et tout le reste. Si on sait l’ampleur des violences sexuelles, on se refuse à aller voir vraiment et systématiquement plus loin. Ensuite, on se satisfait d’une connaissance testimoniale, journalistique, voire sociologique, mais qui ne dispense pas d’une approche historique. Ignorer l’enquête historique, c’est refuser de quantifier dans le temps, de savoir s’il y eut des inflexions temporelles, s’il y eut des périodes plus agressives que d’autres, si les mutations socio-culturelles des années 1960-1970 (le "Mai 68" si facilement symbolique) sont si importantes que cela. C’est évacuer le passé en considérant qu’il n’a pas d’importance, ne pas vouloir savoir vraiment, refuser d’assumer ce qui fut.
Pour l’instant, seule l’Église catholique, plus ou moins contrainte et forcée, a été capable de se mettre à nu et d’assumer, peu ou prou, sa part de la violence sexuelle commise depuis les années 1950.
Car que trouverait-on par le biais d’une enquête historique ? Simplement ce qui fut trouvé dans le cadre du travail de la Ciase : que la violence sexuelle est largement supérieure à ce qu’on peut connaître à partir de sources ouvertes (presse, témoignages, statistiques judiciaires) ; qu’elle a un caractère systémique, c’est-à-dire lié au fonctionnement même des institutions, qui crée en partie les conditions de l’agression et qui cherche à les traiter discrètement sans parvenir à empêcher leur réitération ; qu’une partie de la société et des institutions participent à cette occultation, au nom de l’ordre social et d’intérêts particuliers ; que ces agressions sont anciennes, ancrées, tacitement et parfois explicitement connues, mais ne sont l’objet d’un débat social que dans certaines circonstances.
L’exemple de l’Église catholique
Pour l’instant, seule l’Église catholique, plus ou moins contrainte et forcée, a été capable de se mettre à nu et d’assumer, peu ou prou, sa part de la violence sexuelle commise depuis les années 1950. Parfait bouc émissaire consentant, elle est fort utile pour que le reste de la société s’estime dispensée de regarder à son tour dans le miroir de son histoire les horreurs qu’elle a supportées, tolérées, acceptées, promues, ignorées, étouffées, occultées, effacées, niées. Cela lui évite de se découvrir aussi misérable que l’Église, d’être obligée de battre sa coulpe, de devoir réparer et se remettre en cause.
Il est toujours difficile de répondre à la question "Qui vive ?". Cela oblige à se découvrir, et cela peut être mortel. Seules les institutions sachant d’où elles viennent et où elles vont osent finalement le faire. Aussi n’a-t-on qu’une simple commission parlementaire sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.