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L’Ukraine continue de résister à l’annexion qu’une agression militaire russe veut lui imposer et compte sur le soutien de ce qu’on appelle l’Occident. Celui-ci s’incarne principalement dans l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), qui regroupe les États-Unis, le Canada et la grande majorité des pays européens. Sur le site internet de cette alliance transcontinentale, on lit que "l’OTAN est et restera solidaire du gouvernement et du peuple ukrainiens, qui défendent héroïquement leur nation et leur sol, en même temps que nos valeurs communes". Ces derniers mots peuvent faire lever un sourcil et froncer l’autre.
Pour quels droits se battre ?
Certes, ces "valeurs communes" sont clairement définies et paraissent incontestables : "La liberté individuelle, la démocratie, la dignité de la personne et l’état de droit." Mais, apparemment, elles comportent aussi des prolongements ou des applications qui sont plus discutables. Ainsi, la France vient de faire de l’ "interruption volontaire de grossesse" (IVG) une "liberté garantie", enchâssée dans sa Constitution, comme si la légalisation de 1975 ne suffisait pas et comme si une grossesse se soignait aussi banalement qu’une appendicite. On peut douter que ce "droit" fasse partie de ceux pour lesquels les Ukrainiens se battent.
Il n’est en tout cas pas remis en cause chez eux, où l’avortement est permis depuis 1920 (c’était une première mondiale), sitôt après la prise du pouvoir par les Soviétiques. Il n’a été suspendu dans l’ancien Empire russe que sous Staline, afin de redresser la démographie et produire de la "chair à canon". Dans le même but, Vladimir Poutine a récemment appelé les femmes enceintes à ne pas y recourir, en se refusant toutefois à l’interdire, pour des raisons essentiellement pragmatiques : il a fait valoir que ce serait aussi peu efficace que la prohibition de l’alcool, et que les IVG clandestines sont dangereuses et souvent mortelles.
Comme un décalage ou un malentendu
L’avortement n’est pas la seule "valeur" occidentale qui, plus que vraisemblablement, ne mobilise guère les Ukrainiens. Quand une nation se bat pour exister et survivre, il lui est difficile de concevoir qu’en plus de l’IVG, le "mariage pour tous", la théorie du genre, l’euthanasie et le "suicide assisté" seraient les droits fondamentaux et suprêmes à conquérir et défendre absolument et donc prioritairement, parce que sans eux la liberté, la justice, la fraternité et la paix resteraient de vains mots.
Il y a ainsi, entre serviteurs des mêmes idéaux socio-politiques, comme un décalage ou un malentendu. Cette divergence est quelque peu camouflée par une autre, plus concrète : du côté des démocraties bien installées, le soutien est limité par le souci d’éviter une périlleuse (et coûteuse) escalade du conflit, tandis que la nation en train d’émerger dans la douleur a besoin de davantage d’aide. Mais l’affaire est encore compliquée et faussée par le fait que l’agresseur russe se présente en champion de "valeurs" traditionnelles (si ce n’est universelles), dont la religion (et plus précisément le christianisme), en accusant l’Occident sécularisé et désormais décadent de les brader.
Prétentions démenties
À l’évidence, le pouvoir moscovite est très loin de s’imposer comme le parangon des vertus morales éternelles. Tout opposant est considéré comme un traître et impitoyablement éliminé, souvent même sans s’embarrasser de formes judiciaires. L’"opération militaire spéciale" lancée en février 2022 contre l’Ukraine avait pour prétexte une "dénazification" (en faisant du nationalisme un ralliement à l’hitlérisme), et elle a donné lieu à des crimes de guerre comparables à ceux des nazis. Cela suffit à ruiner la prétention de défendre les "valeurs" non seulement communes à toute civilisation digne de ce nom, mais encore inspirées par l’Évangile. C’est un peu de même que les idéaux prônés par le régime de Vichy ont été disqualifiés par un fascisme de plus en plus ouvertement collaborationniste.
Mais la cause de la démocratie est elle aussi affaiblie et même pervertie lorsque ses soi-disant zélateurs ne tolèrent pas que s’exprime l’objection de conscience à des pratiques qui, comme l’avortement, la négation de la différence sexuée ou l’euthanasie, n’en sont nullement constitutives. À quoi il faut d’ajouter qu’en symétrie aux États-Unis, les "conservateurs", "réactionnaires" ou "populistes" (y compris nombre de protestants évangéliques), qui entendent protéger les "valeurs" classiques contre le "wokisme" , comptent sur un Donald Trump dont la rectitude intellectuelle et personnelle est décidément peu manifeste.
Des précédents
Il n’y a donc pas nettement d’une part les bons, et de l’autre les méchants. Ce genre de brouillage oblige, sous peine de se condamner à une désolation impuissante, à s’engager en occultant au moins temporairement des désaccords de fond. Ce n’est pas une nouveauté. Déjà, pendant la Seconde Guerre mondiale, les pays qui résistaient au nazisme se sont abouchés avec le communisme stalinien qui ne valait pas tellement mieux, et ils l’ont payé de près d’un demi-siècle de Guerre froide et de division de l’Europe par un "rideau de fer".
C’est ce qu’avaient fait François Ier et ses successeurs jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en s’alliant aux Ottomans, mais également Richelieu en soutenant les protestants pendant la Guerre de Trente Ans, dans les deux cas contre les Habsbourg. À première vue, c’était de la real politik dans l’intérêt égoïste de la monarchie française. Mais sans doute n’y avait-il pas là que du cynisme, et aussi l’intuition que la domination hégémonique d’une dynastie ne pouvait pas instaurer dans la "chrétienté" multinationale l’unité et la paix du Royaume annoncé.
Les doutes dans le combat
Les bipolarisations antagonistes qui forcent à prendre parti alors que le bien et le mal ou le vrai et le faux s’enchevêtrent de chaque côté, entraînent dans des "combats douteux" où le discernement est à la fois un devoir et un risque. En l’occurrence, il est clair d’abord que les contradictions et reniements de l’Occident n’innocentent pas l’agression de l’Ukraine. Il est non moins sûr d’une part que tous les Ukrainiens ne sont pas des petits saints (la corruption semble encore sévir chez eux) et d’autre part que les Russes ne sont pas tous des monstres sanguinaires.
En un combat douteux est le titre d’un roman paru en 1936 du Californien John Steinbeck (prix Nobel en 1962). C’est l’histoire d’une grève pourtant justifiée qui verse dans la violence. Mais l’expression est empruntée au Paradis perdu, l’épopée théologique du puritain anglais du XVIIe siècle John Milton, qui raconte la révolte de Satan contre Dieu. Le "Prince de ce monde" (Jn 14, 30) s’ingénie en effet à brouiller les cartes, subvertir le pur, déguiser l’indigne et multiplier les équivoques. Ce n’est donc pas encore Armageddon, la bataille finale où les "rois de la terre" s’entretueront et Dieu triomphera (Ap 16, 14-16). Mais "nul ne sait ni le jour ni l’heure" (Mt 24, 36) et, d’ici là, les inconséquences qui font douter sont inhérentes aux épreuves du combat déjà engagé.