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C’était le 13 octobre, à Arras. Un jeune homme de 20 ans, Russe originaire d’Ingouchie et réfugié en France depuis son enfance, attaquait des personnels de son ancien lycée, tuait au couteau Dominique Bernard, professeur de français, blessait trois autres adultes et hurlait à un de ceux qui tentaient de le bloquer : "Appelle Marianne, appelle ta République !" Selon des données de l’enquête révélée par Le Parisien, il avait enregistré un message destiné aux médias, mais jamais envoyé, dans lequel il lançait notamment : "Ô vous Français, vous vous adonnez au plaisir interdit, à l’homosexualité, vous avez des relations sexuelles avec des hommes en dehors des femmes. J’ai étudié dans vos écoles, vous m’avez appris ce qu’est la démocratie, la République, les droits de l’Homme. Vous me poussiez vers l’enfer. Vous m’invitiez à mécroire en Allah. Ceux qui invitent à cela sont destinés au feu de l’enfer !" Haine de la France, de la démocratie, de la laïcité, telle fut l’interprétation dominante, ainsi celle du procureur en charge de l’enquête. Il vaut malgré tout la peine d’approfondir l’analyse, car ces propos disent un certain nombre de choses sur la manière dont la France comprend les religions et les effets que cela produit.
Inutile de revenir sur les attaques contre les mœurs françaises. Mais on ne saurait oublier combien le libéralisme culturel (la relativisation de toute norme morale en matière de mœurs tant que la liberté d’autrui n’est pas atteinte) et sa transcription législative alimentent largement la contestation religieuse de l’Occident. Qu’elle soit musulmane ou chrétienne, elle est justifiée par un refus de ce qui est tenu pour une insupportable décadence morale. Insistons cependant ici sur le lien fait entre ce libéralisme culturel et les droits de l’homme par l’assaillant. Car cela dit qu’il a bien compris comment sont articulées désormais la promotion de l’égalité au nom du refus des discriminations et l’identité que se donne la France. Or, rien ne garantissait que la République accepterait le libéralisme culturel, le contraste entre la fort précoce dépénalisation de l’homosexualité à la fin du ⅩⅧe siècle et l’usage de l’outrage public à la pudeur pour réprimer les pratiques homosexuelles jusqu’au début des années 1980 étant par exemple là pour le montrer.
Les effets du progressisme sociétal
Cette assomption de la relativité morale s’est produite au moment où la dimension eschatologique de la République, rechargée dans les années 1930 par le Front populaire et dans les années 1940 par le programme du Conseil national de la Résistance, était en cours d’évidement à la fin des années 1970 et au début des années 1980, avec la fin des Trente glorieuses. Le progressisme sociétal remplace alors la justice sociale, celle-ci considérée comme inatteignable, ou impossible en raison des contraintes d’une mondialisation volontairement choisie, alors que celui-là est toujours à portée de main. C’est dans ce contexte que la revitalisation des valeurs républicaines devient un moyen d’espérer éviter une anomie alimentée par la progression de l’égalité des jouissances, suscitant un repli sur son propre petit monde mais toujours insuffisante au plan socio-économique et toujours sans cesse creusée par l’insatiabilité des désirs et face auquel la religion peut être une réponse ou un moyen de contestation.
La laïcité, instrument de contrôle social
La République, et notamment la laïcité, deviennent alors la panacée universelle pour des responsables politiques et idéologiques découvrant, atterrés, que l’égalité sociale n’est plus à portée de main et que la sécularisation n’est pas un phénomène universel, qu’il existe du religieux institutionnel agissant et du religieux affinitaire dynamique, et que la France est atteinte quoi qu’elle en veuille par l’internationalisation de l’islam politique. Depuis la fin des années 1980, l’affirmation d’un catholicisme néo-intransigeant, et surtout l’accentuation de la pression islamiste et la revendication identitaire religieuse, qui se manifestent parmi les populations immigrées ou d’origine immigrées et dans une moindre mesure chez des individus sécularisés ou en attente métaphysique, ont ainsi conduit à outrepasser le simple sens juridique de la laïcité.
La laïcité, instrument de contrôle social
La laïcité a été absolutisée et idéologisée et plus que jamais arrimée à la République, sans percevoir que cela ne pouvait se faire qu’en accentuant sa dimension identitaire. Devenue la façon dont la France, en tant que nation, gère son rapport aux religions, elle se transforme en instrument de contrôle social, d’imposition d’une norme étatique définie comme absolue et transcendante, non négociable. Ce qui fut sa dimension libérale, soit l’articulation délicate de l’affirmation républicaine que la réalisation de l’individu se trouve dans la vie politique, et la reconnaissance qu’il existe légitimement d’autres possibles accomplissements collectifs et individuels que sont les religions, a cédé le pas à une compréhension vindicative et autoritaire qui avait les faveurs d’Émile Combes et de Maurice Allard en 1904-1905, pouvant aller jusqu’à l’expression d’une nécessaire désaffiliation religieuse des individus.
C’est ce point-là qu’a parfaitement perçu le terroriste d’Arras lorsqu’il a crié à celui qu’il attaquait qu’il n’avait qu’à appeler Marianne et la République pour se défendre. Elles ne pouvaient bien sûr venir, ce qui, pour lui, prouvait par le moyen même de son attentat qu’il faut les tenir pour des idoles, qu’elles ne sont qu’un refus de la vérité et de la loi divines telle qu’il les comprend et donc, aussi, que les valoriser comme on le fait désormais était une atteinte à sa liberté de conscience. Et c’est qu’il n’ait pas supporté que la laïcité pouvait désormais fonctionner ainsi, aussi comme une idéologie d’État, qui est insupportable aux responsables politiques ou à tous ceux qui dénoncent l’échec de l’éducation républicaine et jugent nécessaire d’arracher les enfants et les élèves à leurs conditionnements culturels familiaux et religieux.
Aussi jugera-t-on nécessaire la fréquentation des sciences sociales afin d’apprendre un peu la relativité des vérités idéologiques et nationales et d’oser décider modestement et les yeux ouverts.
C’est donc dire que la situation présente n’est plus celle qui prévalait jusqu’aux années 1980, avec désormais l’opposition de deux logiques radicalement contradictoires, d’autant que celles-ci, avec d’autres, traversent tendanciellement de manière fort complexes les générations de jeunes adultes comme le montre l’étude récente menée par Philippe Portier et Charles Mercier pour le Laboratoire Culture-Éducation-Sociétés (Laces - université de Bordeaux) et le Groupe Sociétés-Religions-Laïcité (GSRL, EPHE-PSL/CNRS).
Entre revendication du respect et de la libre expression des identités et pratiques y compris religieuses, méfiance face à la puissance énergétique de la dynamique religieuse s’opposant à l’État sécularisé, compréhension de l’identité française comme plurielle mais aussi nécessairement unitaire, aspiration à l’exercice fort de l’autorité publique souveraine au nom de la paix collective, c’est peu de dire que les temps sont compliqués. Aussi jugera-t-on plus nécessaire que jamais la fréquentation sérieuse des sciences sociales, afin d’apprendre un peu la relativité des vérités idéologiques et nationales et d’oser décider modestement et les yeux ouverts.