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Devant le vide de la politique, le pari capucin

François Leclerc du Tremblay, France, Histoire, Richelieu

L'Éminence grise de Jean-Léon Gérôme, huile sur toile, 1873.

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Gaël Brustier - publié le 19/04/24
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Devant l’épuisement de la politique et le vide de la pensée, le politologue Gaël Brustier oppose le "pari capucin". Dans "Les Analphabètes au pouvoir" (Cerf), il donne comme modèle le père Joseph, l’éminence grise du cardinal de Richelieu, ce capucin mystique aux pieds nus qui avait une véritable intelligence politique et le juste sens de l’action.

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"Le débat public dans son ensemble oscille entre la quête du grandiose et l’inventaire quotidien des impuissances du politique", constate Gaël Brustier. Dans le déluge des mesures dérisoires et immédiates, la mise en scène de soi est un impératif existentiel, déplore-t-il. Le monde politique ne sait plus hiérarchiser les vrais enjeux. Plus de distance, pas de recul, aucune perspective. Pour se projeter dans l’avenir, propose le politologue, pas d’autre option que de recourir à une figure de l’histoire qui sut donner au pouvoir son sens du service désintéressé, l’amour des pauvres et le sens de l’État, la maîtrise du temps long et le respect de la Création. Cette figure, c’est celle du père Joseph, "un type bien qui nous laisse quelques leçons".

Aleteia : Dans un monde en crise et dans une société de l’éphémère, sans mémoire, quelles sont les leçons du Père Joseph ?
Gaël Brustier :
Il est vrai qu’après la légende noire qu’on lui a accolée notamment au XIXe siècle, le père Joseph est devenu une figure estimée des "réalistes" en politique étrangère depuis un siècle. Dans un temps où le but n’est pas de se forger une image de pacifiste mais bien d’œuvrer à la Paix, c’est une figure qui peut inspirer, faire réfléchir mais il est évident qu’on ne peut la copier à moins de la singer.

Comment un capucin mystique aux pieds nus pouvait-il avoir une pensée politique, pas seulement le souci des pauvres, mais le sens de l’État et des rapports de force ?
François du Tremblay naît à la fin des Guerres de Religions, après la Saint Barthélémy, et pour toute cette génération, comme les suivantes, il s’agit véritablement d’exorciser le spectre de la Guerre Civile. Avant d’être un capucin, il a porté les armes mais aussi bénéficié d’une instruction classique complète qui en fait ce que l’on appellera bien plus tard un "intellectuel", quelqu’un capable de penser son temps. Esprit particulièrement bien fait, il s’entend personnellement très bien avec Richelieu, qui est lui aussi tout autant homme d’État que grand mystique.

Le doute s’instille quand même sur le fait que nos contemporains aient beaucoup d’intérêt pour la nature, la Création.

Il faut souligner qu’il est un produit de son milieu social dans son éducation, de son siècle dans sa préoccupation de paix, et qu’il a une quête d’absolu qui le guide toute sa vie. Il vit dans un siècle d’interrogation de l’Europe sur son propre destin, dont le paroxysme est probablement le siège de Vienne en 1683 qui voit un autre capucin, le bienheureux Marco d’Aviano jouer un rôle certain. 

Devant l’épuisement de la politique, le "pari capucin" n’offre pas un contre-modèle de société, comme peut l’apparaître le "pari bénédictin" de Rod Dreher, mais plutôt un "paradigme de l’action" : que voulez-vous dire ?
Les capucins sont présents sur cinq continents et ils puisent dans leur histoire mais surtout dans l’oraison une action constante dans l’esprit de "minorité" franciscaine. C’est un paradigme totalement différent de ce qui est propagé par la culture dominante actuelle et qu’il faudrait méditer. La figure du capucin est dans l’Histoire le strict opposé de celle de l’influenceur des réseaux sociaux. Les fraternités séculières franciscaines ont toujours joué un rôle dans la société et particulièrement au XVIIe siècle.

L’un des aspects de la crise globale de nos sociétés, est la crise climatique. On lui répond par un catastrophisme incantatoire qui empêche toute hiérarchisation des enjeux. A contrario, l’expérience et le charisme franciscains, que nous retrouvons dans l’encyclique Laudato si’, enseigne la dimension sociale et culturelle de l’écologie : qu’est-ce que cela change ?
Il y a beaucoup de façons d’être "écologiste" et l’étiquette valorise plus qu’elle ne donne un contenu véritable au mot. La version autocentrée est marquée par la peur de tout et l’obsession d’enjeux d’intérêt très relatif. L’écologie du consommateur est renforcée par l’idéologie du "Moi, écologiste…", qui fait du consommateur un héros de la cause écologiste sans en faire un acteur historique. L’émerveillement devant la nature, devant la Création n’a pas vraiment sa place dans ce schéma, où chacun est appelé à revêtir la panoplie du parfait écolo avec ce qu’il faut de mièvrerie et d’indifférence à l’autre. La mise en scène de soi dans les gestes du quotidiens destinés à "sauver la planète" est le signe d’une grande immaturité et dans un grand désordre dans les esprits. Il faut montrer à tout le monde qu’on trie ses déchets, qu’on fait du vélo etc. 

Le doute s’instille quand même sur le fait que nos contemporains aient beaucoup d’intérêt pour la nature, la Création.

C’est symptomatique d’une époque où il faut faire savoir et faire voir qu’on fait les choses et que cela est plus important que de les faire véritablement. On peut être fervent usager du vélo, du train de nuit et réaliser méthodiquement son compost soi-même sans en informer la terre entière ou se faire croire à soi-même qu’on est un héros. Le doute s’instille quand même sur le fait que nos contemporains aient beaucoup d’intérêt pour la nature, la Création. On perçoit surtout une immense trouille chez eux, quelque chose qui relève des sueurs froides et du mauvais film d’angoisse que d’une action pensée et constructive visant à renouer des liens avec la nature, les autres et Dieu.

Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.

Pratique

Les Analphabètes au pouvoir, Gaël Brustier, Cerf, 2024, 88 pages, 9,50 euros.
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