Le métier de Pierre Destais, directeur du service catholique des funérailles de Marseille, n'est pas de ceux que l'on croise tous les jours. On préfèrerait d'ailleurs ne jamais avoir affaire à ceux qui ont embrassé cette carrière. Pourtant, celui qui se dit "croque-mort catholique" livre pour Aleteia un témoignage poignant de lumière et d'espérance.
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"Toi, l'Auvergnat quand tu mourras, quand le croque-mort t'emportera, qu'il te conduise, à travers ciel au Père éternel" chantait Brassens dans sa "Chanson pour l’Auvergnat". Si le terme de "croque-mort" parle et amuse, effraie un peu aussi, le terme désuet désigne de Brassens à Lucky Luke plusieurs métiers différents : conseiller funéraire, brancardier, fossoyeur, transporteur ou thanatopracteur. Si Pierre Destais sourit en se présentant comme "croque-mort catholique", le jeune père de famille de 29 ans complète, un peu plus sérieusement, cette fiche de poste qui interpelle. L’intitulé précis du poste qu’il occupe est celui d’assistant, ou conseiller funéraire, un métier qui consiste à accompagner les familles, entre 90 et 100 par an, au moment de la perte d’un proche, ou dès la perspective de cette perte prochaine, jusqu’à la réalisation des obsèques. "C’est un travail qui peut être mal vécu et qui n’est pas fait pour tout le monde, ni pour tous les moments de la vie. Il ne faut pas être trop cabossés, car les personnes qui font appel à notre service ont besoin de s'appuyer sur nous."
Accompagner la vulnérabilité des familles endeuillées
Concrètement, un conseiller funéraire organise la partie pratique d’un enterrement, dans ses dimensions administratives et juridiques. "L’organisation d’obsèques est très réglementée, précisément à cause de la vulnérabilité des familles endeuillées. Ce qui peut être vécu difficilement est en fait un garde-fou conçu pour les protéger des velléités commerciales de certaines pompes funèbres." L’assistant funéraire conseille également les familles sur la partie financière et matérielle, comme le choix du cercueil, du corbillard et des fleurs et orchestre l’accompagnement humain et spirituel, c’est là la spécificité des pompes funèbres catholiques.
Plus qu’un métier, c’est une véritable mission à laquelle a répondu Pierre Destais puisque le service catholique des funérailles a été créé dans un esprit de filiation avec l’Église par le diocèse dont il demeure autonome. Les liens sont d’ordre spirituel, dans l’accompagnement, bien qu’il existe des attaches juridiques qui sont de l’ordre de la coopération, sans que la société ne reverse de dividendes au diocèse. "Nous sommes une société coopérative d’intérêt collectif, un cas particulier de type d’entreprise à but non lucratif qui ressemble beaucoup à l’association de la loi 1901, souligne Pierre Destais. D’ailleurs, les salariés de l’entreprise ont un salaire fixe qui ne dépend pas des ventes. Pardonnez-moi l’expression, mais nous ne sommes pas plus payés à vendre un plus beau cercueil. Cela nous rend très libres dans l’accompagnement des familles, puisque nous ne sommes pas des commerciaux et n’avons aucun intérêt personnel à le devenir, contrairement aux autres entreprises de pompes funèbres où le salaire, par les commissions, est indexé en partie au volume des ventes".
La mort effraie et ceux qui la côtoient aussi
Comment dès lors devient-on croque-mort ? Enfant, Pierre Destais n’avait jamais imaginé embrasser ce métier : "À la fin de mes études de philosophie à Paris et de management à Marseille, après quelques stages qui ne m’avaient pas beaucoup intéressé, j'ai cherché un métier qui ait du sens et qui me force à travailler pour donner le meilleur de moi. J’en ai parlé avec un ami qui connaissait l’ancien directeur du service catholique des funérailles de Marseille, qui cherchait alors à recruter quelqu’un. Entre cette discussion et mon embauche, il s’est passé dix jours : j’ai mordu, je me suis pris d’affection pour ce métier, ce besoin, ces familles et cette mission dans laquelle je pouvais mettre ma foi en pratique." Pierre, alors fiancé, consulte celle qui est depuis devenue son épouse avant de s’engager dans cette mission particulière. "L’entourage est très important : on partage à la maison les situations qui nous marquent, en bien comme en mal. Quand les gens postulent chez nous, on leur demande d’en parler à leurs proches car ils sont nombreux ceux à qui la mort fait peur et ceux qui sont auprès d’elle quotidiennement peuvent effrayer aussi".
Ensevelir les morts et conseiller les endeuillés sont des œuvres de miséricorde. Sans Dieu, ce n’est plus de la miséricorde.
C’est sa foi qui anime le jeune assistant funéraire, qui a grandi dans une famille catholique. "J’ai eu besoin d’un peu de temps pour m’approprier la foi que j’avais reçue de mes parents, mais si je ne croyais pas en Dieu, je pense que je ne ferais pas ce métier… Ou alors je le ferais mal et probablement pas pour les bonnes raisons. On participe à l’épreuve des gens : sans la foi, ni l’espérance, je n’aurais pas la charité, or, ensevelir les morts et conseiller les endeuillés sont des œuvres de miséricorde. On reçoit la force et la mission de Dieu : sans Dieu, ce n’est plus de la miséricorde".
Contempler la mort à la lumière de l’espérance
Côtoyer la mort quotidiennement façonne indéniablement le regard que Pierre porte sur elle : “Ce métier m’a rendu un peu plus conscient de l’aspect aveugle de la mort, c’est évident. Il n’y a pas de réponse à la question 'pourquoi ?' et 'pourquoi maintenant ?'. La fragilité de la vie impose de s'interroger sur ce que l'on veut en faire". Nombreux décident ainsi d’en profiter un maximum, pour vivre tout ce qu'il est possible de vivre avant qu’elle ne leur soit retirée. "Ma mort ne me fait pas tellement peur, j’essaye de faire en sorte d’être prêt à mourir en paix, à n’importe quel moment. La question du devenir de mon âme, je la remets entre les mains du Seigneur et je travaille à la rendre aussi propre que possible. Quant à la question du devenir de mon corps, cela ne m’effraie pas".
La question du devenir de mon âme, je la remets entre les mains du Seigneur. Quant à la question du devenir de mon corps, cela ne m’effraie pas.
Paisiblement, l’assistant funéraire constate : "J’ai vu des centaines et des centaines de corps qui ont été vivants un jour et dont la vie s’est échappée : avec un infini respect, ils ont été habillés, préparés, transportés, bénis, encensés, enterrés ou crématisés. Je sais bien qu’un jour, je n’aurai à mon tour plus la maîtrise de mon corps. D’autres s’occuperont de lui pour moi : ils l’habilleront, le transporteront, le béniront et l’enterreront. Cette partie-là ne m’inquiète pas particulièrement. Ce qui compte vraiment, c'est de faire en sorte que l’occasion de ma mort ne soit pas trop compliquée pour mes proches ; c'est aussi surtout de savoir comment je vais paraître devant Dieu".
Quant à l’évolution du rapport à la mort qui meut la société, d’une génération à l’autre, Pierre Destais constate : "On sort d’une génération qui a connu la guerre et l'après-guerre, qui a connu la mort, la faim et l’inconfort. La génération qui lui a succédé a connu les loisirs, les plaisirs et a eu le luxe de faire le déni de la mort". Le glissement, lui, se traduit par l’évolution des rites funéraires et l’avènement de la crémation "pour oublier cette perspective de la dégradation progressive du corps". C’est précisément là que se joue l’espérance chrétienne : "La mort est tragique, parce que l’homme n’a pas été créé pour mourir, conclut le conseiller funéraire. On ne peut pas faire l’économie de la croix que le Christ a voulu porter pour nous. Ce ne sont ni les fleurs, ni les diaporamas, ni les jolies poésies qui sortent du deuil, mais l’espérance invincible que le Christ, une fois pour toutes, a véritablement vaincu la mort".
[EN IMAGES] Versets bibliques peuvent aider un proche en deuil :