separateurCreated with Sketch.

Ce que nous dit le rejet des réformes sociétales en Irlande

IRLANDE-RUE-DUBLIN-shutterstock

Dublin (Irlande).

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Jean Duchesne - publié le 26/03/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Si deux amendements constitutionnels dévalorisant le mariage et la femme au foyer ont été rejetés en Irlande, c’est faute d’une mobilisation suffisante. Mais il y a des leçons à en tirer, observe l’essayiste Jean Duchesne, comme la soumission des partis dominants aux minorités agissantes.

Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.

Je donne en 3 clics

*don déductible de l'impôt sur le revenu

On n’en a pas fait des gorges chaudes, mais il s’est produit en Irlande il y a peu un événement qui mérite quelque attention. Deux projets d’amendement de la Constitution ont en effet été rejetées par référendum. Ceux-ci visaient à des "modernisations" officialisant l’évolution des mœurs. Il s’agissait d’une part de déconnecter la vie en couple et en famille de l’institution du mariage (désormais non nécessaire), et d’autre part de gommer l’affirmation (jugée "archaïque") selon laquelle les mères ont un rôle spécifique et irremplaçable au foyer, si bien que l’État doit veiller à ce qu’elles ne soient pas obligées de prendre un emploi rémunéré. Si les Irlandais ont massivement envoyé balader ces mises à jour "sociétales", cela signifie-t-il qu’ils restent attachés à l’amour ardent et fidèle célébré dans la ballade chantée par Bourvil en 1958 ? Eh bien non, pas vraiment. Mais c’est tout de même instructif.

Sécularisation

Identitairement catholique (en résistance au protestantisme du colonialisme britannique), l’Irlande s’est sécularisée pendant la croissance qu’elle a connue à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, grâce à l’Europe depuis 1973. Le libéralisme politique et économique est devenu également moral, et l’Église a beaucoup perdu de son influence culturelle (c’est un peu la même chose qui s’est passée au Québec, dans l’orbite américaine). Les abus sexuels et autres, révélés à partir des années 1990, n’ont rien arrangé. Le mariage homosexuel a été légalisé en 2015 et l’avortement en 2018, le blasphème a été dépénalisé la même année et le divorce a été institué en 2019 — tout cela malgré les protestations et mises en garde des évêques — qui ont été peut-être encore moins écoutés cette fois-ci.

Dans ces conditions, l’échec de ces nouvelles réformes destinées à conformer la législation aux mentalités et pratiques du moment paraît surprenant, d’autant plus que pratiquement tous les partis politiques soutenaient ces deux amendements, massivement approuvés par les deux chambres du Parlement et préparés par une "Assemblée de citoyens" tirés au sort (ce qui a été imité chez nous avec les "Conventions" sur le climat en 2019-2020 et sur la fin de vie en 2022-2023). Cette étape figure depuis 2012 en Irlande dans le processus de réforme constitutionnelle — soumise en dernier ressort à un référendum et non à un vote du Congrès.

Consensus et abstention

Le gouvernement a suivi la plupart des conclusions de cette "Assemblée de citoyens", sauf celle qui recommandait que soit gravée dans la Constitution l’égalité entre hommes et femmes. La réponse a été que toute discrimination était déjà condamnée dans le texte en vigueur, et qu’il aurait fallu inclure celles (non moins réprouvables) liées au handicap ou à l’ethnicité. La crainte était également que cela n’entraîne des revendications liées à la théorie du "genre", où l’on n’admet pas le "binarisme" qui ne répertorie que deux sexes immuables.

Tout a ainsi été fait pour créer le consensus le plus large possible et les jeux semblaient faits d’avance. La campagne n’a donc pas été animée. Mais le double "oui" plutôt franc initialement prévu par les sondages s’est progressivement érodé et, à la veille du scrutin, les résultats étaient devenus incertains. Finalement, le premier amendement a été repoussé par plus de deux électeurs sur trois et le second par près de trois sur quatre, avec une participation qui n’a même pas atteint 45% des inscrits. Quelques jours plus tard, le Premier ministre (Taoiseach en gaélique – prononcer ticheuk) a démissionné. Reste à en tirer les leçons.

Équivoques et manque d’intérêt

Les observateurs ont surtout relevé que les formulations proposées étaient équivoques. Par exemple, il n’y avait pas de critères définissant la "relation durable" substituable au mariage. Et pour ce qui est de l’assistance mutuelle au sein de la famille, dont le but était le partage des devoirs entre tous ses membres, le désengagement de l’État, qui n’aurait plus été obligé de faire que les mères puissent rester au foyer, a fait redouter que, dans la foulée, il ne se reconnaisse plus de responsabilités à l’égard des personnes âgées. Il est bien difficile de déterminer jusqu’à quel point ces considérations un peu pointilleuses ont pu peser.

L’échec du double référendum irlandais vérifie l’absence de demande et même d’intérêt à "la base" après une campagne assez atone.

Car le premier enseignement non hypothétique à glaner dans l’affaire est que les questions de ce type ne mobilisent pas tant que ça, bien qu’elles fassent la "une" de l’actualité. On peut dire qu’au niveau personnel et aussi de la solidarité sociale, les gens ont d’autres priorités. En régime démocratique régi par l’opinion qui s’auto-déclare prévalente, le pouvoir se conquiert en s’imposant dans les médias et se conserve (à défaut de s’exercer) en répondant aux attentes ou exigences du discours dominant. Mais cela pose un tas de problèmes.

Dévaluation du politique

En premier lieu, ce qui occupe le plus l’espace communicatif n’est pas les préoccupations les plus communes et répandues. Ce sont plutôt des dénonciations, des propos qui tranchent par leurs excès et, plus généralement, tout ce qui suscite des réactions passionnelles. Celles-ci, indéfiniment relayées, deviennent non ignorables : indignations ou peurs, entraînant et justifiant l’adhésion à des solutions ou remèdes simples et rapides… C’est ainsi qu’ont opéré des minorités agissantes, s’estimant "d’avant-garde", pour faire passer des réformes "sociétales" qui ont été passivement acceptées. L’échec du double référendum irlandais vérifie l’absence de demande et même d’intérêt à "la base" après une campagne assez atone.

Un deuxième ennui est que, si ces ajustements du droit valident et encouragent des mutations des mœurs sous l’effet de transformations des conditions de vie, elles-mêmes dues à des avancées technologico-économiques, c’est une dévaluation du politique : il n’y a plus de projets ni de choix. Les leaders ressemblent fort au roi que rencontre le Petit Prince de Saint-Exupéry sur l’astéroïde 325 au chapitre X : son autorité se limite à ordonner à ceux qui se manifestent de faire ce qu’ils réclament. Cette déconfiture des gouvernants a été confirmée en Irlande par le fait que l’opposition comme la majorité soutenaient les amendements rejetés.

Discernement

D’où une troisième difficulté : les différences entre les partis sont de moins en moins d’ordre philosophique ou moral, ou référées à des conceptions identifiables du bien commun. En Irlande, les deux grands partis traditionnels (Fianna Fáil, Finne Gael) sont déjà l’un et l’autre classés chez nous "centre-droit". Un peu partout, la "droite" et la "gauche" sont parallèles plutôt que symétriques, en tout cas dans le domaine "sociétal", où un totalitarisme mou règne au nom d’un réalisme myope qui prive d’horizon l’exercice immédiat des libertés. On peut ne pas pleurer la faillite des idéologies, tout en souriant de l’aplomb avec lequel la constitutionnalisation française de l’avortement a revendiqué une portée internationale.

Par ailleurs, l’affaire irlandaise rappelle combien les référendums sont aléatoires, ce qui peut expliquer que les promoteurs de réformes "sociétales" ne s’empressent pas d’y recourir. Enfin, l’impuissance des légistes à formuler adéquatement des normes assouplies pour les couples illustre l’utilité (voire la nécessité), pour la rédaction des lois, de cultiver l’art de l’écriture en étudiant, en plus du droit, les belles-lettres, l’histoire, la philosophie et même la théologie — cette dernière requérant au moins autant de rigueur dans l’expression, tout en formant au discernement de ce qui est bon et ne l’est pas pour les humains et leurs sociétés.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Aleteia vit grâce à vos dons

Permettez-nous de poursuivre notre mission de partage chrétien de l'information et de belles histoires en nous soutenant. 

Profitez de cette fin d'année pour bénéficier d'une déduction de 66% du montant de votre don sur l'impôt sur le revenu en 2024.

Newsletter
Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !