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Avertissement préalable pour commentateurs vigilants, prompts à écrire "encore les scouts d’Europe" ou "il n’y en a que pour les SUF" ou "seuls les scouts de France vont aux périphéries" : cette tribune traite de la promesse scoute quel que soit le mouvement concerné, qu’on y parle de louvettes, de jeannettes, d’oranges, jaunes, rouges, verts, bleus ou incolores, qu’on y porte un béret, un quatre-bosses, un calot, une casquette, un bandana, un bob Paul Ricard ou rien du tout. Fin de l’avertissement !
À l’issue de leur camp d’été, de nombreux scouts sont revenus chez eux avec un insigne de plus, celui qui authentifie visuellement leur promesse sur leur béret (oui, je sais, ou leur quatre-bosses..., voir l’avertissement). À les entendre, toutefois, ou à entendre leurs mères pleines de fierté, tous n’ont pas vécu exactement la même chose. Les verbes qui accompagnent leur promesse, en tout cas, ne semblent pas renvoyer au même événement : les uns l’ont passée, les autres l’ont eue, d’autres l’ont faite, d’autres enfin l’ont prononcée. Avoir, passer, faire, prononcer : aucun dictionnaire des synonymes ne réunirait les quatre verbes. Le choix des mots révèle ici des visions assez différentes, qui n’est pas sans conséquence sur l’enjeu qu’on perçoit dans l’engagement.
La promesse, rite de passage
Ceux qui ont "passé" leur promesse peinent manifestement à quitter le monde des examens, et il est tentant de leur demander s’ils l’ont eue, voire s’ils ont obtenu une mention. À la rigueur, le verbe "passer" peut signaler que la promesse joue le rôle d’un rite de passage (sans bizutage, s’il vous plaît) qui, sans faire de vous tout à fait un homme, vous intègre plus pleinement dans une communauté, la "grande fraternité scoute". Le choix de "passer" n’en reste pas moins maladroit, même si on l’éloigne du cadre scolaire et qu’on pense à un passage de grade pour changer de ceinture au judo.
Ceux qui ont "eu" leur promesse relève au fond de la même logique de l’examen, mais effacent tout doute sur le résultat de l’épreuve. Ils l’ont eue sans l’avoir passée, en quelque sorte, rêve de tout élève pressé ou sûr de ses capacités. On peut craindre qu’ils estiment, comme les premiers, que la promesse ne concerne que le passé et qu’elle est, pour parler comme Péguy, "une conquête enregistrée" ou "une victoire inscrite". Ceux qui l’ont faite courent sans doute moins le risque de la couche de poussière sur l’insigne d’enfance. Le verbe "faire" n’est certes pas sans ambiguïté et il a une forte tendance à déprécier son complément : quand certains vous disent qu’ils ont "fait" la Grèce pendant l’été, vous pouvez craindre que le Parthénon ne soit qu’une case à cocher et non une source à méditer. Toutefois, quand il s’agit d’une promesse, la faire inclut a priori la volonté de la tenir, ce qui a le mérite de suggérer que les choses sérieuses commencent après.
Une parole véritable
Ceux qui ont prononcé leur promesse, enfin, ont le mérite d’avoir entendu et retenu l’invitation du cérémonial (si les textes différent, voir encore l’avertissement) : "Puisque la cour d’honneur a décidé de te faire confiance, nous t’admettons à prononcer ta promesse." Ces mots suggèrent la valeur communautaire d’une parole, la confiance réciproque que nécessite un engagement verbal, l’honneur qu’il y a, aussi, à dire à son tour des mots enrichis par tous ceux qui les ont prononcés avant nous. Le propre d’une promesse est d’être faite pour durer et se déployer dans le temps. Les mots d’une promesse sont à la fois performatifs (ils accomplissent ce qu’ils signifient au moment même où ils sont prononcés) et exigeants pour les années à venir. En cela, ils révèlent ce qu’est une parole véritable. Je te donne ma parole ne veut rien dire d’autre que je te promets. "Toute parole, écrit Olivier Py habillé en vieille tragédienne, se soutient d’une promesse, est la forme d’une promesse. La Parole est la chair de la Promesse." Frappante rencontre entre les feux de la rampe et le feu de camp, quand les mots sont pris au sérieux et que le Verbe s’incarne.
Louveteaux ou scouts sont bien jeunes, dira-t-on, pour mesurer ce qu’ils font. Il n’est pas sûr, pourtant, qu’un garçon de huit ou douze ans soit moins apte à être fidèle à ce qu’il promet qu’un homme blasé de cinquante ans. Tenir ou trahir ses promesses, tenir ou trahir sa parole, être fidèle à la Parole, tel est peut-être le seul enjeu d’une existence. Heureux ceux auxquels un mouvement scout l’a fait pressentir pour la première fois.