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"Film de profs." Non pas film vu ou conseillé en cours, mais film mettant en scène des professeurs. La formule mériterait de désigner un genre à part entière, comme film de procès, puisqu’une salle de classe n’est guère moins théâtrale qu’une salle d’audience, même s’il lui manque souvent un peu d’apparat. Le film de profs est propice à la comédie, surtout quand le professeur est la cible du rire, selon l’habituel procédé de l’inversion des rôles : il faut croire qu’on juge encore salutaire, ici ou là, de rire de ce qui reste d’autorité au maître.
Le film de profs, toutefois, est aujourd’hui plus souvent un drame, bénéficiant de l’intensité de l’unité de lieu d’un huis-clos. La tension monte alors jusqu’à la mort d’un élève ou d’un professeur (La Vague, La Journée de la jupe). Souvent aussi, filmer collèges et lycées aboutit à une dénonciation plus ou moins appuyée : une classe serait un univers carcéral à peine dissimulé.
Le plus sûr est dans ce cas de s’en tenir aux méthodes anciennes, pour se réjouir à peu de frais d’un desserrement bienvenu de l’étau éducatif. Au miroir des coups de règle sur les doigts, tout éducateur se trouve beau à peu de frais. On vantera alors, non sans pathos manichéen, le professeur ou le surveillant qui humanise le cadre rigide. Au milieu des enfants abandonnés, cela donne Les Choristes ; au pays des blasers bleu marine, cela fait Le Cercle des poètes disparus. La démagogie adolescente n’est jamais loin, mais le public s’enthousiasme aisément pour ces supposés éducateurs que chacun aurait aimé avoir.
La densité des actions banales
Un métier sérieux, le nouveau film de Thomas Lilti, n’épouse aucune de ces tendances : pas de tension qui monte crescendo, pas de revanche potache de l’ancien élève qui se rit de ses anciens bourreaux (le syndrome Ubu-Roi d’Alfred Jarry), pas non plus d’idées à défendre sur les méthodes pédagogiques nouvelles ou le bon vieux temps du respect de l’instituteur. C’est ce qui fait l’intérêt de ce film sans pathos, sans gros rire, sans discours militant. Thomas Lilti s’affirme ici comme un des rares cinéastes à juger le quotidien de quelques professeurs de collège suffisamment riche pour maintenir l’attention du spectateur. Si ses films précédents, consacrés au monde de la médecine sous toutes ses formes (Hippocrate, Médecin de campagne, Première année...) avaient déjà cette dimension de fictions documentaires, Un métier sérieux franchit sans doute un cap dans le refus d’une intrigue reposant sur l’attente inquiète du dénouement. Pas même ici le suspense inhérent au passage d’un examen, comme c’était le cas dans Première année. À la fin, une année scolaire s’est écoulée dans un collège comme les autres, voilà tout, et une nouvelle année se profile.
Ce que Lilti sacrifie en rebondissements ou en attentes fiévreuses, il le gagne en densité des actions banales.
Rien d’haletant, a priori, pas plus que ne sont haletantes les préparations de cours, les réunions de parents ou les corrections tardives de copie. En guise d’événements sortant de l’ordinaire, rien de plus que la visite d’une inspectrice qui tient avant tout à montrer qu’elle était un bien meilleur professeur que celle qu’elle inspecte, ou qu’un conseil de discipline. Mais ce que Lilti sacrifie en rebondissements ou en attentes fiévreuses, il le gagne en densité des actions banales. Le plus réussi tient sans doute dans ces moments où le ton monte à partir de presque rien et que le professeur, contraint à rester cohérent, se demande lui-même comment les choses ont pu dégénérer si vite. Car désamorcer la violence n’est pas un slogan de pédagogiste, c’est une nécessité dès l’instant qu’on a compris que, comme dans tout groupe humain, des rapports de force ne cessent de jouer et qu’il n’est jamais anodin de chercher l’adhésion d’une classe en faisant rire du plus mauvais, fût-il aussi le plus pénible.
Avant les cours
Mais ce que Lilti entend filmer se passe pour l’essentiel avant ou après les cours. Dans la vie du professeur, le face à face avec la classe, moments d’affrontement ou moments de complicité, est nourri, pour le meilleur et pour le pire, de tout le reste de l’existence. C’est la même chose dans toute vie professionnelle, dira-t-on. Pas tout à fait, sans doute, dans le domaine que le film souligne plus qu’un autre : la difficulté à être professeur et parent à la fois. Il n’est pas toujours aisé de voir ses enfants autrement que des élèves qu’on espère plus brillants que les autres (l’ombre du père médecin qui méprise son fils pèse une fois de plus sur le film et on ne s’étonne pas que le professeur de mathématiques débutant révèle qu’il a raté sa première année de médecine). À l’inverse, il est parfois difficile de ne pas faire payer indirectement à ses élèves ce qu’on subit à la maison de la part d’un enfant de leur âge : une claque reçue par un collégien, mais que méritait davantage un fils drogué, l’illustre efficacement.
"Nous avons conscience que nous vous en demandons beaucoup", semble s’excuser le principal adjoint dans un moment de tension. Peut-être est-ce de cette vérité toute simple que Thomas Lilti a voulu faire un film. Aussi ne fait-il des professeurs ni des héros, ni des pauvres types, mais juste des hommes et des femmes qui font un métier sérieux, même s’ils ne le font pas toujours sérieusement.