Le spectre de la faim continue de rôder au Tigré, région du nord de l'Éthiopie ravagée par la guerre civile, et l'urgence d'une réponse à la crise humanitaire en cours semble chaque jour se faire plus pressante. Le président de l'administration régionale intérimaire du Tigré, Getachew Reda a lui-même affirmé début 2024 que plus de 91% de la population se trouve actuellement "exposée au risque de sous-alimentation et de mort". Au total, ce sont deux millions de personnes qui souffrent de malnutrition aiguë, et ce malgré l'aide humanitaire fournie par les Nations Unies.
Laissé exsangue par une guerre de deux ans, le Tigré est une région d'Éthiopie constituée de 90% de chrétiens. Elle a été le théâtre d’affrontements entre l’armée fédérale d’Éthiopie et les forces sécessionnistes du Tigré de novembre 2020 à novembre 2022 qui ont causé la mort d'environ 600.000 personnes. Privé d'aide humanitaire pendant une année, le Tigré est actuellement confronté à une sécheresse des plus intenses qui empêche toute récolte de porter du fruit. Tous ces facteurs font craindre une famine comparable à celle, terrible, de 1984-1985, qui avait fait entre 300.000 et 1 million de victimes. La suite, en effet, ne présage rien de bon. Les projections actuelles de l'IPC (Integrated Food Security Phase Classification) indiquent que la majorité de la région du Tigré est en phase 4, qui correspond à la situation d’ "urgence humanitaire", pouvant dans certains cas passer en phase 5, c'est-à-dire en situation de "catastrophe / famine" d'ici à juillet 2024.
Les enfants en première ligne
Les enfants sont, comme toujours, les premières victimes de la faim qui sévit. Le nombre d'enfants morts de malnutrition a ainsi doublé depuis la guerre, selon l'ONG Mary's Meal, association humanitaire qui fournit chaque jour un repas à 2,4 millions d’enfants dans les pays les plus pauvres, tout en leur offrant un accès à l’éducation. Son fondateur, Magnus MacFarlane-Barrow, s'est rendu au Tigré au mois de février 2024. "J'ai été bouleversé immédiatement à mon arrivée. J'ai rarement vu une situation aussi désespérée. La souffrance vécue sur place est innommable", affirme-t-il à Aleteia. "Les pédiatres et les nutritionnistes que j'ai rencontrés dans les hôpitaux évoquent un taux de malnutrition ahurissant, multiplié par trois sur les derniers mois. Il faut se rendre compte que la faim est devenue la première cause de mort sur place." Une faim à laquelle il faut ajouter le manque d'accès à l'éducation : plus de la moitié des enfants en âge de fréquenter l'école primaire au Tigré (53%) ne sont pas scolarisés.
Dans ce contexte, Mary's Meal s'efforce de fournir aussi bien repas qu'accès au savoir grâce à un programme d'alimentation scolaire auprès de 45.000 enfants de la région chaque jour d'école, le programme ayant doublé de capacité depuis Noël. Malgré ces conditions de vie plus qu'éprouvantes, les Tigréens, dont 96% sont orthodoxes, s'accrochent viscéralement à leur foi, selon Magnus MacFarlane-Barrow. "J'ai ressenti une foi profonde chez ces gens qui n'ont absolument rien pour vivre décemment. Ils ne laissent jamais aller à la moindre forme d'égoïsme. Ils ont faim, vivent de l'aumône, et pourtant, ils partagent entre eux", s'étonne-t-il. "La charité se déploie dans toute sa splendeur, de façon tout à fait héroïque. Même les enfants la pratiquent. Tous ont vécu la guerre : les meurtres, les exécutions, les viols... Et pourtant, ils ne parlent que de pardon. Ils ont une conscience très forte d'être des créatures de Dieu. C'est frappant."