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S’il est un saint qui a commencé avec un gros handicap dans la vie, c’est certainement l’apôtre Jude, victime à la fois de sa discrétion — on ne connaît de lui dans l’évangile qu’une seule parole rapportée par saint Jean (Jn 14,22) lors de la Cène — et par son homonymie fâcheuse avec Judas, que l’Église n’a cessé, depuis les origines, de faire oublier en l’appelant par l’un de ses surnoms. Heureusement, il en avait plusieurs ! Pourtant, au fil du temps, Jude a réussi à se tailler une place, et non des moindres, dans la piété populaire, jusqu’à devenir, notamment sur le continent américain, l’un des saints les plus priés au monde.
Est-ce pour avoir réussi à conquérir contre toute attente le cœur des fidèles qu’il est aujourd’hui vénéré, au même titre que sainte Rita, comme l’homme de la situation face à des difficultés insolubles ou des causes désespérées ? À moins que ce soit justement ce patronage qui lui ait valu tardivement les suffrages des fidèles en difficulté ! Peu importe ! Le fait est que ce personnage resté au second plan et sur lequel nous sommes finalement mal renseignés, a trouvé ses marques dans l’Église.
Un cousin de Jésus
Judas, que nous avons rebaptisé Jude pour des raisons évidentes, mais que les évangélistes appellent aussi Thaddée, ou Lebbaeus, des surnoms qui désignent "un homme de cœur", c’est-à-dire courageux et généreux, est né, rapporte la Tradition, à Banyas en Judée au tout début de notre ère. Les évangélistes font de lui l’un des douze apôtres et l’appellent "Jude de Jacques", de sorte que les spécialistes de nos jours se demandent s’il faut comprendre « fils de Jacques » ou bien, comme l’Église l’a toujours pensé, "frère de Jacques". Cela ferait de lui le frère de l’apôtre Jacques le Mineur, mais aussi, et plus probablement, celui d’un autre des Douze, Simon, dit le Zélote, pour le différencier de Simon Pierre, auquel Jude est toujours associé. Un troisième "frère" potentiel est encore cité, Joset, et ces quatre personnages sont appelés "frères du Seigneur", ce qu’il faut traduire par cousins.
Il y aurait donc entre Jude et Jésus un lien de parenté proche dont nous ne savons rien, ce qui n’a pas empêché dès l’Antiquité les commentateurs d’inventer des romans plus ou moins fiables, qui font de lui tantôt le fils de Marie Cléophas, cousine de la sainte Vierge présente à ses côtés au Golgotha, tantôt un fils d’un premier mariage de saint Joseph, idée que le catholicisme a écartée.
Un zélote converti
Ne retenons que cette parenté mal définie avec le Christ, et ce surnom de zélote associé à Simon mais parfois aussi à Jude. Il ferait d’eux des militants d’un des groupuscules hostiles aux Romains attendant l’avènement d’un Messie guerrier qui chassera l’occupant de la terre d’Israël. C’est plausible, mais les deux frères sauront se rallier, le moment venu, à un Christ pas venu pour restaurer la royauté de David mais pour que le monde soit sauvé. Cette espérance patriotique n’est-elle pas d’ailleurs la préoccupation qui sous-tend les seuls mots que nous connaissions de Jude ? Le soir de la dernière Pâque, celui-ci demande à Jésus pourquoi il a choisi de se révéler à eux et non au monde, question que le Christ laisse sans réponse directe, se bornant à répliquer que "quiconque l’aime garde sa parole"…
La Tradition le montre, après la Résurrection, parcourant avec son frère Simon la Syrie, prêchant à Édesse puis se rendant en Arabie, en Mésopotamie, l’Irak actuel, en Iran et en Arménie.
Jude disparaît ensuite des sources évangéliques. La Tradition le montre, après la Résurrection, parcourant avec son frère Simon la Syrie, prêchant à Édesse puis se rendant en Arabie, en Mésopotamie, l’Irak actuel, en Iran et en Arménie. Les Arméniens lui attribuent d’ailleurs, de même qu’à saint Barthélemy, la conversion de leur nation.
Martyr à Beyrouth
C’est ensuite que les choses se compliquent… Si chacun s’entend à reconnaître que Jude a subi le martyre, deux versions s’affrontent. Selon l’une, il aurait été supplicié à Makou, en Iran ; selon l’autre, que l’Église privilégie, à Beyrouth au Liban, vers 62. Dans l’une des versions, le saint est assommé, ce qui explique qu’il soit représenté une massue à ses pieds, selon l’autre il est décapité. Ce qui importe est qu’il soit mort pour le Christ. En tout cas, les reliques vénérées à Saint-Pierre de Rome, mais aussi à Toulouse, sont bien celles du Jude martyrisé à Beyrouth. Celles de Makou appartiendraient à un homonyme.
Là encore, peu importe. Le Nouveau Testament lui attribue l’une des épîtres canoniques mais les exégètes éprouvent désormais des doutes et le Jude auteur de cette lettre ne serait pas l’apôtre. Ces questions savantes intéressent fort peu, il faut le dire, tous ceux qui viennent implorer l’apôtre, souvent représenté avec le même visage que Jésus, ressemblance accentuée par la médaille du Christ qu’il arbore, soulignant leur parenté. Notons enfin qu’en Suisse et dans le monde germanique, Jude a une autre spécialité : à l’instar de saint Antoine de Padoue, il retrouve les objets perdus ou égarés.