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Si vous êtes entré dans une église du diocèse de Cahors, peut-être aurez-vous remarqué une statue à l’aspect exotique, celle d’un homme en costume chinois, portant la moustache et la natte jadis d’usage dans l’Empire du Milieu, accroché à une croix. En dépit des apparences, l’on ne peut faire plus Quercynois que Jean-Gabriel Perboyre, né à Puech le jour des Rois 1802, aîné d’une famille d’agriculteurs de huit enfants dont six entreront dans les ordres. Un sort qui ne devrait pas être le sien.
Jean-Gabriel est le premier-né et doit reprendre la ferme, il ne saurait en aller autrement. Qu’il n’en ait pas envie, car il a tôt entendu l’appel divin, importe peu. On ne va pas contre l’usage… En 1817, Louis, son cadet entre au petit séminaire de Montauban que dirige l’un de leurs oncles, religieux lazariste. Jean-Gabriel l’y emmène et c’est pour lui un crève-cœur de ne pouvoir l’imiter. Il ose s’en ouvrir à son oncle qui, reconnaissant la réalité de sa vocation, écrit à Puech pour expliquer que Dieu a des vues sur l’enfant et qu’il ne faut pas s’y opposer. Fervents chrétiens, les parents ne vont pas disputer leur fils au Ciel.
Fondés par Monsieur Vincent, les Lazaristes, comme on les appelle par référence à leur maison rue Saint-Lazare à Paris, ont pour première vocation de former des prêtres mais ce travail d’éducateurs se double d’une tâche de missionnaires qui, à l’origine, vouée aux campagnes abandonnées à de mauvais bergers et dévastées par la guerre, s’est étendue à d’autres pays d’Europe et à l’Afrique. Les lazaristes sont fidèles à ce double charisme de formation du clergé diocésain et d’évangélisation des terres lointaines. Au XIXe siècle, ils partagent avec les Missions étrangères de Paris la tâche de porter la foi en Chine, pays très tôt christianisé, sans doute par l’apôtre Thomas mais où toute implantation profonde et durable a, pour diverses raisons, échoué.
À la fin du XVIIIe siècle, le départ des jésuites qui avaient gagné la confiance de l’empereur, la crainte que les missionnaires soient l’avant-garde de puissances occidentales expansionnistes a fermé l’empire du Milieu aux prêtres européens, laissant 150.000 catholiques chinois abandonnés qui, depuis 1784, subissent une persécution destinée à éradiquer du pays le christianisme. Ces communautés attendent de l’aide, que les lazaristes cherchent à leur apporter, au péril de leur vie car le prêtre qui se fait prendre est promis à une mort lente et douloureuse. Une réalité qui, pourtant, ne décourage pas les vocations. Au contraire !
Assigné en France
Au séminaire de Montauban, Jean-Gabriel découvre la vie du Père François-Régis Clet, martyrisé en Chine quelques années plus tôt et son exemple le soulève d’un tel enthousiasme qu’il n’a plus qu’un but : devenir lazariste, aller parler de Jésus aux Chinois et donner sa vie pour Lui. Le 20 décembre 1820, Jean-Gabriel réalise la première partie de ce programme en prononçant ses vœux mais on l’envoie, non en Extrême-Orient mais à Montdidier comme professeur au séminaire. Tenant d’un christianisme social, il y fonde des associations caritatives pour s’occuper des pauvres et des détenus.
Ordonné en 1826, il déchante : pas de Chine mais la chaire de théologie du séminaire de Saint-Flour. Il y réussit si bien que l’évêque l’en fait nommer supérieur ; là encore, il donne toute satisfaction, au point d’être envoyé au noviciat lazariste de Paris, promotion qui représente pour lui un échec, d’autant que son frère Louis embarque pour cette Chine qui l’attire tant. Quand l’y rejoindra-t-il ? Supérieurs et médecins sont formels : jamais. Jean-Gabriel n’a pas la santé nécessaire pour les missions d’Orient. Désolé, il donne à ses séminaristes cette intention de prière permanente : « Priez pour que je puisse aller en Chine prêcher Jésus-Christ et mourir pour Lui ! » Il assiste au départ de son frère, début 1831, mais Louis n’arrivera jamais à destination. Comme tant d’autres, victime de l’insalubrité des navires et de leur promiscuité, il meurt en mer. Au chagrin de ce décès s’ajoute l’urgence d’aller occuper la place laissée vacante.
Enfin en Chine, il craque spirituellement
Jean-Gabriel attendra quatre ans pour prendre la relève. Enfin, alors qu’il n’y croit plus car il a passé la trentaine, âge jugé trop avancé pour l’apprentissage des langues orientales et l’acclimatation, il embarque pour Macao en mars 1835. À destination, il se laisse pousser cheveux et moustache, s’initie au chinois et, après plus d’un an, part pour le Ho Nan où il tombe malade, manque mourir et reste trois mois alité. Il faut pourtant faire face aux nécessités de cet apostolat : 2.000 fidèles, misérables, dispersés en une vingtaine de petites communautés clandestines sur un territoire et que leur curé doit visiter à pied, ce qu’il fait en six mois. À peine en voit-il le bout qu’en 1838, il est muté dans la province du Hou Pé. Là encore, 2.000 catholiques abandonnés l’attendent. Tout est à refaire.
Et Jean-Gabriel craque, spirituellement. Il ne sait plus ce qu’il est venu faire ici, sa vocation semble l’avoir abandonné, et la foi. Il doute de l’existence de Dieu… Il n’est pas le premier victime de ce genre d’épreuve et l’on cite, dans les maisons de formation, comme des saints d’un genre particulier, des missionnaires isolés qui ont prêché jusqu’à la mort, une religion en laquelle ils craignaient de ne plus croire, posant, dans leur interminable nuit de l’âme, à chaque instant un acte de foi méritoire. Le Ciel va lui épargner cela. Alors qu’il touche au fond de la déréliction, pense qu’il n’y a pas de vie éternelle ou, que s’il y en a une, elle n’est pas pour lui qui ne l’a pas méritée, le père Perboyre voit le Christ qui lui dit : « Que crains-tu ? Ne suis-je pas mort pour toi ? Mets tes doigts dans mon côté et cesse de craindre la damnation. » La tentation du doute, des ténèbres et du désespoir disparaît pour ne plus revenir. Juste à temps.
Un gibet en forme de croix
Le 19 septembre 1839, Jean-Gabriel est vendu, contre quelques taëls, les trente deniers de Judas, par l’un de ses paroissiens et livré aux autorités. Commence un calvaire qui durera une pleine année. Pour l’édification du peuple, le missionnaire est promené, enchaîné, de ville en ville, enfermé dans une cage, exhibé telle une bête curieuse. Régulièrement, parce que son abjuration entraînerait celle des catholiques locaux, on le torture. Un jour qu’il a obstinément refusé de piétiner la croix, il reçoit plus de 110 coups de canne de bambou. Un autre, il est obligé de rester agenouillé sur des barres métalliques et des chaînes de fer. Mais le père Perboyre ne flanche pas. Aux chrétiens qui parviennent à lui parler, il déclare, radieux, montrant son crucifix : « Il n’y a pas d’autre voie que la croix ! » et il ajoute à l’intention de son troupeau : « Dites-leur de ne pas craindre la persécution et que je suis heureux de mourir pour le Christ ! »
Enfin, au bout d’un an d’emprisonnement, il est transféré à Wu Han pour y être exécuté. Suspendu à un gibet en forme de croix, Jean-Gabriel subit une lente strangulation. On est le 11 septembre 1840. Quelques fidèles parviennent à racheter son corps et l’inhumer à côté de François-Régis Clet, son modèle. Les lazaristes parviendront à le ramener en France. Béatifié en 1885, Jean-Gabriel Perboyre a été, en 1986, le premier des martyrs de Chine canonisé par Jean-Paul II.