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Pour l’historien, il est toujours intéressant d’opérer un aller-retour dans l’histoire de l’Église catholique, afin de peser ce qui perdure et ce qui change. Et le présent synode sur la synodalité le confirme amplement, lorsqu’on le rapproche du concile Vatican Ⅱ, quoi qu’il prétende n’être qu’une déclinaison à l’échelle universelle de la forme synodale diocésaine.
S’il avait présenté sa décision de convoquer un concile comme une inspiration prophétique, Jean ⅩⅪⅡ capitalisait aussi sur des réflexions antérieures de Pie Ⅺ et Pie Ⅻ, qui avaient envisagé d’achever le concile du Vatican interrompu par la guerre franco-allemande de 1870. Il s’agissait aussi d’articuler les effets du renforcement du pouvoir papal et curial, symbolisés par la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale (1870) et la promulgation du code de droit canonique (1917), aux mutations socio-politiques et pastorales de la première moitié du XXe siècle.
Sous contrôle papal
De son côté, François veut enraciner les effets des quelque 1.400 synodes et assemblées diocésaines tenus surtout depuis 1983. Quoi qu’il n’ait pas tenu de synode à Buenos Aires, que l’annonce du présent synode ait de facto gelé toutes les synodalités locales, que plus de la moitié des diocèses n’ait jamais "synodé" sous une forme ou une autre, que 55% de ces assemblées se soient concentrés dans neuf pays (France, Italie, États-Unis, Brésil, Pologne, Philippine, Indonésie, Espagne, Mexique), et que le nombre moyen d’assemblées synodales recule nettement depuis 2012-2013, il entend que la synodalisation de l’Église accentue radicalement l’inculturation, la pluralisation et la transaction avec la modernité entamées avec Vatican Ⅱ.
La situation présente traduit bien plutôt une nette volonté de revenir à une époque où les modalités catholiques de débat différaient radicalement de celles de la société.
À cet égard, le contrôle papal de l’opération est bien plus fort que celui de Jean ⅩⅩⅢ, qui avait laissé la Curie produire les textes proposés aux Pères conciliaires. Le filtrage des consultations épiscopales avait abouti à un alignement phraséologique et conceptuel sur l’intransigeance magistérielle des années 1794-1960. C’étaient les évêques qui avaient opéré un bouleversement à l’ouverture de la première session, par une action concertée qui s’était imposée à l’administration du concile, avec la bénédiction du pape. En revanche, pour le synode de 2023, le filtrage par l’administration synodale des contributions locales elles-mêmes synthétisées à une échelle nationale puis continentale, produit un Instumentum laboris totalement aligné sur les propos de François.
Le maintien de l’indépendance du Pape envers les résultats finaux du synode confirme ce refus de se modeler sur les démocraties libérales.
Les synodants, sélectionnés selon un processus complexe où la patte du pape est particulièrement présente dans le cas de ceux qui n’appartiennent pas à hiérarchie et dont il a unilatéralement décidé la présence, se comporteront-ils comme les évêques de 1962, dont on n’aurait pas attendu qu’ils s’imposassent ainsi, en raison de leur alignement ancien sur la ligne papale ? On le saura peut-être un jour, si le verrouillage de la communication — justifié par une argumentation spirituelle et réalisé par des procédures de débat censées en garantir la totale efficience, étonnante tentative de contrôle de l’information et des opinions en un temps de leur circulation effrénée —, subit le même sort qu’en 1962, c’est-à-dire un dynamitage en règle. L’incapacité curiale et conciliaire à contrôler l’information avait alors permis une "synodalisation" de Vatican Ⅱ, par des chroniques journalistiques, la correspondance privée, les tribunes de presse, les compte-rendus divers. C’était un retour à la situation de Vatican Ⅰ, où les débats d’opinion théologico-pastoraux avaient été publics et intenses dès l’annonce du concile, avant qu’une glaciation informationnelle ne saisisse le Saint-Siège à la fin du ⅩIXe siècle. La situation présente traduit bien plutôt une nette volonté de revenir à une époque où les modalités catholiques de débat différaient radicalement de celles de la société.
La spécificité catholique
C’est donc une étonnante réaffirmation de la spécificité catholique qui se manifeste, d’ "altermodernité" plutôt que d’antimodernité, l’Instrumentum laboris le manifestant assez nettement en même temps qu’il s’interroge sur les rapports possibles des processus synodaux avec la "démocratie participative". Mais le maintien de l’indépendance du Pape envers les résultats finaux du synode confirme ce refus de se modeler sur les démocraties libérales.
L’Église pourrait voir surgir, à côté de ceux qui existent déjà, de nouveaux clergés, celui des "chargés de mission", celui des militants de structures plus ou moins décisionnels, et celui des participants volontaires.
Pourtant, la valorisation de la synodalité montre bien l’intrication des réalités ecclésiales et des réalités politiques, les arguments sur la dignité des baptisés justifiant leur association au gouvernement ecclésial pouvant être rapprochés de ceux sur la dignité des pauvres et leur capacité à se prendre en charge, ou de ceux sur la nécessité d’une participation plus large des citoyens aux processus décisionnels. On pourrait même envisager que la synodalisation de l’Église, avec la multiplication envisagée des ministères et la volonté d’impliquer davantage l’ensemble des baptisés, aboutisse à la tendance oligarchique qu’avait observé Robert Michels au SPD du début du ⅩⅩe siècle : l’apparition et la structuration de professionnels de la gestion administrative, nécessaires à l’efficacité, les investissements différentiels des militants et adhérents donnant à certains plus de pouvoirs.
Un nouveau cléricalisme ?
Paradoxalement, alors que François et une partie des catholiques veulent impulser une dynamique d’expansion du catholicisme par intégration croissante de ses membres déjà actifs, l’Église pourrait voir surgir, à côté de ceux qui existent déjà (la hiérarchie ministérielle, les religieux et religieuses), de nouveaux clergés, celui des "chargés de mission" (qui de fait existent déjà), celui des militants de structures plus ou moins décisionnels (déjà en partie actifs), et celui des participants volontaires. C’est donc le cléricalisme qui pourrait avoir de beaux jours devant lui. Mais faut-il s’en étonner, en constatant que depuis la fin du ⅩVIIIe siècle, et plus encore depuis les années 1920, l’Église passe une bonne partie de son temps à se penser elle-même et à sans cesser retravailler son auto-compréhension, comme en une sorte de compensation du recul de son emprise sociale ?