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Au XVIIIe siècle, la dévotion au Sacré Cœur se répand en France. Sa puissance est connue ; les confréries continuent à s’épanouir, spécialement dans l’Ouest. Cette dévotion se révèle efficace contre les séductions des idées du temps et préserve la foi de ceux qui la pratiquent, les éclairant sur le danger pour le catholicisme de ces philosophies. Ainsi se constituent des noyaux de résistance spirituelle organisés en groupes de prière et qui, au début de la Révolution, en feront une lecture lucide, en comprenant les visées persécutrices et sa volonté de détruire l’Église.
Ces petites associations n’ont à opposer aux périls du temps que la prière et la consécration de chacun au divin cœur, consécration qu’il faudrait d’urgence élargir à la France. Quelqu’un s’y emploie sans relâche, Madame Élisabeth, la plus jeune sœur de Louis XVI, jeune fille intelligente dotée d’un sens politique supérieur à celui de son frère. Elle a organisé parmi ses dames un cercle "cordicole" qui récite quotidiennement cette prière d’abandon et de consécration :
Cœur adorable de Jésus, sanctuaire de cet amour qui a porté un Dieu à se faire homme, à sacrifier sa vie pour notre salut et à faire de son corps la nourriture de nos âmes, en reconnaissance de cette charité infinie, je vous donne mon cœur et avec lui tout ce que je suis, tout ce que je souffrirai. Mais enfin, mon Dieu, que ce cœur, je vous en supplie, ne soit plus indigne de Vous, rendez-le semblable à Vous-même ; entourez-le de vos épines pour en fermer l’entrée à toutes les affections déréglées. Établissez-y votre croix, qu’il en sente le prix, qu’il en prenne le goût, embrasez-le de vos divines flammes, qu’il se consume pour votre gloire, qu’il soit à vous après que vous avez voulu être tout à lui. Vous êtes sa seule consolation dans ses peines, le remède à ses maux, sa force et son refuge dans les tentations, son espérance pendant la vie, son asile à la mort. Je vous demande, ô cœur tout aimable, cette grâce pour tous les associés. Ainsi soit-il.
La consécration de Louis XVI
Néanmoins, ce n’est pas au Sacré Cœur mais au cœur immaculé de Marie qu’au début de l’année 1790, la princesse et ses amies se tournent, dans l’espoir d’empêcher la promulgation de la constitution civile du clergé. Elles font vœu, si elles sont exaucées, d’élever en son honneur un autel tout en offrant à la cathédrale de Chartres une représentation en or des cœurs unis du Fils et de la Mère. La prière de Madame Élisabeth ne sera pas entendue. Un siècle exactement après avoir exprimé au roi de France les demandes qui devaient le rendre victorieux de tous ses ennemis, le Ciel abandonne la monarchie française à ses propres forces, sur lesquelles elle a compté plus que sur les siennes.
Certes, dans le courant de l’été 1792, alors qu’il est désormais déchu, emprisonné et dans l’impossibilité de conférer à son acte la portée qui aurait dû être la sienne, Louis XVI, sous l’influence de sa sœur Élisabeth qui œuvrera jusqu’à la fin à ramener le couple royal à une authentique pratique religieuse, se décidera à la prononcer, cette consécration, mais privément :
Vous voyez, ô mon Dieu, toutes les plaies qui déchirent mon cœur et la profondeur de l’abîme dans lequel je suis tombé. Des maux sans nombre m’environnent de toutes parts. À mes malheurs personnels et à ceux de ma famille, qui sont affreux, se joignent pour accabler mon âme, ceux qui couvrent la face du royaume. Les cris de toutes les infortunes, les gémissements de la religion opprimée retentissent à mes oreilles et une voix intérieure m’avertit encore que, peut-être, votre justice me reproche toutes ces calamités parce que, dans les jours de ma puissance, je n’ai pas réprimé la licence du peuple et l’irréligion qui en sont les principales sources ; parce que j’ai fourni moi-même sans le savoir des armes à l’hérésie qui triomphe en la favorisant par des lois qui ont doublé ses forces et lui ont donné l’audace de tout oser. Je n’aurai pas la témérité, ô mon Dieu, de vouloir me justifier devant Vous mais Vous savez que mon cœur a toujours été soumis à la foi et aux règles des mœurs. Mes fautes sont le fruit de ma faiblesse et semblent dignes de votre grande miséricorde. Vous avez pardonné au roi David qui avait été cause que vos ennemis avaient blasphémé contre Vous, à Manassès qui avait entraîné son peuple dans l’idolâtrie. Vous les avez rétablis l’un et l’autre sur le trône de Juda, vous les avez fait régner en paix et avec gloire. Seriez-vous inexorable aujourd’hui pour un fils de saint Louis qui prend ces rois pénitents pour modèles, veut réparer ses fautes et devenir un roi selon votre cœur ?
Une fête solennelle
"Ô Jésus Christ, divin Rédempteur de toutes nos iniquités c’est dans votre cœur adorable que je dépose en ce moment les effusions de mon âme affligée. J’appelle à mon secours le tendre cœur de Marie, mon auguste Protectrice et ma Mère, et l’assistance de saint Louis, mon patron et le plus illustre de mes aïeux. Ouvrez-vous, cœur adorable, et, par les mains si pures de mes puissants intercesseurs, recevez avec bonté les vœux satisfactoires que la confiance m’inspire et que je vous offre comme l’expression sincère de mes sentiments.
"Si, par un effet de la bonté infinie de Dieu, je recouvre ma liberté, ma puissance et ma couronnes royale, je promets solennellement de révoquer le plus tôt possible toutes les lois qui me seront indiquées soit par le pape soit par un concile, soit parmi quatre évêque choisis parmi les plus éclairés et les plus vertueux de mon royaume comme contraires à la pureté et à l’intégrité de la foi, à la discipline et à la juridiction spirituelle de la Sainte Église catholique, apostolique et romaine et notamment la constitution civile du clergé.
"De prendre, dans l’intervalle d’une année, tant auprès du pape que des évêques de mon royaume toutes les mesures nécessaires pour établir en suivant les formes canoniques une fête solennelle en l’honneur du Sacré Cœur de Jésus, laquelle sera célébrée à perpétuité dans toute la France, le premier vendredi dans l’octave du Saint Sacrement et toujours suivie d’une procession en réparation des outrages et des profanations commises dans nos saints temples pendant le temps des troubles par les schismatiques, les hérétiques et les mauvais chrétiens.
"D’aller moi-même en personne sous trois mois à compter du jour de ma délivrance dans l’église Notre-Dame de Paris ou dans toute autre église principale du lieu où je me trouverai et de prononcer, un jour de dimanche ou de fête au pied du maître autel, après l’offertoire de la messe et entre les mains du célébrant, un acte solennel de consécration de ma personne, de ma famille et de mon royaume au Sacré Cœur de Jésus avec promesse de donner à tous mes sujets l’exemple du culte et de la dévotion qui sont dus à ce Cœur adorable
"D’ériger et de décorer à mes frais, dans l’église que je choisirai pour cela, un autel ou une chapelle qui sera dédié au Sacré Cœur de Jésus et qui servira de monument éternel de ma reconnaissance et de ma confiance sans bornes dans les mérites infinis et dans les trésors inépuisables de grâces qui sont enfermés dans ce Cœur sacré.
"Je le signerai de mon sang"
"Enfin de renouveler tous les ans, au lieu où je me trouverai, le jour que l’on célébrera la fête du Sacré Cœur l’acte de consécration exprimé dans l’article troisième et d’assister à la procession générale qui suivra la messe du jour.
"Je ne puis aujourd’hui prononcer qu’en secret cet engagement mais je le signerai de mon sang s’il le fallait et le plus beau jour de ma vie sera celui où je pourrai le publier à haute voix dans le temple. Ô Cœur adorable de mon Sauveur, que j’oublie ma main droite et que je m’oublie moi-même si jamais j’oublie vos bienfaits et mes promesses et si je cesse de vous aimer et de mettre en vous ma confiance et ma consolation."
La seule couronne et le seul royaume que Louis XVI récupérera sera celle du martyre et celui des cieux. Sa dévotion au Sacré Cœur lui aura assuré l’essentiel.