De retour d’un voyage récent au Chili, plusieurs dizaines d’années après ma première expérience dans ce pays dans le secteur du micro-crédit, ma conviction du rôle écologique et social de l’entreprise en est revenue renforcée. Il y a trente ans, j’ai reçu du Chili cette conviction que nos croyances quelles qu’elles soient, et en particulier la foi chrétienne pour ceux qui sont chrétiens, gagnent en crédibilité quand elles se prolongent par des engagements concrets dans la sphère économique et politique. Et encore aujourd’hui, dans mon action de dirigeant, je reste marqué par la volonté de réconcilier l’activité de l’entreprise avec les enjeux de la société : en quoi notre activité sert-elle le bien des personnes et de notre Terre ?
Participation et formation
Malgré l’évolution politique du Chili, gouverné par le président de gauche Gabriel Boric, j’ai pu constater lors de ce séjour la prégnance d’une vision économique libérale encore très présente. Beaucoup d’entrepreneurs chiliens ont le désir d’une action sociale ou écologique, mais celle-ci est le plus souvent imaginée comme une œuvre de charité, « à côté » de l’activité de l’entreprise. Or ce qui a suscité la curiosité des dirigeants chiliens pour Armor Group, l’entreprise que je dirige, est notre désir d’équipe de mener un projet d’entreprise qui place « l’écologique et le social » au cœur de sa stratégie.
L’entreprise ne peut pas être considérée comme un îlot séparé du monde qui l’entoure. Les parties prenantes de l’entreprise doivent être prises en compte dans la manière de conduire la stratégie de l’entreprise.
Les mécanismes d’intéressement et de la participation aux résultats n’existent pas au Chili. J’ai alors pris conscience combien la France, depuis le gouvernement du général de Gaulle, est pionnière dans la juste répartition des profits de l’entreprise. De même pour la formation : chez Armor Group, nous avons par exemple créé une université dans l’usine qui forme les opérateurs de production pour leur permettre de devenir pilotes de machines robotisées. Accueillir 6% de personnes fragiles, handicapées, sourdes et muettes par exemple, fait également partie de nos objectifs. En comparaison, la loi chilienne fixe l’objectif légal à 1% d’accueil de personnes handicapées dans les entreprises. Là aussi, la France montre un chemin d’humanisation de l’entreprise.
La mission du dirigeant
L’intégration des enjeux économiques, écologiques et sociaux vient questionner le rôle du dirigeant-leader. Doit-il juste se positionner en gestionnaire compétent ? N’est-il pas plutôt invité à devenir un accompagnateur des talents internes pour que ses collaborateurs puissent s’épanouir dans leur potentiel ? Cela suppose que le dirigeant s’approprie un chemin d’humanisation et de transformation personnelle pour élargir la vision de son rôle et l’incarner dans l’unité de toute sa personne. Sa mission est également de devenir un visionnaire innovateur, capable de remettre en question l’activité historique de l’entreprise : il ne s’agit pas seulement d’accompagner le « comment », mais aussi de redéfinir le « quoi » et le « pourquoi » de l’activité de l’entreprise.
Le capitalisme doit s’humaniser
Ma conviction : l’entreprise ne peut pas être considérée comme un îlot séparé du monde qui l’entoure. Les parties prenantes de l’entreprise (salariés bien sûr, mais aussi actionnaires, fournisseurs, clients, syndicats, environnement politique et social…) doivent être prises en compte dans la manière de conduire la stratégie de l’entreprise. Le capitalisme doit s’humaniser. Sinon il se retournera contre lui-même. La crise sociale du Chili de 2023, terrible par sa dureté, doit rappeler que si les populations n’adhèrent plus à une logique de croissance dont ils ne bénéficient pas, alors elles se révolteront contre le capitalisme au point de provoquer son implosion. Certes, prendre soin des enjeux écologiques et sociaux requiert des moyens qui peuvent pénaliser la rentabilité court-terme des investisseurs. Mais l’exigence de rentabilité des entreprises mérite d’incorporer le souci du long terme. Investir pour l’avenir est le signe d’un juste rapport au temps et à l’argent pour le bien de l’entreprise.
L’histoire montre que les investissements performants sont ceux qui s’enracinent dans un équilibre harmonieux entre le souci des enjeux économiques, écologiques et sociaux. Travailler à l’émergence de leaders unifiés qui intègrent ces enjeux multiples est une condition nécessaire pour faire émerger une économie plus juste et plus humaine !