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Peut-on encore employer le mot complotiste depuis qu’on l’applique aussi bien à l’esprit libre qui se méfie des versions officielles qu’à l’obsédé maladif de scenarii délirants ? Parmi la liste suivante, cochez vos complotistes : celui qui vous assure qu’Hitler et Elvis Presley ne sont pas morts et viennent de contracter un mariage gay, celui qui envisage qu’un juge anticlérical puisse ne pas être totalement impartial quand il condamne un évêque, celui qui pense que Brigitte Macron est un panda évadé du zoo de Beauval, celui qui doute de la fiabilité d’un vaccin qui n’empêche pas d’attraper un virus... Les réponses sont sûrement plus intéressantes pour vous connaître que pour déjouer des complots réels. Si on veut tout de même sauver le mot complotiste de son détournement polémique fourre-tout, on doit pouvoir l’utiliser pour ceux qui refusent de croire à l’existence historique du Christ. On les appelle les "mythistes" et on pourrait actualiser leur nom en les dénommant les Michel.
La théorie mythiste
En publiant une libre réponse à Michel Onfray sous le titre Non, le Christ n’est pas un mythe, Matthieu Lavagna fait certainement œuvre utile. Non pas tant en montrant l’inanité des arguments périmés mille fois réfutés qu’aligne sans trembler le plus médiatisé des intellectuels à lunettes, mais surtout en résumant avec clarté les avancées de la recherche historique des cinquante dernières années, celles que les Michel ignorent tranquillement, en utilisant une bibliographie périmée. Sur ce point, nul n’a mieux peint Michel Onfray que Philippe Muray en le surnommant Homais, en allusion aux idées reçues positivistes du pharmacien de Madame Bovary : les arguments de Michel Onfray ne sont pas beaucoup plus récents.
Personne n’a remis en cause l’existence historique du Christ avant le XVIIIe siècle, même chez ses adversaires des premiers siècles.
Non, le Christ n’est pas un mythe et Matthieu Lavagna synthétise les démonstrations qui permettent désormais aux savants chrétiens, juifs, agnostiques et athées de l’affirmer avec plus de certitude que presque tout ce que nous savons de l’Antiquité. S’appuyant sur ces sources solides, Matthieu Lavagna fait de nombreux rappels précieux : personne n’a remis en cause l’existence historique du Christ avant le XVIIIe siècle, même chez ses adversaires des premiers siècles qui voyaient dans les chrétiens de dangereux illuminés ; l’un des deux passages sur Jésus des Antiquités juives de Flavius Josèphe (vers l’an 90) ne peut en aucun cas être une interpolation totale de moines médiévaux, puisqu’il est cité par Origène dans son Contre Celse en 248 ; on voit mal pourquoi des copistes auraient truqué un texte pour prouver une existence dont absolument personne ne doutait ; le Talmud lui-même — dont on admettra qu’il n’est pas un coup des curés — atteste la crucifixion la veille de Pâques. En se limitant aux sources non-chrétiennes, souvent hostiles, nous serions donc dans le cas bizarre d’un complot organisé sans le moindre mobile, si ce n’est, avec mille ans d’avance, pour permettre à Michel Onfray de se réconcilier avec Yann Moix sur le plateau de Laurent Ruquier.
De mauvaise foi
Matthieu Lavagna laisse la conclusion à l’historien athée Bart Erhman, qu’il cite souvent : "Je pense que les athées ne se rendent pas service en défendant la thèse mythiste, parce que, franchement, cela vous fait passer pour des idiots aux yeux du monde extérieur." Telle est la conclusion à laquelle amène la raison : prétendre que Jésus n’a pas existé relève de la bêtise ou de la mauvaise foi.
Pour expliquer la publication de Théorie de Jésus, bien d’autres explications sont évidemment possibles, surtout si on renonce à la raison. Par exemple que Michel Onfray n’existe pas, que ses textes ne sont qu’un copier-coller d’obsessions anticléricales délirantes, que son visage n’est qu’une image de synthèse légèrement retouchée chaque année pour simuler le blanchissement des cheveux et la prise de poids qu’amène souvent le vieillissement, qu’il a été créé par le Mossad pour récupérer les droits d’auteur des près de 400.000 exemplaires vendus de son Traité d’athéologie, que l’inaltérable débit de ses interventions médiatiques dissimule mal la parole robotique d’une intelligence artificielle. Peut-être aussi qu’un fils caché de Judas — le vrai Christ — et de la Vierge Marie a laissé une lettre codée que Michel Onfray a été le premier à déchiffrer. On peut toutefois penser plus simplement, ce qui est plus crédible que tous les complots, que les lunettes de Michel Onfray ne sont pas de vraies lunettes, mais des œillères.
Pratique