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"Notre aînée avait mûri son projet, à 18 ans, elle était prête à partir, à quitter Nantes pour Compiègne", confie Mikaela. "Mon mari m’a dit de lui faire confiance et en effet, tout s’est bien passé. La cadette, âgée de 16 ans, s’était préparée à l’idée que sa sœur quitte le foyer familial. Avec leurs chambres mitoyennes, elle savait que cela laisserait un vide. En revanche, cela a été beaucoup plus difficile pour la benjamine. Elle avait 12 ans à ce moment-là, et nous n’avions pas anticipé cela." En effet, le départ d’un enfant change l’équilibre familial. Le reste de la fratrie doit retrouver ses repères compte tenu de l’espace laissé par l’aîné.
"L’impact du départ de l’aîné dépend de la qualité de la relation affective", explique Claude Berthon, psychologue clinicienne à Courbevoie. "L’aîné fait partie du paysage familial du plus jeune depuis toujours, son départ peut donc s’apparenter à un abandon du référent affectif, presque comme un abandon maternel." C’est l’expérience de Mikaela : "Notre aînée est douce et fédératrice, elle était toujours d’accord pour jouer avec la plus jeune, donc son départ lui a laissé un grand vide."
Ce départ, le benjamin peut avoir du mal à le comprendre. Le monde avec ses dangers, ses virus, ses guerres, ses attentats, peut faire peur, alors pourquoi quitter le cocon familial ? Claude Berthon explique : "À l'échelle d’un enfant, le monde peut être inquiétant, il n’a pas forcément envie de l’explorer. Les parents ont donc à rassurer le plus jeune, à lui redire qu’ils n’abandonnent pas l’aîné, qu’ils continuent à veiller sur lui. Rappeler aussi que l’aîné est heureux de ce changement et qu’il continue à garder ses frères et sœurs dans son cœur."
Une transition
"Ce n’est pas évident pour les parents dont les sentiments sont parfois ambivalents. Le syndrome du nid vide est réel. Il y a un deuil à faire de la cellule familiale", encourage la psychologue. A Versailles, Sophie, maman de trois enfants, confie son expérience : "Le grand était ravi de sa vie étudiante, celui qui pleurait, c’était mon collégien ! Il se sentait tout seul, abandonné. Je lui ai dit qu’il avait le droit d’être triste, mais jusqu’à la Toussaint seulement, ensuite il faudrait prendre sur soi et se remonter les manches pour faire de nouvelles choses." Les parents ont à trouver l’équilibre pour laisser au plus jeune la possibilité d’exprimer son désarroi, son manque, sa frustration, mais sans le laisser se morfondre ni déprimer trop longtemps.
Claude Berthon précise que certains peuvent traverser une phase de régression - un enfant de 8 ans qui reprend sa tétine, un collégien qui cherche sans cesse de l’aide comme pour vérifier que ses parents s’occuperont de lui - et d’autres enfants vont au contraire chercher à accélérer leur croissance - comme un collégien qui revendique les droits d’un grand adolescent. "C’est une transition", rassure la psychologue, "le temps que le plus jeune s’adapte à ce nouvel équilibre familial."
Préserver des moments de qualité
Parfois c’est l’aîné qui peut mettre du baume au cœur du plus jeune. "Tu peux me laisser autant de messages que tu veux, et quand je viendrai pour les vacances, on passera plein de temps ensemble !", disait Camille en prépa intégrée, à sa jeune sœur collégienne. Prévoir des moments de qualité pendant les retrouvailles familiales est essentiel. Avec un écueil à éviter pour ne pas exacerber la potentielle jalousie du benjamin face à l’aîné qui prend toute la place quand il revient pour un week-end. La psychologue explique : "Parfois les plus jeunes vont être plus difficiles, en réaction à l’aîné qui est au centre de l’attention quand il revient ponctuellement."
Ceci correspond au souvenir de Louise, maman de quatre enfants à Lille. "Quand ma sœur revenait de son internat, toute la vie familiale tournait autour d’elle", se souvient-elle. "Mes parents avaient envie d’avoir le maximum de nouvelles. C’était frustrant pour moi, la petite, parce que moi aussi j’avais envie de raconter et de partager avec ma sœur. Alors aujourd’hui quand mon aînée (collégienne en foyer de charité) revient de son internat, je veille à ne pas chambouler tout le programme familial à cause du retour de la grande. Il faut que chacun ait sa place."
Rassurer sur la qualité des liens familiaux
Aider le benjamin à dépasser sa baisse de moral quand l’aîné quitte le foyer demande donc de lui laisser un peu de temps, d’accueillir ses émotions et de le rassurer de la qualité de l’amour des parents pour chacun de leurs enfants. Cette nouvelle étape est aussi l’occasion pour le plus jeune de tisser un lien nouveau avec son grand frère ou sa grande sœur. Le lien fraternel évolue et perdure. La distance peut également permettre de porter dans la prière les intentions réciproques : confier au Seigneur les examens du grand ou le camp du plus jeune, par exemple. Alors le benjamin, heureux et confiant dans le nouvel espace qui s’offre à lui, découvre une nouvelle étape de son histoire.