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Le nouveau mobilier de la cathédrale Notre-Dame de Paris fait polémique. Comment en être surpris ? C’était prévisible. Notre société post-moderne s’est faite une spécialité de la critique systématique et permanente. Pour la plus grande satisfaction des échotiers médiatiques à l’affût de tout ce qui peut soulever discorde et castagne dans nos tribus gauloises, si spontanément friandes de frictions rarement fraternelles. Preuve s’il en est que les catholiques français sont bien de ce temps, et que, comme tout le monde, ils n’échappent pas à ce syndrome piquant de notre siècle frappé de frénésie. Aussi s’écharpent-ils allègrement et sans toujours faire preuve d’assauts d’amabilité et encore moins de charité chrétienne les uns envers les autres, sur la simplicité du design qui a été choisi pour meubler le chœur liturgique de la cathédrale restaurée, qui rouvrira ses portes au public le 8 décembre 2024.
Les goûts et les couleurs
Les goûts et les couleurs ça ne se discute pas, dit-on communément en vertu d’un adage populaire. Force est de se rendre à l’évidence que l’appréciation de la beauté est un exercice foncièrement subjectif. Et éruptif. Elle fait appel à des sens esthétiques, à des imaginaires culturels et à des attraits et des interprétations qui différent naturellement selon les époques et les psychologies. La disparité et la confrontation des points de vue et des préférences artistiques fait partie en cela de notre écosystème humain. Le problème se corse quand intervient dans cette confrontation des impressions esthétiques une dimension religieuse, et un rapport à l’épineuse notion de sacré qui diffèrent inévitablement selon les démarches et les expériences propres à des individualités ou à des communautés. Là, les goûts et les couleurs sont non seulement sujets à des discussions, mais à des controverses et des disputes plus ou moins musclées, car ce qui est en jeu n’est ni plus ni moins la manière de célébrer le culte divin : "Dis-moi comment tu pries et je te dirai quelle image de Dieu tu te fais."
La grandeur du monument invite à l’humilité.
Le principal reproche adressé à Guillaume Bardet, le designer sélectionné pour le ré-habillage de Notre-Dame, est d’avoir opté pour la simplicité des lignes qui caractérise les nouveaux baptistère, ambon, autel, cathèdre et tabernacle de la cathédrale. Ce choix de la simplicité, renforcé par la matérialité du bronze employé pour la confection de ce mobilier, s’est comme imposé, explique l’artiste, du fait même de la monumentalité de l’édifice. "La grandeur du monument invite à l’humilité", explique-t-il. Il ajoute que l’ornementation néogothique d’imitation médiévale, ajoutée par Viollet-le-Duc au XIXe siècle, plaidait aussi en faveur d’un décorum sobre et harmonieux. Ses détracteurs lui reprochent plus ou moins ouvertement d’avoir ainsi réduit, minimisé la grandeur symbolique que représente pour les catholiques pratiquants ces meubles sur lesquels se perpétuent pendant la messe le sacrifice eucharistique du Christ. Argument défensif de Guillaume Bardet : le mobilier de la cathédrale doit aussi "parler" à la majorité des visiteurs qui ne seront pas, loin s’en faut, des familiers de la liturgie catholique.
Un enrichissement réciproque
Les arguments de certains procureurs du designer drômois semblent refléter une nostalgie de leur part pour une décoration plus grandiose et spectaculaire. Y perce peut-être aussi une forme de défiance envers l’art contemporain suspecté d’amoindrir ou d’effacer tout signe distinctif d’une présence transcendante. À cet égard, il faut rappeler que tous les papes de l’ère Vatican II, de Paul VI à François, ont constamment sollicité l’ingéniosité et la virtuosité des artistes contemporains pour aider l’Église à mieux parler du Christ aux mentalités du troisième millénaire. L’Église a besoin de l’art et des artistes de son temps, et vice versa : "Cette collaboration a été source d’enrichissement réciproque", rappelait Jean Paul II (Lettre aux artistes, 1999). La restauration de Notre-Dame de Paris a renforcé cette coopération entre l’art moderne et la révélation chrétienne.
Le parti-pris de la simplicité qui a inspiré le choix du mobilier conçu par Guillaume Bardet n’est pas dénué d’éclat et d’élévation, contrairement à ce que des critiques insinuent. La simplicité n’est-elle pas un langage commun favorisant des rencontres et des reconnaissances a priori improbables ? Saint Bernard, réformateur de l’ordre cistercien dont l’architecture glorifie le dépouillement et l’épure, recommandait à ses moines d’imiter la simplicité de Dieu en contemplant son humanité. Enfin, la simplicité n’est-elle pas aussi ce que recherche le public contemporain saturé par la sophistication et la complexité de la société dans laquelle il vit ?