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Mêmes queues de cheval dans le dos, même démarche un brin hésitante mais pas chancelante, mêmes mines à la fois timides et résolues, les deux petites filles marchent en complète autonomie, main dans la main, sur le chemin de l’école. Je les croise sur mon chemin du travail et ne peux m’empêcher de me retourner sur leur passage tant leur attitude me touche et me marque. L’une d’entre elles dépasse l’autre d’une tête. Sa grande sœur, assurément. Leur complicité rappelle les deux sœurs Rouart représentées jouant ensemble au piano dans un célèbre tableau de Renoir. Le tableau qui s’offre à moi est beaucoup plus contemporain, mouvant et citadin. Et pourtant il me plait bien : celui d’une grande sœur qui veille sur sa petite sœur, bien qu’elles soient toutes les deux en chemin.
A peine quelques minutes plus tard, une autre scène urbaine attire ma curiosité. Un père de famille en ciré, jean et basket conduisant un vélo, à l’avant duquel une sorte de charrette transporte sa famille: une femme, un garçon, une fille. Tout en pédalant, il les regarde, vigilant et attentif, comme un gardien.
"Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ?" demande Caïn à Dieu (Gn 4,9).
Dans la vie, nous ne cessons de veiller les uns sur les autres, et d’être veillé par un autre. "Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ?", renvoie Caïn à Dieu quand ce dernier lui demande où est son frère Abel (Gn 4, 9). Il me semble que oui. Nous sommes tous le gardien les uns des autres selon les périodes de notre vie. Car alors même que nous entreprenons de répondre à l’autre (sa soif, son besoin de sécurité, sa douleur, son besoin d’être aimé), nous commençons à répondre de l’autre. Il y a dans la relation en elle-même une notion de co-responsabilité.
Le gardien n’est pas un colonisateur, puisqu’il n’exploite pas l’autre à son propre profit. Le gardien est un conservateur. Car il protège ce qui fait autrui. Il est même un révélateur du prodige qui, en chacun, est inscrit.
Il y a tant à donner
Devant un proche souffrant de maladie, de désespoir ou en fin de vie, nous ne pouvons nous dérober à son regard et à ses cris. Nous ne pouvons le renvoyer à sa solitude et sa misère avec mépris. Nous ne pouvons lui demander d’assumer seul la situation, même si parfois il s’y est mis. Nous nous devons de tout faire pour le dissuader de mépriser sa propre vie. Dans la mesure où nous le pouvons. Car nous croyons que sa vie a du prix. Que sa vie a du sens encore pour aujourd’hui. Nous ignorons comment maîtriser ce que sera demain, mais nous sommes les gardiens de nos frères pour aujourd’hui.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous résoudre au suicide assisté ou à l’euthanasie. Il y a tant à faire, vivre, aimer, donner avant de dire que pour la vie de l’autre (ou pour sa propre vie) tout est fini. Veiller avec l’autre, veiller sur l’autre, veiller l’autre, c’est lui tenir la main, en ayant conscience que nous sommes tous deux en chemin. Et si ce chemin est parfois incertain, nous avons au moins cette certitude que nous sommes réunis par ce lien indéfectible de notre commune humanité, de notre commune fragilité, de notre commune dignité.
"Non, il ne dort pas, ne sommeille pas, le gardien d'Israël", nous dit le psaume 120. Depuis de nombreuses années, Quelqu’un veille jour et nuit sur notre vie, lui révélant pour toujours son inestimable prix: un père, une sœur, un ami… un Gardien.