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Peut-être faut-il faire remonter à l’élection de saint Fabien, le 10 janvier 236, la conviction qu’en dépit des tractations et petits calculs humains, le successeur de Pierre est désigné par le Saint-Esprit. L’histoire, il est vrai, est singulière. Début 236, le pape Antère meurt après un pontificat de quarante-deux jours. Il venait de succéder à Pontien, mort déporté aux mines de Sardaigne. Les candidats, peu nombreux fin 235, le sont moins encore en janvier 236 : être élu est une garantie de martyre et cette fin sanglante ne tente pas tout le monde… Du coup, l’élection, publique car à l’époque il n’y a ni conclave ni cardinaux électeurs et ce sont les fidèles qui décident par acclamation — ce qui donnera parfois lieu à des rixes sanglantes entre factions rivales — traîne en longueur. Cela n’empêche pas les Romains catholiques de faire un tour à la catacombe où se tient le scrutin voir si les choses avancent.
Le choix de la colombe
Telle est la raison qui pousse Fabien, issu du patriciat, ce 10 janvier, à se mêler à la foule des votants. Simple laïc, il n’est qu’un spectateur perdu dans la masse et constate qu’aucun candidat ne recueille les suffrages ; il va sortir discrètement quand, par l’oculus qui aère la salle, entre une colombe. L’oiseau, déconcerté, tourne, se heurte aux murs. Mêmes chrétiens, les Romains, et pour longtemps encore, restent sensibles aux présages et signes. L’assemblée s’est tue ; la colombe n’est-elle pas le symbole du Saint-Esprit descendant sur la tête du Christ tandis que Jean le baptise au Jourdain ? L’oiseau tourne deux ou trois fois puis se pose sur l’épaule de Fabien. Il n’en faut pas davantage pour que la foule interprète l’incident comme un choix du Ciel désignant son élu. Jaillit un cri d’allégresse : "Il en est digne !" qui entérine le scrutin. Fabien, sensible à cette logique, accepte, tout laïc qu’il soit, cette désignation improbable qui contraint à l’ordonner prêtre en catastrophe pour le faire Pape.
Quelle était sa vie d’avant ? On l’ignore. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire, rapportée par saint Cyprien, contemporain de l’événement, très bien renseigné sur les affaires romaines, est authentique. Elle est d’ailleurs représentée sur une fresque de la catacombe montrant l’oiseau divin planant au-dessus de Fabien assis sur le trône pontifical.
Un excellent administrateur
La chance de Fabien est de devenir le dix-neuvième successeur de Pierre en une période de paix pour l’Église. Après des décennies de persécutions, l’accession au pouvoir impérial d’un officier originaire de l’actuelle Arabie, Philippe, accorde aux chrétiens quinze ans de tranquillité, au point que l’on a longtemps cru le nouvel empereur baptisé. C’est faux, mais sa bienveillance est incontestable et Fabien, membre de la haute société, détail intéressant pour ce parvenu de Philippe qui n’a pas ses entrées dans ce monde-là, se glisse dans l’entourage du Prince et y exerce un rôle de conseiller, efficace car il est un excellent administrateur. L’Église sera, bien sûr, la première bénéficiaire de ce talent. Fabien donne des structures au clergé romain, copiées sur celle de l’administration civile, nommant sept diacres, au sein desquels, normalement, sera choisi le prochain Pape, des sous-diacres et des notaires, ceux-ci étant chargés de récupérer, tâche dangereuse, les actes des martyrs et les conserver. Redoutant que les progrès de l’évangélisation en Gaule, question que Rome n’a pu suivre, se solde par la naissance de communautés hérétiques ou dissidentes, Fabien choisit dans son clergé et ordonne évêques sept missionnaires, Saturnin, Denis, Martial, Gatien, Paul, Trophime, Austremoine, chargés de donner des bases saines aux nouveaux diocèses et continuer l’œuvre de christianisation vers le nord et l’ouest.
Les choses se gâtent
Affirmant la primauté romaine et le pouvoir pétrinien, Fabien s’impose comme juge suprême et recours en cas de litige pour les Églises. Soucieux de l’unité catholique, il fait — signe fort — ramener de Sardaigne, non seulement le corps du pape Pontien, mort d’épuisement en déportation, mais celui de l’antipape Hippolyte, condamné à la même peine dans le même camp et qui, face à la mort, a publiquement reconnu la légitimité de Pontien, et les inhume côte à côte dans les catacombes. Législateur, Fabien édicte des peines sévères contre les clercs indignes et scandaleux, interdit les mariages entre parents jusqu’au cinquième degré et impose aux fidèles de communier au moins aux trois fêtes principales chaque année. Ce n’est pas un modeste bilan.
Sans vouloir détruire l’Église, il veut recréer une unité nationale en contraignant tous les habitants de l’Empire à sacrifier à la Déesse Rome.
Les choses se gâtent à l’été 249 lorsque Philippe, victime d’un coup d’État militaire, finit assassiné, exactement comme il l’a fait avec son prédécesseur. Issu du Sénat, Dèce, qui s’empare du pouvoir, est un conservateur persuadé que les maux qui rongent l’Empire sont imputables aux chrétiens qui attirent sur Rome la colère des dieux, la divisent et l’affaiblissent au plan moral. Sans vouloir détruire l’Église, car ses prédécesseurs s’y sont cassé les dents, il veut recréer une unité nationale en contraignant tous les habitants de l’Empire à sacrifier à la Déesse Rome. Dans son idée, il s’agit d’une simple marque d’adhésion patriotique et de fidélité face aux périls de l’heure, récompensée par un certificat de civisme. Dèce comprendra trop tard que ce qu’il demande revient, pour un chrétien conséquent, à apostasier… Il faudra donc châtier les récalcitrants, peu nombreux, car, jusque dans l’épiscopat, l’on n’a pas vu la malice involontaire de la mesure et l’on se plie de bonne grâce à ce geste patriotique sans en mesurer la portée spirituelle.
Une exécution politique
L’Église manquera alors disparaître, faute de martyrs, car Dèce ne veut pas en faire, par le reniement d’un nombre effarant de prêtres et fidèles et c’est ce qui lui vaudra la réputation démoniaque de pire ennemi du Christ. Fabien, lui, comprend d’emblée que se soumettre à l’édit, c’est renier la foi et s’y refuse. Le 20 janvier 251, il est décapité, mesure expéditive peu dans les habitudes de Dèce qui prouve que la liquidation du Pape est affaire politique, en raison de ses liens avec Philippe et parce que, lui disparu, l’Église privée de chef, n’opposera plus de résistance à l’État. Ainsi commence l’une des pires crises du catholicisme…