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L’avortement dans la Constitution ou la constitutionnalisation de la “culture de mort”

Conseil constitutionnel.

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Guillaume Drago - publié le 21/11/23
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Le projet de constitutionnalisation de l’avortement annoncé par Emmanuel Macron, qui sera présenté le 13 décembre au conseil des ministres, soulève des questions complexes de procédure constitutionnelle. Surtout, analyse le professeur de droit public Guillaume Drago, la constitutionnalisation d’une liberté qui s’oppose à d’autres libertés, droits et principes constitutionnels, ferait perdre à la Constitution, interprétée par les juges, son rôle de conciliateur et de protecteur des droits.

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Comment expliquer qu’un beau dimanche, le président de la République ait annoncé officiellement sa volonté d’inscrire dans notre Constitution "la liberté des femmes" de pouvoir procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG) ? Outre une volonté de fond, déjà énoncée le 8 mars dernier lors de la "Journée de la femme" et réitérée plusieurs fois, il faut comprendre que le Président risquait de se faire déborder sur sa gauche parlementaire s'il ne se positionnait pas sur la constitutionalisation de l'avortement. 

En effet, plusieurs propositions de loi déposées par des parlementaires, avaient déjà prévu d’inscrire un véritable "droit à l’IVG" dans la Constitution, depuis 2018. L’une d’elles avait prospéré, votée à l’Assemblée nationale puis par le Sénat, selon une rédaction assez différente puisqu’elle propose d’inscrire dans notre texte constitutionnel la formule selon laquelle "la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Dans cette dernière mouture, la "liberté" remplace le "droit", et confie au législateur le soin d’organiser, et donc potentiellement de limiter, les conditions dans lesquelles cette "liberté", devenue constitutionnelle, serait proposée aux femmes souhaitant procéder à une IVG.

Le danger d’un débat national

Ce texte doit revenir à l’Assemblée nationale le 30 novembre 2023, à l’occasion d’une "niche parlementaire", occasion donnée à chaque parti représenté à l’Assemblée de présenter des propositions de loi sans contrôle préalable du gouvernement. La France Insoumise, jamais en retard d’une liberté à conquérir, propose donc de voter ce texte reformulé par le Sénat "dans les mêmes termes", ce qui, selon l’article 89 de la Constitution consacré aux révisions constitutionnelles, devrait permettre son adoption définitive par le Parlement. Mais pour réviser la Constitution et y ajouter cette nouvelle "liberté", il faut ensuite que ce texte soit soumis au référendum, c’est-à-dire adopté par le peuple français. 

Le président de la République a bien senti le danger d’un débat national conduisant à un référendum dont on sait que la réponse des Français est adressée plutôt à celui qui pose la question (le président) qu’à la question posée (l’objet du référendum : inscrire cette "liberté" dans la Constitution). D’où cette déclaration dominicale du président de la République "préemptant" en quelque sorte le sujet en annonçant un projet de loi constitutionnelle. La différence est sensible en ce que, toujours selon l’article 89 de la Constitution, le projet voté par les deux assemblées peut, au choix du président, être soumis au référendum mais surtout être voté par le Congrès, rassemblant l’Assemblée nationale et le Sénat, à la majorité des trois-cinquièmes des suffrages exprimés. On évite ainsi de consulter le peuple, c’est plus simple…

Des rebondissements possibles

Ce rappel de procédure explique seul l’annonce du président de la République. Mais ce récit pourrait connaître un ultime rebondissement, le droit parlementaire réservant souvent des surprises. En effet, La France Insoumise pourrait, malgré les annonces présidentielles, maintenir son texte. Sera-t-il voté par une majorité de rencontre à l’Assemblée nationale le 30 novembre prochain ? Ce n’est pas certain, tant l’ambiance parlementaire est volatile et les soutiens du président à l’Assemblée aux ordres. Pour ne pas paraître s’opposer à ce projet, il suffirait sans doute, pour enterrer cette "navette" parlementaire (nom donné à la procédure allant d’une assemblée à une autre), de voter le texte en des termes différents, ce qui le ferait passer aux oubliettes de l’histoire parlementaire. On verra.

D’autres libertés inconciliables

Sur le fond, la "liberté des femmes" de procéder à une IVG comporte d’aussi grands dangers que le "droit" initialement défendu. La liberté de la femme de recourir à l’IVG, rappelée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 27 juin 2001 découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 sur la liberté générale. Cette liberté ne peut être absolue car elle doit être conciliée avec d’autres libertés, droits et principes constitutionnels, comme le principe de dignité de la personne humaine dégagé en 1994 par le Conseil constitutionnel, lors de l’examen des lois bioéthiques. 

On peut citer aussi la liberté de conscience des personnels de santé qui peuvent, avec la loi Veil de 1975, refuser, en conscience, de procéder à des IVG, et qui est aussi une liberté constitutionnelle, ou encore la liberté personnelle des personnels de santé, la protection de la santé, énoncée par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, intégré à notre Constitution, enfin, la protection constitutionnelle de l’intérêt supérieur de l’enfant énoncée encore par le Conseil constitutionnel en 2019. En dernier lieu, il faut faire référence à l’article 16 du Code civil selon lequel "la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie". 

La liberté du recours à l’IVG vient contredire tous ces principes. Les juges, constitutionnel, civil, pénal, administratif, pourront-ils hiérarchiser et concilier tout cela ? Certains droits et libertés risquent d’être écartés, on pense à la clause de conscience des personnels de santé, régulièrement attaquée, au profit d’une "liberté" sans garde-fous. La Constitution, interprétée par les juges, doit concilier les droits et libertés pour les conforter et non pour les opposer. "Rigidifier" une telle liberté ne la rendra pas plus effective mais créera des oppositions au sein du milieu médical et entre les citoyens.

Le projet d’une loi sur l’euthanasie

Chacun peut aujourd’hui s’interroger sur la finalité recherchée par le président de la République : plaire à une minorité tenace qui veut, à tout prix, inscrire l’avortement dans la Constitution, donner des gages à une gauche qui fait monter les "enchères" politiques, répondre aux injonctions de réseaux influents ? Tout cela à la fois sans doute. Si on y ajoute le projet annoncé d’une loi sur l’euthanasie et le suicide assisté, on constate combien l’actuel titulaire de la fonction présidentielle est obsédé par la volonté de laisser une trace dans l’histoire de notre pays. Ce pourrait être celle du président de la "culture de mort" dénoncée par saint Jean Paul II. On espère mieux pour l’avenir de nos concitoyens. 

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