Les chiffres sont vertigineux : 126.000 arrivées sur les côtes italiennes depuis le début de 2023 contre 65.500 durant la même période en 2022, 10.000 personnes arrivées entre le 11 et le 13 septembre sur la seule île de Lampedusa. C’est-à-dire plus que la population locale, dotée d’un centre d’accueil de 400 places. Femmes, enfants, bébés même, dorment dehors, dans la rue, recueillis par une population modeste et qui reste, dans un désarroi total, profondément généreuse. L’Allemagne suspend tout accueil, la France s’affole... Il n’y a en fait pas pire aveugle que celui qui refuse de voir.
Cette douce comptine
Car qu’y a-t-il à voir justement, au-delà des foules que les malheurs de la Terre poussent jusqu’à nous ? Peut-être les causes profondes et lointaines ? Le récent rapport du GIEC l’explique simplement, les modifications climatiques et leurs conséquences ne viennent pas d’une surpopulation mais bien d’un système financier qui ensauvage le monde, même si ceux qui en profitent le plus aiment à rappeler doctement qu’il est certes défectueux, mais qu’il demeure le meilleur possible. Évitant soigneusement toute tentative de réfléchir à sa réforme.
Les échoués de Lampedusa nous ordonnent de nous réveiller. Pour interroger ceux qui nous gouvernent sur leurs silences et leurs dérobades.
Et nous, chrétiens, nous nous coulons dans cette douce comptine. Acceptant l’injustice d’une économie de plus en plus cruelle et prédatrice au prétexte que nous n’y pouvons rien, nous laissons faire ce que notre foi devrait nous apprendre à combattre. Certes, il nous arrive de broncher lorsqu’une loi supplémentaire ajoute du cynisme à l’injustice, lorsque nous sentons bien que le prétexte "sociétal" n’est en fait que l’habillage d’une communication électoraliste. Mais nous toussons, de moins en moins bruyamment, avant de se laisser aller à regarder ailleurs.
Impossible de ne pas se révolter
Une amie me conseillait l’autre jour de rédiger des chroniques plus positives, plus porteuses de choses qui "donnent le moral". Elle a bien raison : en regardant de près ceux que le quotidien nous donne de croiser, il y a souvent lieu de se réjouir et d’être même ému. Ému par cette vie qui ne cesse de faire jaillir l’élan d’Amour dans lequel Dieu nous révèle et se dévoile. Mais c’est précisément parce qu’il est donné de contempler, dans l’infime de l’ordinaire, l’incroyable puissance de Celui qui nous crée, qu’il est impossible de ne pas se révolter lorsque collectivement nous nous laissons berner par des peurs qui sont en grande partie la conséquence de nos dénis et de nos reniements.
Les échoués de Lampedusa nous ordonnent de nous réveiller. Pour interroger ceux qui nous gouvernent sur leurs silences et leurs dérobades. Pour les rassurer sur notre humanité en nous montrant chrétiens, c’est-à-dire soucieux de notre prochain et sans crainte devant lui. Pour les entraîner à renoncer aux calculs à courte vue et à la tentation du "laisser faire", en témoignant dans nos vies que la vocation de l’homme n’est pas d’abord d’emmagasiner, surtout si cela affame le malheureux.
La vérité du christianisme
"“Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru” (1 Jn 4, 16) : cette phrase exprime la vraie nature du christianisme. L’amour qui se réalise et se reflète de façon multiple dans les saints de tous les temps est la preuve authentique de la vérité du christianisme", écrivait Benoît XVI (Ce qu’est le christianisme, Artège 2024, p. 24). C’est face aux évènements qui blessent notre monde, comme dans les choses les plus simples de nos jours, que nous sommes appelés à rappeler par notre vie (paroles et actes) ce qui exprime authentiquement notre foi.