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Pierre-Damien, jamais canonisé et pourtant docteur de l’Église

PIERRE-DAMIEN-AURIMAGES

Fresque de la bibliothèque XVIe siècle de Salviati ou G.B.Zelotti: Saint Pierre Damien (1007-1072).

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Anne Bernet - publié le 20/02/24
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Ce saint du Xe siècle jamais canonisé mais à la sainteté incontestée, abandonné à la naissance, devint cardinal et docteur de l’Église. Hardi réformateur, Pierre Damien est à l’origine de la pratique du jeûne du vendredi ! Il est fêté le 21 février.

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Le Xe siècle n’est pas une époque heureuse. L’écroulement de l’empire carolingien, les invasions vikings et hongroises ont affaibli l’Europe pour des lustres. Si le pouvoir civil est en déliquescence, l’état de l’Église est pis. À Rome, les factions rivales s’affrontent, les antipapes se multiplient, un clergé dépravé et prévaricateur abandonne le troupeau confié à ses soins, livré aux violences des puissants et crevant de misère. Dans ce contexte sinistre, mettre un enfant au monde ne va pas de soi, quand vous ne savez plus comment nourrir ceux que vous avez déjà… 

Traité en esclave

Voilà ce que des fils assènent à leur mère, un jour de 938 à Ravenne quand elle leur donne un cadet. L’héritage familial est si maigre, comment le partager avec ce frère supplémentaire qui vient de naître ? Désespérée, la pauvre femme prend une décision radicale : le baptême administré au petit Pierre, elle choisit de le laisser mourir en lui refusant le sein et cette décision prise, elle s’y tient. Mais le nouveau-né a la vie dure. Après dix jours sans nourriture, il vit encore et continue de hurler après le lait maternel. Une voisine, prise de pitié, l’arrache à la mère dénaturée, le sauve et l’élève. 

Pierre a neuf ou dix ans lorsque, ses parents naturels morts, ses frères s’avisent de son existence et du problème de succession qu’il représente. L’aîné le récupère, sous prétexte de le rétablir dans ses droits mais sa véritable ambition est de se débarrasser une fois pour toutes de ce benjamin encombrant. Pierre est traité en esclave, travaillant jour et nuit sans salaire ni nourriture, quasi nu par tous les temps, battu comme plâtre. Mais loin de se plaindre, l’enfant ne cesse de louer Dieu. Un jour, dans la rue, il trouve une pièce d’argent : dans sa misère, un trésor. Au lieu de la garder et s’acheter le nécessaire, Pierre va à l’église et la donne contre une messe pour le salut de l’âme de ses misérables parents… 

L’un des plus brillants intellectuels de son temps

Or, l’un de ses frères, Damien, appartient au clergé de Ravenne et, informé, se met en quête de ce cadet abandonné et martyrisé, le retrouve, le recueille, s’attache à lui et, découvrant ses dons intellectuels exceptionnels, le fait étudier puis l’envoie prendre ses grades universitaires à Faenza et Parme. En quelques années, Pierre qui, par reconnaissance envers son frère, a rajouté à son prénom celui de Damien, devient professeur et l’une des figures intellectuelles les plus brillantes de son temps. Jeune, beau, entouré de disciples en admiration devant lui, très bien payé, il s’offre une maison splendide, les plus belles femmes le courtisent. L’avenir lui sourit enfin, une vie dorée s’ouvre devant lui. Très vite, cela le gêne ; les biens temporels ne l’ont jamais attiré, il aspire aux félicités célestes que, désormais, il redoute de perdre. Pour se libérer de ces chaînes plaisantes, Pierre jeûne, se baigne dans l’eau glacée pour éteindre ses ardeurs intempestives, porte un cilice et prie le Ciel de lui indiquer la voie. 

Ses supérieurs l’ayant entendu prêcher lui imposent de devenir prédicateur et d’aller enseigner dans tous les couvents camaldules d’Italie où il fait merveille.

Bientôt, sa décision est prise : il entrera chez les Camaldules de Fonte Avellana, l’une des maisons les plus dures de l’Ordre. Il liquide ses biens, les distribue aux pauvres et se retire au monastère. Mais on n’allume pas les lampes pour les mettre sous le boisseau. Ses supérieurs l’ayant entendu prêcher lui imposent de devenir prédicateur et d’aller enseigner dans tous les couvents camaldules d’Italie où il fait merveille. On le nomme supérieur du monastère de Pomposa, on le charge de nouvelles fondations. Bientôt, malgré sa retraite, on le consulte de partout sur des questions délicates concernant la foi, les mœurs, le gouvernement de l’Église. 

"Fléau des hérétiques"

À partir de 1044, Pierre devient conseiller des papes successifs Grégoire VI, Léon IX, Victor II, Étienne IX. En 1057, sous la pression de Rome, il accepte l’évêché d’Ostie, assume toutes les obligations de sa charge, célébrant les messes pontificales chaque dimanche, prêchant, confessant. La solidité de sa doctrine, son ardeur à défendre la foi catholique le font surnommer "le fléau des hérétiques" et lui valent le chapeau cardinalice. Mais c’est en 1058, quand il apporte un soutien sans faille au pape Nicolas II contre l’antipape Benoît X que son rôle devient prépondérant. Il est envoyé à Milan ramener l’ordre dans une église qui, se targuant à tort de privilèges remontant à saint Ambroise, prétend se libérer des lois romaines, tolère la simonie, qu’il s’agisse de distribuer des bénéfices ecclésiastiques ou acheter les ordres sacrés. Le mariage des prêtres y est béni comme s’il était permis. Pierre ramène l’ordre dans l’archidiocèse, impose la séparation des couples interdits, la restitution des charges usurpées, une pénitence longue et sévère aux coupables, démet ceux qui refusent, programme de lutte efficace contre la simonie et le nicolaïsme qui sera repris lors du concile de Rome quelques années plus tard et étendu à toute la catholicité.

Âgé, Pierre demande au nouveau pape, Alexandre II, de le relever de ses fonctions et lui permettre de retrouver Fonte Avellana. À regret, le pontife consent mais lui garde titre cardinalice et évêché, même s’il le libère de la charge effective. Est-ce enfin une retraite méritée ? Non car les missions se succèdent. Pierre, légat apostolique, se rend en France y constater l’état de l’Église, en Allemagne empêcher l’empereur germanique Henri IV de répudier sa légitime épouse, l’impératrice Berthe de Turin. Entre deux voyages, le vieil homme se consume en pénitences que beaucoup jugent excessives. Ainsi s’astreint-il à faire maigre et jeûner chaque vendredi en l’honneur de la Passion du Christ, usage qui s’imposera ensuite à toute la catholicité.

Docteur de l’Église

Fin 1071, il est expédié comme légat à Ravenne, sa ville natale. Sa mission menée à bien, mi-février 1072, il reprend le chemin de son monastère qu’il n’atteindra jamais. Il tombe malade à Faenza et, après neuf jours de souffrance, rend l’âme le 23 février, fête de la chaire de saint Pierre, cette chaire du pontife romain qu’il a tant défendue et soutenue quand elle était attaquée de toutes parts.

Sa Correspondance, ses Traité de la foi catholique et De l’office divin, pour n’en citer que quelques-uns, amèneront le pape Léon XII à élever Pierre Damien au rang de docteur de l’Église. Détail piquant, les procédures de canonisation n’existant pas de son temps, seule sa réputation de sainteté et la vox populi lui ont valu son titre de saint mais ses vertus étant incontestables, nul n’a jamais jugé bon de régulariser sa situation. C’est d’ailleurs ordinaire pour ces époques lointaines !

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