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"Que c’est triste Venise au temps des amours mortes," chantait Aznavour. La beauté d’un lieu n’est pas purement objective. Elle dépend de la qualité de notre regard. Elle dépend des émotions du cœur et des saisons de l’âme. "Que c’est triste Venise quand on ne s’aime plus," mais que c’est beau Venise quand on est amoureux. Tous les fiancés rêvent d’aller à Venise. "Voir Venise et mourir…" comme dit le dicton. Elle est mystérieuse, la cité qui se tient sur les eaux, avec ses canaux qui serpentent, ses gondoles, le pont des soupirs qui reliait la prison au palais des doges, où passaient les prisonniers qui, pour la dernière fois, contemplaient la ville.
Qu’elle est belle, la basilique San Marco surmontée des quatre chevaux volés à Constantinople, mémoire douloureuse du sac de la ville par les croisés en 1204. La tradition dit que les reliques de saint Marc sont sous l’autel de la basilique. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Cela n’a pas si grande importance dans une cité où tout est mouvant, qui se tient entre Ciel et terre, entre terre et mer, où l’on aime se masquer derrière des apparences, où la magnificence et la gloire se mêle aux turpitudes et aux misères. La vérité est toujours aux confins du rêve, le réel fraye avec les songes. Les frontières sont incertaines, à l’image du cœur de l’homme, « compliqué et malade » comme dit le prophète Jérémie (Jr 17, 5). L’histoire de Venise est l’histoire d’une âme, avec ses méandres, ses drames, ses bassesses et ses plus hautes beautés.
Aux portes du désert où surgit Jean-Baptiste
Saint Marc est représenté par le lion, emblème de Venise, parce que son Évangile s’ouvre dans le désert où vivent les lions, et où surgit Jean-Baptiste, le dernier prophète, sur les rives du Jourdain, à la frontière réelle et symbolique entre la mort et la vie, l’esclavage et la liberté, l’errance du peuple et son entrée en terre promise. Là où tout s’achève de l’attente d’Israël, là où tout commence du mystère de l’Église. Jean-Baptiste est le pont entre les deux testaments, une figure "cardinale", de cardo qui signifie le gond, le lien entre deux réalités. Un cardinal est un homme qui fait le lien entre le Saint Père et les fidèles. Il est habillé de rouge, non par gloire humaine mais parce qu’il doit être prêt à verser son sang en défense de la foi. Jean-Baptiste est un homme étrange, vêtu d’une peau de chameau, qui mange des sauterelles et du miel sauvage. Est-il un prophète de malheur, un oiseau de mauvais augure ? Sa parole est un glaive à double tranchant, qui appelle à la conversion. Il parle, sans peur, aux juifs comme aux païens, aux petits comme aux grands de ce monde.
Jean-Baptiste est une voix qui crie dans le désert, une personnalité clivante, qui dérange, comme tous les prophètes. Le prophète empêche le monde de tourner en rond.
Il est humble, parce qu’il porte la parole d’un autre. Il est courageux, parce qu’il proclame cette parole sans peur. Évidemment, la parole est un risque. Qui ne dit rien ne risque rien. Qui parle prend le risque d’être incompris, d’enthousiasmer ou de décevoir, de faire des vagues. "J’en connais qui passent pour des sages uniquement parce qu’ils ne disent rien" écrit Shakespeare dans Le Marchand de Venise. Combien qui passent pour mesurés ne sont-ils que des ventres mous, d’inconsistants brasseurs de vide ? Jean-Baptiste est une voix qui crie dans le désert, une personnalité clivante, qui dérange, comme tous les prophètes. Le prophète empêche le monde de tourner en rond.
Passer par Jean
Toute institution a besoin des prophètes, l’Église en premier lieu, pour éviter de s’installer dans l’embourgeoisement et devenir "une âme habituée". Il y avait en Israël trois institutions : le roi, le prêtre et le prophète. Le roi pour gouverner au palais, le prêtre pour célébrer au Temple, le prophète pour parler au désert, et éviter au roi de s’installer dans la démesure du pouvoir et l’endurcissement des habitudes prises qui ne supportent plus la moindre remise en cause. "Le pire, écrit Charles Péguy, c’est d’avoir une âme endurcie par l’habitude. Sur une âme habituée, la grâce ne peut rien. Elle glisse sur elle comme l’eau sur un tissu huileux... Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce."
Sommes-nous des honnêtes gens ? Alors nous n’avons pas besoin de passer par le Baptiste. Car seuls les pécheurs vont se baigner dans les eaux du Jourdain. Mais si nous ne passons pas par Jean, nous ne pourrons pas rencontrer le Christ, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. La reconnaissance que nous sommes esclaves du péché est la condition de notre délivrance. Esclaves de la masse des péchés du monde : orgueil, violence, impureté, avarice, paresse… Nous les avons tous, plus ou moins. "Œuf, jambon fromage"... La complète ! Mais c’est par nos faiblesses que passe la puissance de la grâce. "La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies, poursuit Charles Péguy. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé."