Prêtes à risquer leur vie pour s’occuper des hommes qui leur sont confiés, les convoyeuses de l'air sont les héroïnes du ciel dont on ne parle pas. Aleteia a rencontré Clervie, l'une d'entre elles.
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Ils ne sont que 23, en France, à exercer le métier de convoyeurs de l'air pour rapatrier les blessés militaires des zones de conflit par voie aérienne. C'est Geneviève de Galard qui a donné à cette vocation méconnue une voix pour porter au grand public la noblesse de cette carrière qui demande à ces femmes et à ces quelques hommes de sacrifier jusqu'à leur vie au service des blessés de la patrie. Depuis la création de ce métier qui s’établit officiellement au sein de l’armée de l’Air française en 1946, certaines de ces héroïnes du ciel sont entrées dans l'histoire, d'autres comptent au rang de ceux qui sont morts pour la France. Aleteia a rencontré une infirmière convoyeuse de l'air brevetée en 2019, Clervie. Cette belle jeune femme au regard clair, les cheveux blonds rattachés en un chignon savamment négligé, a l’air d’une citadine comme on en croise le matin dans les grandes villes, un café à la main. Pourtant, il y a quelques mois encore, Clervie se trouvait au cœur de la guerre, les mains dans la boue, la sueur et le sang, pour sauver la vie des blessés qui lui étaient confiés.
Bien qu'elle appartienne toujours à l'escadrille aérosanitaire, la jeune femme de 27 ans est actuellement en congé du blessé au sein de la maison Athos en Bretagne, dispositif de réhabilitation psycho-sociale dédié à l’accompagnement des militaires blessés psychiques. Au téléphone, Clervie se confie avec franchise : "On m'a diagnostiqué en mai 2022 un syndrome psycho traumatique, je suis en convalescence. Je n'exerce plus, puisque je suis considérée comme blessée de guerre, même si pour le moment j'appartiens toujours à l'escadrille aérosanitaire."
L'élite des infirmières
En France, les convoyeuses de l'air forment l'élite des infirmières, recrutées après une sélection difficile qui prend en compte la condition physique, l'âge puisqu'il faut avoir moins de 36 ans et nécessite, en plus d'une expérience en réanimation aux urgences, de parler anglais. "Face à ces conditions, peu de candidats se présentent", estime Clervie. "Non seulement parce que cela reste un métier très méconnu, y compris au sein de l'armée, mais aussi parce que cette carrière reste assez peu compatible avec une vie de famille épanouie. C'est un métier qu'on exerce en général entre deux et six ans avant de se reconvertir dans l'armée ou dans le civil, à l'hôpital ou en régiment." Depuis 2008, les infirmiers convoyeurs de l’air ont obtenu le statut MITHA (militaire infirmier technicien des hôpitaux des armées), qui en font des membres de l’armée et des infirmiers à part entière, formés en IFSI (institut de formation en soins infirmiers) ou à l’EPPA (Ecole du personnel paramédical des armées).
Les convoyeuses de l’air rapatrient les blessés et les malades des armées dans le monde entier. Pour cela, un diplôme d’infirmier est nécessaire, complété par une formation en médecine aéronautique ainsi que par une fine connaissance des avions tactiques, stratégiques et de certains hélicos de l'armée de l'air. "C'est un métier dépendant de la géopolitique : comme on est aussi formés à l'aéro pour les évacuations, on peut être déployés sur les grandes missions humanitaires, comme en Ukraine, en Israël ou en Afghanistan. En 2020, j'étais à Wuhan, en Chine, pour rapatrier des civils : si nous sommes formés au rapatriement des militaires, nous connaissons aussi la réglementation aéronautique internationale pour prendre en charge tout type de personne".
Une formation mécanique complète les compétences des convoyeurs de l’air qui sont en mesure de connaître, pour chaque avion, les branchements en oxygène, le nombre de prises électriques et leur voltage pour savoir brancher toutes les machines nécessaires au rapatriement d'un blessé. Dans les avions, ils sauvent des vies : les hommes survivent grâce au sang que les convoyeurs leur injectent, à la position dans laquelle ils les maintiennent ainsi qu’à chacun des gestes minutieux qu’ils effectuent. "La formation aéronautique est vraiment la spécificité de notre métier, souligne Clervie. Une convoyeuse de l’air est le référent aéro pour l'équipe médicale à bord et le référent médical pour l'équipe aéro à bord. Par exemple, la cabine d'un Falcon est installée comme une chambre de réanimation : si la convoyeuse de l’air peut prendre le relais de l'infirmier au sein de l'équipe constituée pour rapatrier un blessé, la plupart du temps elle se retrouve à quatre pattes au sol pour faire les branchements des machines et communiquer avec le cockpit".
Rapatrier les blessés pour sauver les vivants
Si les convoyeuses de l’air rapatrient les vivants, elles sont aussi amenées, parfois, à rapatrier aussi des corps si le blessé meurt aux portes de l'avion ou décède au cours du vol. Lorsqu’elle rejoint l’escadrille aérosanitaire, Clervie est la plus jeune convoyeuse de l’air de l’armée. Son âge, pourtant, ne l’empêche pas de représenter parfois, dans les heures les plus noires de la guerre, une présence réconfortante et presque maternelle auprès de ses hommes, comme le fit Geneviève de Galard dans l’enfer de Diên Biên Phû. "En opex, les convoyeuses de l’air apportent un grand réconfort dans des situations extrêmes : nous avons le grade d’adjudant, suffisamment gradées pour être respectées, mais pas non plus trop, pour rester accessibles".
En opex, les convoyeuses de l’air apportent un grand réconfort dans des situations extrêmes : nous avons le grade d’adjudant, assez pour être respectées, mais pas trop, pour rester accessibles.
Avec émotion, Clervie se souvient de la mort du brigadier Ronan Pointeau, tué au Mali dans l’accomplissement de sa mission, au service de la France le 2 novembre 2019. "J'étais chargée de rapatrier six hommes atteints de SPT (syndrome psycho traumatique). Ils étaient tous très jeunes, 19 ans à peine et tous en stress aigu. Ils venaient de perdre leur ami et ils se sont tous tournés vers moi comme si j'étais leur maman, alors que j'avais seulement quelques années de plus qu'eux. Dans la salle d'embarquement, ils se sont émerveillés comme des enfants en voyant le billard", se remémore la jeune femme. "C’est un de mes plus beaux souvenirs de mission, comme cette fois où, alors que les djihadistes avaient envahi Tombouctou, j’ai évacué une maman et son bébé de deux mois."
En mai 2022, Clervie s’effondre. "Je rentrais d’une mission particulièrement éprouvante où nous avions eu beaucoup de blessés. J’ai vu des mutilés de guerre atroces à cause des obus et des mortiers tirés sur le camp lorsque le brigadier-chef Alexandre Martin est mort à Gao, au Mali. Déjà, l'été 2020 avait été une véritable boucherie, nous avions perdu beaucoup d'hommes et mon cerveau n’a pas tenu le coup. Aujourd’hui, je ne regrette rien de ma carrière, mais je pense que si je devais changer quelque chose, je me serai investie davantage dans mon suivi psychologique, là où j'ai toujours voulu gérer toute seule, par fierté". Quand tout s'enchaîne : le Covid, l'Afghanistan, le Mali, la Russie et Israël, Clervie tient bon jusqu'à s'effondrer. "Heureusement, je suis très soutenue par la cellule d'aide aux blessés du ministère des Armées. Puisque je suis désormais moi aussi considérée comme blessée de guerre, je suis passée de l'autre côté, celui de ceux que j'ai accompagnés".
Un long chemin de résilience
C’est aussi dans sa foi que Clervie trouve refuge pour panser ses blessures. Fille d’un père militaire et d’une mère infirmière, dont elle apparaît comme le savant mélange, Clervie grandit au sein d’une famille catholique pratiquante où le sens du devoir, de l’honneur et du service de la patrie sont des valeurs que la foi ne détrône pas. Face à la souffrance, au moment de la mort d’Arnaud Volpe et de Sébastien Texier le 5 septembre 2020, Clervie s’effondre : "Je ne pardonnais pas au bon Dieu. J'ai eu de gros problèmes dans ma vie personnelle et mon cerveau a vrillé. Je venais de rompre mes fiançailles trois jours avant mon mariage religieux alors que j'étais déjà mariée civilement. J'ai divorcé et j'ai été renvoyée au Mali dans la foulée. La mission m'a détruite : j'ai des camarades qui ont sauté sur une mine artisanale, je ne vous fais pas de dessin mais c'était assez dégueulasse. Ça a été très compliqué et j'ai vraiment mis Dieu de côté. J'ai traversé le désert, j’étais sur le point de sombrer".
Le bon Dieu a posé ses marques tout au long de mon chemin, c'est juste que je ne voulais pas les voir
Sur les conseils de son grand-père, Clervie s’en va marcher sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle avant de suivre une retraite spirituelle, sans grandes convictions. "J'étais très en colère contre Dieu, j'étais complètement fracassée par cette injonction à se ‘donner’ qui, de la manière dont je l'avais vécue, sans accompagnement, m'avait détruite. J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, je me suis confessée, et c’est là, seulement, que je me suis réconciliée avec le bon Dieu". Le chemin est encore long avant la guérison, mais Clervie est lumineuse de cette résilience propre aux âmes qui ont touché l’abîme jusqu’à l’extrême pointe de la souffrance humaine. Avec une espérance déchirante et édifiante, elle constate : "Le bon Dieu a posé ses marques tout au long de mon chemin, c'est juste que je ne voulais pas les voir". Face au large de la mer, sous son ciel breton, elle s’avance aujourd’hui sur le chemin d'espérance qui s’ouvre devant elle aux côtés de son fiancé pour contempler, apaisée, la promesse de la vie qui, enfin, rejaillit.
[EN IMAGES] Geneviève de Galard, convoyeuse de l'air dans l’enfer de Diên Biên Phu :