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Le pacifisme du pape François est-il juste ?

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Michel Cool - publié le 23/03/24
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L’appel du pape François à la négociation entre la Russie et l’Ukraine soulève des incompréhensions. Notre chroniqueur Michel Cool donne son point de vue, s’interrogeant sur le rôle que l'Église pourrait apporter sur le terrain géopolitique contaminé par le virus de la guerre.

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Le pape François persiste et signe. Semaine après semaine, il exhorte tous les belligérants à cesser le combat et à négocier. Russes et Ukrainiens, Israéliens et combattants du Hamas sont les premiers visés par ses appels auxquels ne répondent pour l'heure que les tirs de roquettes et le fracas des bombes. Cependant François joue ainsi son rôle de vigie de la paix et d'éveilleur des consciences. Il agit dans le droit fil de Vatican II et de ses prédécesseurs. Les papes du XXe siècle ont résolument remisé au placard l'image belliciste et belliqueuse donnée par l'Église durant la chrétienté. Nombre de saints aux profils guerriers figurent dans notre calendrier grégorien : ainsi le roi saint Louis ou Jeanne d'Arc, pour se limiter à des exemples français. Par ailleurs, les armes nucléaires et la doctrine de la dissuasion nucléaire ont fait exploser la théorie de la guerre juste. Cette notion héritée de l'Antiquité avait été reprise à son compte par l'Église sous l'influence de saint Augustin.

Le pacifisme de l’Église

L'Église catholique campe désormais sur une position qualifiable de "pacifiste". Celle-ci s'appuie sur une application stricte et non-négociable du cinquième commandement : "Tu ne tueras pas. "Cette même loi de Moïse justifie aussi son opposition à la peine de mort, à l'avortement, ou encore au suicide assisté, comme l'a rappelé la dernière assemblée des évêques de France à Lourdes. Cette ligne a le mérite de la cohérence doctrinale. Mais la complexité du réel peut l'ébranler. Les réalités de la guerre, par exemple, peuvent disqualifier cet idéal quand il minore les rapports de forces, la nature des régimes et la psychologie des chefs et des peuples en présence. Souvenons-nous : pendant la Grande Guerre de 1914-1918, Benoît XV, non sans magnanimité, avait refusé de départager les Allemands et les Français, au nom de l'amour sacré de la paix. Il avait écopé d'une volée de critiques et d'impopularité des deux côtés du Rhin où se battaient et souffraient des patriotes catholiques. Ce pape, raillé pour son attentisme, ne parvint pas à empêcher l'une des plus grandes boucheries de l'histoire de l'humanité.

Toute tentative de négociation avec un potentat ayant l'avantage militaire et tenant le langage de la duplicité est un échec écrit d'avance.

François a lui aussi été rattrapé par une vague d'incompréhension et d'indignation, quand de manière maladroite, il a pu laisser entendre qu'il demandait aux Ukrainiens de hisser le drapeau blanc en signe de reddition à leurs envahisseurs russes. Cette façon de réclamer la négociation et la paix "à tout prix" ne résiste pas à l'injustice profonde ressentie par la partie agressée, qui plus est, la plus faible en nombre et en armes ; elle ne résiste pas non plus à ce fait historique et têtu : toute tentative de négociation avec un potentat ayant l'avantage militaire et tenant le langage de la duplicité est un échec écrit d'avance. Les accords de Munich signés en 1938 avec Hitler n'ont absolument pas évité la guerre... À cet égard, la fermeté employée par le polonais Jean Paul II pour soutenir les peuples se libérant du joug communiste, assimilé à une machination diabolique, fut une sorte de parenthèse dans le pacifisme devenu coutumier de l'Église catholique.

Changement d’époque

Ce pacifisme a pu être utile durant la Guerre froide jusqu'en 1980. Il a contribué à "détendre" les relations Est-Ouest et à défendre parallèlement la liberté religieuse violée derrière le "Rideau de fer". Le Vatican fut un des signataires influents des accords d'Helsinki, en 1975, par lesquels une trentaine d'États européens, les États-Unis et le Canada s'engageaient à établir une paix durable entre eux. Mais nous sommes en 2024. "Nous avons changé d'époque", pour reprendre des mots du pape François. La paix et l'unité de l'Europe — longtemps acquises et maintenues grâce à ses institutions communautaires — se trouvent menacées durablement d'une part, par l'impérialisme militaire russe et d'autre part, par l'isolationnisme des États-Unis. Notre système démocratique libéral est aussi dans le collimateur de nouvelles puissances hégémoniques, dont celle de la Chine n'est pas la moins préoccupante. La défense militaire de l'Union européenne n'est plus une hypothèse d'école. Elle est devenue une question primordiale, réclamant des solutions urgentes. Dans ce contexte tendu, les appels réitérés du Vatican au désarmement, à la négociation et à la paix unilatéraux peuvent ressembler à un cautère sur une jambe de bois.

Personne de raisonnable n'attend des religions qu'elle bénissent des plans de guerre. À moins de s'appeler Vladimir Poutine. Celui-ci n'a du reste pas besoin d'insister pour obtenir les faveurs de l'Église orthodoxe russe : son chef, le patriarche Kirill de Moscou est, de notoriété publique, un ancien agent des services secrets soviétiques. Ses fulminations contre la "décadence" morale et spirituelle de l'Occident servent à donner aux visées impérialistes du maître du kremlin un label de guerre de civilisation et même de guerre sainte. C'est un des aspects réels et redoutables du conflit opposant la Russie à l'Ukraine. Peut-on écarter ce sujet d'une hypothétique table de négociations au motif de rechercher "à tout prix" la paix ?

Réévaluer la notion de guerre juste

Que pourrait-on donc raisonnablement attendre de l'Église sur ce terrain géopolitique contaminé par le virus de la guerre ? Primo : le retour des armes conventionnelles classiques sur les champs de bataille peut être une opportunité pour réévaluer la notion de guerre juste, fondée sur le droit du faible à la légitime défense. Secondo, la relecture de la lettre de Paul VI au cardinal Roy publiée en 1971 pourrait être éclairante. Après sa déconvenue avec l'encyclique Humanæ vitæ, le pape Montini s'était interrogé sur la pertinence de continuer à émettre des normes unilatérales, faisant forcément fi des situations particulières. Une telle méthode casuistique ne pourrait-elle pas s'appliquer face à des situations de guerres ? Enfin tertio, à l'aune du retour du tragique dans notre histoire, ne pourrait-on développer une théologie de la paix, non plus "hors sol", mais ancrée dans les réalités de ce monde ? A-t-on suffisamment tiré des leçons théologiques du témoignage chrétien rempli par des religieux, des clercs et des laïcs qui, au nom de leur foi, ont résisté les armes à la main à l'oppression et à la barbarie ? A-t-on suffisamment fait de l'Église une école de la non-violence et de la réconciliation, reconnaissable et crédible déjà par son propre style d'existence ?

Sa paix seule peut nous procurer la lucidité et le courage d'affronter avec justice et avec justesse le retour du tragique dans notre histoire.

"Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé" (Jn 14, 27). Nous n'avons certes pas fini de comprendre les paroles du Christ. La paix du monde ne sera jamais celle reçue du Christ. Voilà qui devrait inciter toute l'Église, nous tous, à étudier toujours plus la pensée du Christ. D'abord parce qu'elle seule peut nous convertir à Sa paix. Ensuite parce que Sa paix seule peut nous procurer la lucidité et le courage d'affronter avec justice et avec justesse le retour du tragique dans notre histoire.

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