En invitant les Ukrainiens à lever le drapeau blanc, le pape François a pris de court la diplomatie pontificale qui tente une voie médiane depuis le début du conflit, mais aussi la plupart des chancelleries. Une proposition qui, toutefois, est en cohérence avec ce que François dit depuis le début de la guerre, rappelle le géopoliticien Jean-Baptiste Noé.
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Le pape François s’est fait de nouveaux ennemis. Les Ukrainiens sont furieux de sa prise de position lors d’un entretien diffusé le 9 mars à la télévision suisse RSI. Selon lui, les dirigeants ukrainiens devraient avoir "le courage du drapeau blanc", c’est-à-dire de demander un cessez-le-feu et de débuter des négociations en vue de terminer la guerre. Et François de poursuivre : "Quand on voit qu’on est vaincu, que ça ne va pas, il faut avoir le courage de négocier. Vous avez honte, mais à combien de morts va-t-on aboutir ?" Pratiquement, le Pape propose une médiation, qui pourrait être conduite par la diplomatie pontificale.
Fureur en Ukraine
En Ukraine, l’incompréhension est totale. Toute expression publique d’une négociation est systématiquement rejetée. La doctrine officielle est encore de poursuivre les combats jusqu’à récupérer les 20% du territoire occupé par les Russes. Il n’est donc nullement question de "drapeau blanc" et de cessez-le-feu. Pourtant, des négociations ont déjà eu lieu. Dès le samedi qui a suivi l’invasion, des envoyés ukrainiens ont rencontré des envoyés russes pour tenter de trouver une solution. En vain. En avril 2022, de nouvelles négociations ont débuté, mais sans rien donner. La Turquie s’est proposée à plusieurs reprises pour jouer le rôle de médiateur, elle qui soutient la Russie tout en fournissant des drones à Kiev. Mais cela n’a pas abouti non plus. Pour négocier, il faut que les deux camps le veuillent, or ce n’est le cas ni de Moscou ni de Kiev. Les deux parties sont encore persuadées de pouvoir gagner le conflit, rendant la négociation inutile. Ce n’est que lorsque l’un des deux camps sera au bord de la rupture qu’il sera prêt à lever le drapeau blanc, comme le fit l’Empire allemand à l’automne 1918.
Un pays exsangue
Le Pape a rappelé les souffrances de l’Ukraine, notamment l’Holodomor (1932-1933), famine organisée par les communistes qui a engendré la mort par la faim de 3 à 5 millions d’Ukrainiens. Il faut avoir "le courage de ne pas provoquer le suicide du pays", a rappelé François. Or, après deux ans de guerre, l’Ukraine est exsangue. Nul ne sait à combien s’élève les pertes humaines, blessés et morts, mais cela se chiffre à plusieurs dizaines de milliers. À quoi s’ajoutent les jeunes hommes ukrainiens qui ont fui le pays pour échapper à la guerre et la baisse de la natalité.
Si les propos du Pape ont heurté le gouvernement ukrainien, c’est que les deux ne visent pas les mêmes objectifs.
Comme après chaque guerre de ce type, l’Ukraine se retrouve avec moins d’hommes jeunes, plus de population âgée, en proportion de sa population totale, et une surreprésentation des femmes en âge de procréer. Ce qui à terme créera un krach démographique. Si la Russie a également perdu des hommes, elle a récupéré les populations du Donbass, ce qui compense une partie des pertes. Quand viendra la paix, l’Ukraine manquera d’enfants et de bras pour reconstruire le pays. D’où, selon le Pape, le "courage" de dire stop et d’arrêter la guerre. Si le gouvernement ukrainien est si opposé, nul sondage ne permet de savoir ce que pense la population ukrainienne. Et les élections présidentielles de 2024 ayant été reportées sine die, celle-ci n’aura pas le loisir d’exprimer son avis.
L’espérance du Pape
Si les propos du Pape ont heurté le gouvernement ukrainien, c’est que les deux ne visent pas les mêmes objectifs. Kiev veut récupérer les territoires occupés par la Russie quand le Pape veut d’abord sauver des vies. Ce qui lui importe, ce sont les civils et les militaires qui meurent ou qui sont blessés à la suite des combats. C’est cela qu’il voit en premier, les considérations frontalières lui sont secondaires. Son objectif est que le conflit se termine le plus tôt possible et qu’une paix juste soit établie, qui ne pourra se faire que sur le pardon accordé par les uns et les autres. Si la rancœur et la haine perdurent même après que les armes se soient tues, alors les conditions ne sont pas réunies pour une paix authentique et la guerre risque de repartir. Pour le Pape, la vie des personnes passe avant les considérations politiques et les questions nationales. Si le discours est inaudible pour Kiev, le Pape espère avoir posé une pierre qui pourra servir, en temps voulu, de levier pour la paix.