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L’immense dans le minuscule

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Luc de Bellescize - publié le 29/12/23
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Qu’allons-nous faire du signe qui nous est donné à Noël ? Ne risquons pas de perdre l’Enfant nouveau-né, l’immense qui s’est fait minuscule, répond le père Luc de Bellescize. Il faut nous ranger dans le camp des bergers, c’est-à-dire le camp des veilleurs.

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C’est saint François d’Assise, le petit frère, le riche marchand devenu pauvre pour l’amour du Christ, qui a inventé la crèche. C’était au jour de Noël de l’année 1223, dans la ville de Greccio, au Nord de Rome. Il aimait cet endroit de lac et de montagne où il venait parfois contempler le mystère de Dieu dans une intense prière. Et c’est là qu’il eut l’idée de réveiller dans l’Église endormie la mémoire de Bethléem, de cette nuit belle entre toutes où le Très-Haut s’est fait le très-bas, où le Tout-Puissant, immense, s’est fait tout vulnérable, afin que nous puissions nous approcher de lui avec confiance. Qui donc aurait peur d’un enfant ? François a voulu redonner le Christ à l’Église, réveiller la conscience d’un Dieu qui se fait proche, briser la carapace d’indifférence blasée qui semble saisir notre vie si souvent et nous rend incapable de nous émerveiller, ne serait-ce qu’un instant, au sourire d’un enfant.

« Homme, réveille-toi, dit saint Augustin, pour toi Dieu s’est fait homme. Réveille-toi, ô toi qui dort, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. »

Ne soyons pas de ces corps endormis dans la torpeur des nourritures terrestres, de ces âmes habituées et comme mortes qui, comme le disait Charles Péguy, ne "mouillent" pas à l’eau de la grâce, parce qu’elles pensent que tout se vaut, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et que rien ne peut sortir du poids de leurs habitudes immuables. Aujourd’hui nous est donné un nouvel enfant, un enfant nouveau-né pour que chacun de nous puisse naître à nouveau. 

Quelle autre religion ?

Si toutes les religions du monde sont des voies où l’homme essaye, tant bien que mal, de rejoindre Dieu, la révélation chrétienne est unique, car c’est Dieu qui vient rejoindre l’homme, jusqu’à planter parmi nous sa tente. Ce que nous vivons la nuit de Noël n’est pas monté du cœur de l’homme, ni de son intelligence, ni de son imagination fertile, mais est descendu du Cœur de Dieu. Dieu s’est fait homme. Dites-moi : quelle autre religion ose-t-elle proclamer ce mystère ? Dieu n’est-il pas le Tout Puissant, l’au-delà, celui qui habite la lumière inaccessible ? Et pourtant cette lumière s’est levée parmi nous, dans une étable obscure sous un ciel étoilé. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. [...] Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » (Is 9, 1). Quelle dignité que celle de l’homme, si Dieu s’est fait homme ! Et quelle grandeur de Dieu que celle de s’abaisser jusqu’à l’homme ! Le propre de l’amour est de s’abaisser au rang de serviteur. 

Dites-moi : quelle autre religion ose-t-elle proclamer ce mystère ? Dieu n’est-il pas le Tout Puissant, l’au-delà, celui qui habite la lumière inaccessible ?

"Notre Dieu s’est fait homme, dit saint Irénée de Lyon, pour que l’homme soit Dieu." Pour que l’homme, en recevant dans ses mains lourdes, chargées de péchés et de crimes, cet Enfant nouveau-né, puisse accéder de nouveau à l’espérance, puisse naître à la Vie éternelle. Le Tout est dans le fragment. L’infiniment grand dans le minuscule. Comme un coquillage que l’on porte à son oreille pour y entendre bruisser toute la mer, en cet Enfant "habite corporellement la plénitude de la divinité" (Col 2, 9). 

Il faut choisir son camp

Il est difficile pour l’homme de croire, car la foi demande l’humilité de l’intelligence, où j’accepte de ne pas être moi-même la mesure de ce qui est vrai ou faux, mais où je me mets à genoux devant la révélation que Dieu me fait de son mystère, qui toujours me dépasse. Il nous faut accepter aujourd’hui, tout adultes que nous sommes, d’être dépassés par un enfant. Quand on se rend à la basilique de Bethléem, jusqu’au lieu où, selon le Tradition, l’Enfant Jésus est né, il faut se baisser et passer par une petite porte étroite. Cela signifie que nous n’avons accès à la connaissance de Dieu qu’en renonçant à notre orgueil et à notre superbe pour nous émerveiller un instant devant la beauté du signe annoncé par les anges : "Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né, enveloppé de langes et couché dans une mangeoire" (Lc 2, 11). 

La nativité

Il est un signe qui demande l’acquiescement de la foi. C’est par la foi que nous pouvons déchiffrer le sens caché de cet enfant derrière la simplicité de son apparence : ce nouveau-né porte en lui le drame du Salut du monde. Il vient pour mourir et pour ressusciter, il vient pour donner son Corps en nourriture. Il est enveloppé de langes, comme à l’heure de sa mort il sera recouvert des langes et du grand linceul. Il est couché dans une mangeoire car il est le Pain véritable, le Pain que nous recevons dans le mystère eucharistique. Bethléem signifie d’ailleurs la maison du pain. Mais de quel pain s’agit-il ? Non pas du pain de la terre qui rassasie les corps, mais du pain venu du Ciel, qui comble ceux qui ont encore faim, ceux qui ont encore soif. C’est ici que nous n’avons que deux options. Il faut choisir son camp : ou celui des aubergistes, ou celui des bergers. Les aubergistes n’avaient plus de place pour recevoir l’Enfant Jésus. La salle commune était pleine… Il faut nous ranger dans le camp des bergers, c’est-à-dire devenir veilleurs, comme un veilleur attend l’aurore et scrute la profondeur de la nuit. "Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Ils seront rassasiés" (Mt 5, 6). Ne risquons pas de voir s’éloigner cet Enfant, de le perdre dans la foule de nos préoccupations, de nos priorités, de notre vie si remplie, mais souvent aussi sans envergure ni profondeur véritable car Dieu n’y a plus la place d’honneur qui lui revient. 

Bethléem signifie d’ailleurs la maison du pain. Mais de quel pain s’agit-il ? Non pas du pain de la terre qui rassasie les corps, mais du pain venu du Ciel, qui comble ceux qui ont encore faim, ceux qui ont encore soif.

Des veilleurs fragiles et indomptables

"Toi aussi, fils d'homme, je t'ai fait guetteur pour la maison d'Israël" (Ez 33, 7). Que le Seigneur fasse de nous des veilleurs pour toute l’Église, "vigilants dans la prière et remplis d’allégresse" (préface de l’Avent) afin qu’elle ne s’endorme pas dans la soumission à l’esprit du monde sous prétexte d’ouverture pastorale et de largesse de cœur. Afin qu’elle garde la foi en un temps de flou et d’incertitude qui trouble tant de catholiques fervents, parmi les plus petits qui sont les bien-aimés du Seigneur, et contribue à l’effondrement spectaculaire des vocations consacrées. "Les vérités ont été diminuées par les enfants des hommes" (Ps 9), (trad. Vulgate) et d’abord par ceux qui sont censés les conserver et les enseigner pour nous affermir dans l’unité de la foi. Que le Seigneur nous garde aussi de la tristesse de l’âme qui endormit les apôtres à Gethsémani, de l’amertume de nos échecs et de la fatigue de nos propres péchés. Qu’il nous donne le courage de garder la joie au creux de nos cœurs, comme une flamme fragile au creux de nos mains. Fragile et indomptable, comme est fragile et indomptable le petit enfant de Bethléem, l’Agneau immolé et le Lion de Juda. 

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