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Emmanuel Macron vole vers l’Orient compliqué avec des idées simples

EMMANUEL-MACRON-AL-SISI

Emmanuel Macron et le président égyptien Abdel-Fattah al-Sisi au Caire, le 25 octobre 2023.

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Xavier Patier - publié le 27/10/23
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Fidèle aux principes nés sous Charlemagne, que rappelle l’écrivain Xavier Patier, la France défend la même politique dans l’Orient toujours aussi compliqué : soutien aux minorités religieuses, liberté pour tous.

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Dans une paragraphe fameux des Mémoires de guerre, le général de Gaulle écrit (la chose se passe en janvier 1941, au moment le plus désespérant de la Seconde Guerre mondiale, quand le chef de la France libre prend l’avion pour tenter de rejoindre le général Catroux au Caire) : "Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais qu’une partie essentielle s’y jouait." Quatre-vingt-deux ans plus tard, dans les ténèbres d’une Troisième Guerre mondiale qui ne dit pas encore son nom, l’Orient semble plus compliqué que jamais et les idées de la diplomatie française imperturbablement simples : deux États, une liberté. On en viendrait à croire que l’Orient compliqué est devenu incompréhensible et que nos idées simples sont devenues simplistes. Qu’en est-il ? 

Le droit de protéger les chrétiens d’Orient

La politique arabe de la France plonge ses racines dans un passé très ancien. Pendant plus d’un millénaire, la France s’est sentie étroitement concernée par le Proche Orient. Parce qu’elle était la première puissance catholique, elle se sentait investie d’une vocation singulière dans la région où se trouvent les Lieux Saints. Charlemagne le croyait, qui avait établi au IXe siècle des relations avec le calife Al Rachid, chef musulman qui lui avait envoyé les clefs de la ville de Jérusalem. Trois cent ans plus tard s’était ouvert, sous commandement français, l’épopée des croisades, aujourd’hui caricaturée, dans laquelle beaucoup de nos anciens sacrifièrent leur vie pour la délivrance du tombeau du Christ et le protection des chrétiens persécutés. Un royaume français fut installé pendant près de deux siècles à Jérusalem ; saint Louis accorda la protection de la France aux chrétiens maronites du Liban. 

Deux siècles plus tard, l’alliance de François Ier avec Soliman le Magnifique manifesta une audace politique formidable, à la française, alliance de revers contre les Habsbourg, certes, mais surtout vision prémonitoire d’un monde multipolaire possible autour de la Méditerranée, incluant la liberté de culte. Par les « Capitulations » de 1535, l’Empire ottoman reconnaissait à la France le droit de protéger les chrétiens d’Orient. Les Capitulations furent renforcées sous Louis XIV, qui devint protecteur de tous les chrétiens de toutes nationalités, même quand ils étaient sujets ottomans comme les Grecs catholiques ou les Arméniens. La Révolution, sur ce sujet, continua la politique de nos rois : la nouvelle République dépêcha en 1793 un ambassadeur auprès de la Sublime Porte avec mission de protéger les églises chrétiennes, ce qui peut sembler paradoxal quand au même moment, dans les provinces de France, les prêtres réfractaires étaient persécutés par le gouvernement. 

Une politique définitivement formulée

Bonaparte en Égypte chercha à dialoguer avec l’islam, déplora de ne pas trouver d’interlocuteur capable d’engager la parole de cette religion divisée, et marqua les esprits au point que Mehemet Ali, quand il voulut moderniser l’Égypte, demanda l’aide de la France et s’inspira de son modèle. Le Second Empire ne changea pas d’orientation : après la victoire en Crimée, Napoléon III obtint que le Sultan émancipât les chrétiens persécutés. En 1860, il se fit aider par Abd El Khader pour protéger les maronites du Liban, envoya un corps expéditionnaire humanitaire et rétablit les chrétiens dans leurs droits. Même la IIIe République anticléricale revendiqua la vocation de notre pays à protéger les chrétiens d’Orient, moyen aussi pour elle de promouvoir la francophonie et les idées de liberté qui vont avec elle. Une circulaire du Saint-Siège de décembre 1888 rappelle aux Églises orientales cette prérogative française que la Grande Guerre et la déroute finale de l’Empire ottoman ne remit pas en cause. 

Dans un monde devenu infiniment plus complexe et plus dangereux, Emmanuel Macron ne fait rien d’autre que tenter de porter la vision qui fut celle de Charlemagne, de François Ier ou de Charles de Gaulle.

Au début du XXe siècle la politique française était définitivement formulée : soutien aux minorités religieuses, maintien de la paix, garantie du statu quo des Lieux Saints, promotion de la démocratie et des libertés. Le général de Gaulle ne s’en écarta pas quand, en 1967, après trois décennies de complicité presque fusionnelle avec le nouvel Israël, il rappela à quel point la politique de colonisation des territoires comportait des menaces à long terme pour la paix. Il ne disait rien de nouveau. La France accusée de trahir l’État hébreu fut d’ailleurs la première à s’élever contre les velléités des Nations-Unies, puis de l’Unesco, d’assimiler sionisme et racisme. Jacques Chirac, qui cultivait une certaine affinité avec Arafat, n’a jamais cessé de soutenir Israël, notamment après l’assassinat d’Yitzhak Rabin par les extrémistes opposés aux accord d’Oslo qui forment aujourd’hui l’entourage de Netanyahu. Le quotidien Le Monde, aujourd’hui prompt à reprendre à son compte les communiqués du Hamas, le détestait pour ce soutien à Israël. 

Décalé mais cohérent

La politique française tendait ainsi, au fil des années et malgré les prurits des opposants et de la presse, à défendre les Arabes contre leurs vieux démons et les Israéliens contre leurs nouveaux extrémistes. Cette politique fidèle aux principes nés sous Charlemagne cherchait à contourner le piège désastreux du "c’est eux ou c’est nous" qui ne cesse de menacer les peuples d’Orient et désormais aussi les nôtres. L’ignominie des massacres de Juifs rend la tâche en apparence impossible ; cependant la barbarie contre les civils est une constante de la culture ottomane. Les massacres des chrétiens de Damas en 1860, par exemple, présentent des similitudes terrifiantes avec les crimes commis le mois dernier dans des kibboutz. En 1960, la France avait réussi à rétablir la paix civile. 

Aujourd’hui, dans un monde devenu infiniment plus complexe et plus dangereux, à la tête d’un pays dans lequel l’islam est désormais une donnée majeure de politique intérieure, Emmanuel Macron ne fait rien d’autre que tenter de porter la vision qui fut celle de Charlemagne, de François Ier ou de Charles de Gaulle. Évidemment sa voix porte moins. Évidemment, il n’a plus les clefs du dossier. Mais le fait qu’il se rende successivement à Tel Aviv, à Amman et au Caire, pour redire cette idée simple qu’il faut deux États, un juif et un palestinien, pour suggérer une coalition contre les assassins du Hamas et pour exhorter les uns et les autres à trouver une solution politique, cela semble décalé, au moins cela est cohérent. Il est significatif que, dans la France de l’intérieur, ce soient les imams des banlieues qui appellent à l’apaisement après les bombardements à Gaza quand ce sont les bobos de La France insoumise qui réclament la confrontation et semblent se languir d’attendre les orages désirés. La Paix est un chemin qui demande un travail ascétique sur soi-même. 

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