Des bruits de ferraille s’échappent d’une grange où s’activent couvreurs et ferronniers. Au milieu de la cour de l’atelier « Fer Art Forge » de Saint Aubin les Bois (Calvados), une grande croix est suspendue au-dessus de la réplique d’une charpente en bois. Elle semble grande, et pourtant d’ici fin mai, les Parisiens et les touristes ne l’apercevront que de très loin, juchée tout en haut de Notre-Dame. C’est ici, au cœur de la Normandie, que l’on a redonné à la croix du chevet du chœur de Notre-Dame toute sa splendeur.
Le jour de l’incendie, elle est tombée avant même la flèche, échappant miraculeusement aux flammes. D’une hauteur de treize mètres, cette œuvre de Viollet-le-Duc pèse deux tonnes ; elle ressort complètement tordue de sa chute de quinze mètres de haut, mais demeure relativement bien préservée. Contrairement au coq, elle ne sera donc pas remplacée : après 1000 heures de travail, elle a désormais retrouvé tous ses ornements. Il ne lui reste plus qu’à retrouver sa place en épousant la charpente. Le navire de pierre amarré entre les deux bras de la Seine va retrouver son gouvernail. « C’est une grande fierté d’avoir contribué ainsi à la restauration de Notre-Dame », déclare Alexandre Gury, à la tête de la ferronnerie d’art. « Ce sont des pièces tout à fait hors du commun. Elles ont vécu, et nous avons voulu nous aussi mettre toute notre âme dedans pour les faire perdurer. »
Josselin est couvreur et travaille sur le site de Notre-Dame de Paris depuis plusieurs semaines. Il a contribué à habiller la croix de ses ornements en ferraille. « C’est une pièce inédite. Se dire qu’on a forgé cette croix unique est une vraie fierté », confie-t-il à Aleteia. « Ce qui est fantastique, c’est que ce n’est pas la volonté d’un seul homme, c’est le travail de tous les corps de métiers réunis qui a rendu possible cette restauration. Je le vois lorsque je suis à la cathédrale : lorsque le tailleur de pierre pose sa statue, tout le monde s’arrête, regarde, se réjouit avec lui. »
À côté, son collègue Gary s’arrête de marteler le fronton qui va bientôt être installé à la base de la croix. Ce dernier travaille depuis plus de 15 ans sur les toits des églises parisiennes. « J’ai travaillé sur Sainte-Clotilde, Saint-Roch, Saint-Leu-Saint-Gilles, Saint-Germain L’Auxerrois… Et maintenant Notre-Dame », sourit l’artisan, de confession musulmane. « J’aime énormément travailler sur les églises. Ce sont de hauts lieux de spiritualité, il s’en dégage un calme apaisant. Cela me rend heureux. Notre-Dame, c’est le chantier du siècle pour nous. On n’en aura pas deux, des Notre-Dame, dans nos vies d’artisans.»
Symbole du relèvement de Notre-Dame
« La cicatrice de l’incendie se referme progressivement », déclare avec fierté Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques. « C’est un moment symbolique du relèvement de Notre-Dame de Paris. Cette réalisation est représentative de la multiplicité des savoir-faire français qui ont contribué à rebâtir cette cathédrale en cinq ans », abonde Philippe Jost. « Notre-Dame est à Paris, mais ce sont des artisans de toute la France qui contribuent à sa restauration. Nous sommes impatients de la rendre au culte. » La réouverture de la cathédrale est prévue pour le 8 décembre 2024, date particulièrement symbolique pour les catholiques qui fêtent en ce jour l’Immaculée Conception. C’est là que la Vieille Dame, la survivante, l’éternelle, accueillera, enfin, sa première messe. Sous ses voûtes, on entendra le Te Deum ou le Magnificat, et les cloches sonneront à la volée comme pour les noces d’une reine.