Le contexte de réception du message évangélique
Le terme de « théologie contextuelle » n’est pas une invention du pape François, il désigne un courant de la réflexion théologique contemporaine qui se développe à la suite du concile Vatican II. L’ambition du concile, rappelait Benoît XVI, était de « s’interroger sur le rapport entre l’Église et sa foi, d’une part, et l’homme et le monde d’aujourd’hui, d’autre part » (Discours à la Curie, 22 décembre 2005). La théologie contextuelle entend pousser cette démarche plus loin : il ne s’agit pas seulement de trouver des moyens de rendre audible et compréhensible l’Évangile pour l’homme d’aujourd’hui en prenant en compte la réalité de sa vie, mais de considérer que l’Évangile résonne d’une manière particulière selon le lieu, le milieu… le contexte dans lequel il est proclamé et qu’il est porteur d’un message propre pour ce contexte en particulier qu’il convient d’entendre, de comprendre et d’annoncer.
La théologie contextuelle refuse la prétention d’universalité de la théologie classique.
La théologie contextuelle refuse la prétention d’universalité de la théologie classique. Elle nous invite à comprendre que le contexte de réception du message évangélique influe sur la réception de ce message, qu’un moine français du XIIIe siècle ne lit pas l’évangile de la même manière qu’un laïc vivant dans une favela brésilienne au XXIe siècle et qu’ils n’entendent pas et ne comprennent pas la même chose de cette lecture. Et le théologien doit se laisser interpeller par cette différence.
Interpréter prophétiquement le présent
Au-delà de la méthode, la théologie contextuelle pense différemment le rôle de la théologie et c’est sans doute la révolution majeure à laquelle aspire le pape François. En général, on définit la théologie selon la formule de saint Anselme : Fides quærens intellectum, « la foi cherchant l’intelligence ». C’est-à-dire que la théologie, c’est la foi appréhendée par le prisme de l’intellect afin de mieux la comprendre et d’en exposer le contenu avec plus de finesse. C’est l’intelligence amoureuse de Dieu qui cherche à appréhender son mystère. Dans cette conception classique, la théologie a une finalité essentiellement contemplative, elle a Dieu pour fin.
Son but est que le retentissement de la Parole de Dieu dans son contexte lui donne la clé d’interprétation du réel et les moyens de le transformer.
Pour sa part, la théologie contextuelle a une double finalité, à la fois herméneutique et pratique. Son but n’est pas la contemplation du mystère de Dieu. Son but est que le retentissement de la Parole de Dieu dans son contexte lui donne la clé d’interprétation du réel et les moyens de le transformer. C’est la dimension prophétique que le Pape désire pour la théologie dès le premier paragraphe de son motu proprio. Pour lui la théologie est « appelée à interpréter prophétiquement le présent et à discerner de nouveaux itinéraires pour l’avenir, à la lumière de la Révélation » (Ad théologiam promovendam, 1).
À l’écoute du réel et de l’Esprit-Saint
Dès le début de son pontificat, la magistère du pape François a été marqué par cette manière de concevoir la théologie. Evangelii gaudium, Laudato si’, Querida Amazonia, sont autant d’exemples donnés par le Saint-Père du rôle qu’il envisage pour les théologiens aujourd’hui : être en dialogue avec le monde, à l’écoute du réel et de l’Esprit Saint pour rejoindre les hommes par des chemins nouveaux et discerner là où l’Esprit veut nous conduire. Ce texte est comme un défi adressé aux théologiens de continuer à développer cette méthode, déjà très présente dans la théologie contemporaine, pour la mettre au service de la vie et de la mission de l’Église.
La théologie doit-elle pour autant mettre de côté sa dimension contemplative et sa volonté de rendre compte, le plus objectivement possible, de ce que l’intelligence est capable de saisir du mystère de Dieu ? Évidemment non, parce que toute existence, toute œuvre humaine doit avoir Dieu pour fin ultime ; et parce que même la théologie contextuelle a besoin de l’objectivité d’une norme interprétative. Le contexte doit être lu, compris, interprété au regard du dépôt de la foi, et non l’inverse. L’œuvre du théologien pour approfondir sa compréhension du dépôt de la foi est donc, plus que jamais, rendue nécessaire par cette méthode.